Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Une pétition peut être un déclencheur d'une dynamique, mais ne peut pas la remplacer Adel Abderrezak. Enseignant à l'université de Khenchela ex-porte-parole du CNES
Vous et un certain nombre d'universitaires et autres intellectuels avez signé une pétition pour classer la Fac centrale comme monument historique. Avez-vous eu des échos sur l'impact de cette pétition ? L'impact médiatique est déjà là. C'est le premier objectif d'une pétition. Faire connaître le problème posé, alerter et susciter les réactions des personnes directement concernées et de l'opinion publique plus généralement. L'enjeu est sérieux ! Quel sera le devenir d'un espace bâti porteur d'histoire et de mémoire, où des générations d'enseignants et d'étudiants sont passées, où un savoir algérien s'est construit dans l'adversité, où une élite intellectuelle a forgé une pensée critique, et où des pans de notre histoire anticoloniale y sont encore présents ? Il ne faut pas que la Fac centrale soit offerte au marché foncier, ni détournée vers la rénovation urbaine, et encore moins orientée vers des activités qui dénatureraient ce patrimoine. J'appelle les étudiants, enseignants, citoyens, historiens, et tous ceux qui mesurent l'importance de ce patrimoine à signer la pétition, à écrire sur l'histoire de la Fac centrale, à faire pression sur les institutionnels et à terme, si cela s'avère nécessaire, à structurer une action citoyenne autour de ça ! C'est en tout cas ce que je suggère aux initiateurs. Cette année, plusieurs lettres de dénonciation ont été signées par des universitaires, à l'instar de celle initiée par le Cnesto (section Cnes de Tizi Ouzou) pour contrecarrer le projet de statut particulier de l'enseignant-chercheur, ou encore en solidarité avec le Dr Samir Bellal. Pourquoi a-t-on de plus en plus recours à ce procédé ? Parce que tous les moyens sont utiles et bons pour faire bouger les choses. Dans ce contexte de désaffection syndicale des enseignants universitaires et de la réduction des espaces d'expression démocratique à l'université, les enseignants réagissent par réseaux et tentent de donner l'alerte sur des situations qui exigent une réactivité immédiate. C'est le cas de la pétition sur la Fac d'Alger, ou celle de l'enseignant de Boumerdes. Face à l'opacité dans les prises de décision et la rétention de l'information qui touchent le quotidien professionnel des enseignants et leur carrière, les lettres et pétitions de dénonciation ou de protestation sont une exigence de transparence et une interpellation de la tutelle sur ce qui se passe réellement dans la gestion des universités et les arbitraires répétés envers les enseignants-universitaires. Elles ne remplacent pas une action de lutte collective, mais elles participent à la prise de conscience sur des faits condamnables qui exigent réflexion et action. Il est évident que rien ne remplace une organisation syndicale représentative qui porte la voix et les préoccupations des enseignants et l'existence d'espaces démocratiques de débats et d'échanges librement constitués et structurés aussi bien pour les enseignants que pour les étudiants (clubs de débats, cafés littéraires, ateliers culturels, actions thématiques, etc.). L'activité intellectuelle et scientifique a besoin impérativement d'espaces démocratiques à l'intérieur des universités algériennes. Ces pétitions sont généralement de nature spontanées et rassembleuses. Elles sont dénuées de support syndical. Est-ce une preuve que l'action syndicale est en recul ? Ou est-ce tout simplement de la paresse militante ? Les pétitions sont plutôt réactives, mais néanmoins réfléchies. Il y a un texte qui est proposé, souvent travaillé et concerté avant publication et diffusion pour signature. Elles traduisent d'abord le déficit démocratique qu'il y a à l'université. Elles expriment aussi le vide syndical qui caractérise aussi bien la représentation étudiante qu'enseignante. Au niveau enseignant, le recul syndical est réel et date de la grève de 2006 qui a vu un CNES à deux têtes, celle qui a tourné le dos à la grève et qui contrôle aujourd'hui l'appareil syndical, et celle qui animait la grève à travers une coordination des sections syndicales en grève. La cassure était inévitable et la désyndicalisation a connu depuis une courbe ascendante. Le CNES n'est aujourd'hui qu'un appareil déconnecté de la représentation enseignante et trop dans la proximité avec la tutelle. La désaffection syndicale des enseignants est réelle au moment où, paradoxalement, il y a plusieurs syndicats qui parlent au nom des enseignants. Les pétitions ne remplacent pas l'action syndicale, car cette dernière est le biais incontournable pour construire une action collective autour de revendications réfléchies et identifiées. L'action syndicale s'appuie sur une démarche militante et non sur des réseaux virtuels. Elle permet de faire agir les concernés sur leurs lieux de travail ou d'études, d'installer des rapports de force, de faire contrepoids à l'arbitraire et l'injustice dans un face-à-face avec le vis-à-vis administratif ou autre. Cela permet de construire et vivre des expériences où on apprend, prend conscience et participe à faire bouger les choses. Une pétition peut être un déclencheur d'une dynamique, mais elle ne peut pas la remplacer. Voilà pourquoi les pétitions ont leur utilité réactive, mais ont rapidement leurs limites. Ce genre de lutte par la signature a-t-il un réel impact sur les décideurs ? Une pétition vaut-elle une grève ? L'impact sur les décideurs existe du fait de la médiatisation. C'est pour cela que la presse doit être attentive à ce type d'initiatives. Les pétitions alertent et interpellent, et dans certains cas elles peuvent déboucher sur une réaction des pouvoirs publics et des politiques. Pour l'université, l'autisme du MESRS et de l'administration universitaire est devenu systématique et c'est le signe d'une marginalisation de la communauté universitaire par une administration qui ne vit que pour elle-même et qui reste enfermée dans sa bulle bureaucratique. Il est vraiment temps que ça change et qu'une révolution démocratique traverse l'université et libère ses acteurs. Il est temps aussi que ceux qui sont nommés soient élus. Il est temps que les médiations démocratiques remplacent l'autoritarisme administratif.