Après avoir reçu le prix d'interprétation collectif au Festival de Cannes 2006, le film de Rachid Bouchareb Indigènes devrait sortir le 26 septembre prochain sur les écrans de cinéma français. Un événement cinématographique majeur, attendu par des milliers de Maghrébins et d'Africains, impatients de découvrir les sacrifices consentis par leurs grands-parents, afin de libérer une partie de la France du joug allemand, lors de la Seconde Guerre mondiale. Le film ouvre une page sombre et ensanglantée de l'histoire de France. Il rappelle les blessures tues et cachées, rafraîchit la mémoire à une jeune génération en panne de repères et invite la France officielle à un examen de conscience. Porté par quatre acteurs de talent (Rochdy Zem, Sami Bouajila, Djamel Debbouze et Samy Naceri), Indigènes retrace l'engagement militaire des hommes de courage et de dignité, parqués encore aujourd'hui dans des foyers de la Sonacotra, et souvent privés de leur maigre retraite. L'histoire, qui se déroule en 1943, nous replonge, une fois de plus, dans les rapports coloniaux inégalitaires et les actes de discrimination. Car, même en pleine guerre où la mort rode dans tous les coins, les commandements français de l'époque exerçaient une discrimination flagrante entre les troupes : pas de permission pour les indigènes, pas de chaussures ou de tenues de combat convenables et surtout une solde inférieure à celle octroyée aux militaires de souche européenne. Autant dire un racisme béant dont les images ont été portées avec succès au grand écran par Rachid Bouchareb. Une brèche dans la lecture de l'histoire française Fier de son travail, le réalisateur algérien a confié récemment au magazine de cinéma Première qu' Indigènes a ouvert une brèche dans la lecture de l'histoire française. « Il faut encore élargir davantage le débat, dépasser tout ce qu'on a entendu sur l'immigration économique, évoquer les guerres napoléoniennes, se saisir de l'Indochine et aborder la guerre d'Algérie… ». Le réalisateur s'est étonné de voir que le cinéma français n'ait jamais montré de combattants maghrébins au sein de l'armée française. « Prenez la Première Guerre mondiale, Les sentiers de la gloire (Kubrick 57) par exemple. Rien. Rien non plus pour la Seconde Guerre mondiale ou l'Indochine. Nous n'existons tout bonnement pas, alors que nous faisons partie de l'empire colonial. Nous étions la France. De Dunkerque à Tamanrasset, comme le clamait de Gaulle. » Djamel Debbouze, l'un des acteurs principaux du film, dit qu'effectivement la France a du mal à accepter son histoire. « Si de Gaulle avait honoré les tirailleurs, il n' y aurait peut-être pas eu autant de racisme aujourd'hui. » Djamel Debbouze croit que le film peut changer des choses et donner aux jeunes des banlieues des héros, car il leur offre un miroir positif, et il affirme haut et fort qu'ils sont « aujourd'hui libres grâce à vos arrières grands-parents ». Des hommes libres et dignes Pourtant, la réalisation du long métrage n'a pas été de tout repos. Problèmes de financement et difficultés à mobiliser les sponsors. D'une production évaluée au départ à 25 millions d'euros, Indigènes n'a pu mobiliser que 14,5 millions. « Nous galérions pour trouver l'argent, a expliqué Rachid Bouchareb. Au premier jour du tournage, le budget n'était toujours pas bouclé. Mais rien ne pouvait arrêter ni notre énergie ni notre volonté. » Pourquoi donc Indigènes était si difficile à monter ? Le réalisateur n'arrive toujours pas à expliquer les raisons d'une telle difficulté. « Pourtant, il me semblait que nous apportions un projet potentiellement populaire avec des acteurs à succès. Et je ne crois pas que le sujet dérangeait. » Toutefois, l'aide apportée, entre autres, par le Maroc qui a mis à la disposition de l'équipe son armée ainsi qu'une compagnie aérienne, a fait énormément avancer le projet d'un point de vue logistique et psychologique. Quant au côté français, hormis le soutien apporté par la région de l'Île-de-France, la gauche a été difficile à sensibiliser. « Nous avons connu des valses-hésitations permanentes », souligne Rachid Bouchareb qui n'a pas cessé de pousser les portes des institutions françaises, sans grand succès. Ironie du sort, c'est la droite française qui a donné un coup de pouce au film, mais par opportunisme politique, prévient d'emblée Djamel Debbouze, qui estime que « Sarkozy fonctionne à la couverture médiatique. Il savait bien qu'en nous rencontrant, il engrangerait des retombées positives ». Peu importe les infortunes, le film a enfin vu le jour, tirant avec lui au clair une histoire enfouie dans l'imaginaire des milliers de familles des tirailleurs qui ont versé leur sang pour la patrie française sans attendre rien au retour. Sauf peut-être d'être respectés et vus comme des hommes libres et dignes à part entière. Une histoire qui n'a jamais eu sa place dans les manuels scolaires français. « Personne ne nous a raconté que des Arabes, des Noirs, des juifs et des pieds-noirs avaient servi de chair à canon pour la France. Qu'ils avaient pris les premières balles et que les Français étaient arrivés après », s'insurge l'acteur Sami Naceri. « Tout cela, je l'ai découvert dans le scénario de Rachid Bouchareb. Aujourd'hui, il faut que tout le monde connaisse cette page de l'histoire de France au même titre que la vie de Marie-Antoinette » ou autres récits de guerre. A voir absolument , et en famille…