- Les examens nationaux décisifs en Egypte et en Tunisie ont été entachés par la triche. La réorganisation de la société après les révoltes a-t-elle un rapport avec ce phénomène ? Elles ne sont pas encore sorties de la révolte, dans la mesure où l'histoire nous a appris que la période qui suit une révolution est plus délicate que la révolution elle-même. A l'exception du cas tunisien, le phénomène de tricherie est une autre manière de rejeter l'ordre presque établi par la force. Les responsables, surtout politiques, ne maîtrisent pas la dynamique sociale provoquée par l'absence d'institutions et la promotion sociale basée sur la qualification, ils n'ont pas le mérite ou la compétence. En Afrique du Nord, ce qui se passe à l'extérieur de l'école est plus fort que ce qui se passe à l'intérieur. Le temps extrascolaire de nos élèves est plus déterminant que le temps scolaire. La forte demande sociale de l'éducation juste après l'Indépendance et les stratégies adoptées par les responsables ont mené à la banalisation des diplômes. En Algérie, par exemple, la coopération avec les Egyptiens, pendant des décennies, a entraîné une «diplômatisation» sans science. Un autre mal des systèmes éducatifs dans ces pays réside dans la centralisation rigide et surtout idéologique qui a étouffé pour longtemps nos écoles. Alors que le secteur enregistre des grèves répétées et que les scandales de fraude aux examens se généralisent, c'est le moment de réfléchir à la liberté et la responsabilité de nos écoles et de rendre cette dernière aux éducateurs. - Le problème est donc sociétal ? Les pays d'Afrique du Nord ont des caractéristiques sociales similaires. Le problème réside dans l'absence d'encadrement culturel, qui doit être assumé par l'élite. La triche existe dans tous les pays du monde, mais son ampleur est terrible dans les pays de l'Afrique du Nord. Les autorités censées intervenir à temps ne sont pas suffisamment conscientes du danger de ce phénomène. Donc, ce n'est pas seulement un problème sociétal mais aussi un problème de stratégie de gestion. - Faut-il, comme certains le préconisent, revoir le système du bac pour un dispositif d'évaluation plus souple ? Le plus judicieux serait de revoir les politiques éducatives et de formation dans ces pays. Nous avons besoin d'un contrat social qui détermine quel est l'individu que l'on veut former. Revoir le système du bac est une urgence, car il y va de l'avenir de nos enfants. Nous pourrions par exemple tenir compte des traditions orales de la culture en Afrique du Nord pour intégrer plus d'épreuves orales. Un système d'évaluation plus souple ? Pourquoi pas, mais avec beaucoup de rigueur et de fermeté pour rendre à l'école ses valeurs académique et sociale. Il faut aussi valoriser la formation professionnelle pour soulager les lycées et faire comprendre à nos enfants que le bac n'est que le début d'une formation, ajouter un entretien ou un autre test qui conditionnent l'accès à l'université. Enfin, nous avons besoin d'études scientifiques qui nous montrent que le problème du bac n'est pas à l'intérieur des lycées, mais à l'extérieur.