Très attendu, le procès El Khalifa Bank s'est terminé en queue de poisson. Dès le début des audiences, la gestion des débats a été faite de manière à expurger du dossier tout ce qui pouvait lui donner l'aspect d'une affaire politico-financière, qui dénote la grave vulnérabilité de l'Etat. Le silence de Moumen et la complaisance du tribunal illustrent la piètre image d'un éventuel deal concocté sur le dos des victimes. Le verdict d'aujourd'hui ne surprendra certainement pas l'opinion publique… S'il y a un deal, c'est Moumen Khalifa qui le cherche à travers son silence et ses contrevérités.» C'est la conclusion de Moncef Badsi, le liquidateur d'El Khalifa Bank, très déçu à la fin du procès qui s'est tenu du 4 mai au 14 juin au tribunal criminel de Blida, et dont le verdict sera prononcé aujourd'hui. Pour les plus avertis, heureusement que le procès version Fatiha Brahimi a eu lieu en 2007. En dépit de tout ce que l'on peut reprocher à la composante du tribunal, il y avait une synergie entre la juge, ses assesseurs et le procureur général, qui ont fait preuve d'une connaissance parfaite du dossier, et surtout ont interrogé toutes les personnalités citées, même en tant que témoins. La version 2015 du procès a laissé l'opinion publique sur sa faim. Elle qui espérait entendre Moumen Khalifa faire les révélations qu'il avait promises de sa terre d'exile, en Grande-Bretagne. Malheureusement, cela n'a pas été le cas. Durant les 40 jours d'audience, Antar Menaouer, le président, a pesé de tout son poids pour éviter que des noms de personnalités soient cités, ou encore de recourir à la loi afin d'obliger les témoins à être entendus. De son côté, le procureur général semblait apprendre le contenu du dossier pendant l'audience. Souvent, il confondait les noms des accusés, les faits qui leur sont reprochés et même les liens avec l'affaire. Pour ceux qui ont suivi le procès, dès le départ aussi bien le président que le représentant du ministère public n'avaient pas l'intention d'aller loin dans les interrogatoires. Durant son audition, Moumen Khalifa marchait sur du velours en s'étalant sur des points techniques que le juge ne semblait pas maîtriser. C'était lui qui dirigeait le débat et le président n'intervenait que rarement. Celui qui avait promis (en 2007) à partir de Londres, de faire des révélations sur l'agence de Koléa, dont le directeur a été tiré comme une épingle du jeu, alors qu'elle avait enregistré un trou financier jamais élucidé, n'avait rien à dire. Ce même Moumen, qui avait interpellé à partir de Londres, la juge, Fatiha Brahimi, sur l'implication de l'ancien ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, a fait volteface, en disant : «On parle de comptes à Koléa, et on a même parlé de Abdessalem Bouchouareb (l'actuel ministre de l'Industrie), mais ce n'est pas vrai.» Pourtant dans le dossier, ce même ministre avait bénéficié d'un prêt de 140 millions de dinars, pris de l'agence Koléa, destiné à l'achat d'équipements pour son usine familiale de chips, Flocon Or, en présentant comme garantie un terrain de 200 mètres carrés. Selon le procès-verbal d'audition, lu par le juge Antar Menaouer, d'une voix presque inaudible, «ce montant a été restitué en main propre à Khalifa, dans son bureau à Chéraga, sans qu'aucun document ne lui soit donné pour le prouver». Mieux, la levée de l'hypothèque sur le terrain a été faite alors que Moumen était déjà à l'étranger. Il est vrai que la Cour suprême a été saisie de cette affaire et que le ministre en question a été poursuivi et placé sous contrôle judiciaire, mais le dossier est resté plus de trois ans en délibéré, avant que le non-lieu ne soit prononcé à deux semaines de sa nomination en tant que ministre. Des faits qui ressemblent étrangement à ceux pour lesquels Lynda Benouis, directrice de la monétique à El Khalifa Bank (fille de feu Tayeb Benouis, ancien PDG d'Air Algérie) a été poursuivie. Elle avait demandé à Khalifa, son PDG, de lui accorder un prêt de 9 millions de dinars, dont elle a bénéficié et qu'elle dit lui avoir remis en main propre. Très sévère, son audition par le juge Menaouer a fini par une confrontation avec Khalifa, qui a nié avoir perçu cet argent. Benouis est la seule avec Akli Youcef, le caissier principal, à avoir été confrontée avec Khalifa. Durant tous les débats, le juge s'est contenté des réponses, souvent évasives, des accusés dont la majorité est revenue sur ses déclarations faites devant le même tribunal, en 2007. Encouragés par la passivité du juge, certains vont jusqu'à s'attaquer avec virulence aux magistrats de 2007, les accusant d'inquisiteurs et de tortionnaires. Mieux, Le même président va surprendre l'assistance en interrogeant la très attendue secrétaire particulière de Khalifa, Nadjia Aiouaz, qui avait cité une longue liste de personnalités qui défilaient au bureau Moumen, pour bénéficier de certains privilèges. En 2007, après avoir été acculée par Fatiha Brahimi et le procureur général, elle avait cité quelques noms comme ceux de Abdelmadjid Tebboune, Djamel Ould Abbès et son fils. Antar Menaouer ne semblait pas intéressé par la longue liste de noms contenus dans le procès-verbal d'audition de ce témoin particulier. Tête baissée sur ce document, il ne s'arrête que sur celui de feu Tayeb Benouis, pour le citer haut et fort. La secrétaire confirme sa venue. Cette audition s'est transformée en une séance d'hilarité, en raison des réponses quelque peu étranges du témoin à des questions qui semblaient loin du sujet. Vidé de sa substance, le dossier devient celui de billets gratuits et de laptops L'autre point noir de ce procès est cette absence inexpliquée de hauts fonctionnaires de l'Etat, qui étaient en poste entre 1999 et 2003. En 2007, ils avaient tous répondu présents, parce que la présidente du tribunal a estimé que personne ne devait être au-dessus de la loi, soit-il ministre de la République. Les récalcitrants ont fait l'objet de mandat d'amener, ce qui a permis au procès d'éclaircir beaucoup de zones d'ombre. En 2015, Antar Menaouer n'a pas jugé utile de forcer Mourad Medelci, l'ancien ministre des Finances, qui avait perdu la première copie du rapport de l'inspection de la Banque d'Algérie, faisant état de graves violations de la réglementation bancaire, mais aussi Abdelmadjid Tebboune, alors ministre de l'Habitat, dont dépendaient les OPGI des 48 wilayas qui avaient retiré en même temps leurs fonds des banques publiques, pour les confier à El Khalifa Bank, ainsi que Karim Djoudi, directeur général du Trésor, dont l'attention n'avait pas été attirée par ces retraits massifs des fonds publics, et Tayeb Belaïz, ministre de la Solidarité, et enfin Abdelmadjid Sidi Saïd, le secrétaire général de l'UGTA, qui avait signé, en tant que président du conseil d'administration de la CNAS, une résolution pour le placement de 10 milliards de dinars, sans que la réunion de ce conseil se tienne ou que ses membres ne soient informés. Seul Bouguerra Soltani a répondu présent, certainement pour apporter un correctif. Il dit être parti du ministère du Travail au mois de mai 2001, et non pas en 2002, comme affirmé lors du premier procès. De ce fait, il nie avoir été informé des premiers placements. Mais là aussi, le juge se limite uniquement à des questions bateaux, évitant de l'interroger sur son intervention auprès de Khalifa, pour le recrutement de son fils Oussama, en France, à Khalifa TV, que Djamel Guellimi, avait confirmé, précisant qu'il n'est resté qu'une semaine parce qu'il ne maîtrisait pas la langue française. Le tribunal était même incapable de trouver l'adresse d'un des trois experts qui avaient audité El Khalifa Bank, et qui évoquait, dans son rapport, la gestion catastrophique de cette banque privée, mais également la responsabilité de la Banque d'Algérie, concernant cette situation. En fait, le juge Antar Menaouer a tout fait pour réduire l'affaire à sa simple expression, en passant plus de temps, avec au moins une quarantaine d'accusés, poursuivis pour avoir gardé une voiture, un laptop ou des téléphones mobiles. Pourtant, dans le dossier, il y a des personnes, comme Wahiba Hamiani, qui avaient perçu la somme de 5 millions de dinars, pour la préparation de «l'année de l'Algérie en France», sans aucun document ou contrat de travail, ou encore toutes les autres ayant bénéficié de cartes de paiement électronique, sans qu'elles aient de contrepartie, à l'image de Abdelmadjid Tebboune, avec un plafond de 10 000 euros, Farid Lamari (fils du défunt Mohamed Lamari, le général de corps d'armée), Abdelmalek Sassi (général à la retraite), avec un plafond de 10 000 euros, Mehdi Sofiane Bouteflika, neveu du Président, avec un plafond de 3800 dollars, ces personnes auraient dû être entendues par le tribunal tout comme auraient dû l'être ces 300 invités de la soirée organisée par Moumen, dans la villa Cannes, à l'occasion du lancement de la chaîne Khalifa TV, et qui se sont partagés la somme de 15 millions d'euros distribués dans des enveloppes à raison de 5000 euros par personne. Toutes ces informations n'auraient jamais pu être connues, si le procès de 2007 n'avait pas eu lieu. En gardant le silence, Moumen Khalifa semble vouloir rassurer ces nombreux «invisibles» qui ont profité de son ascension fulgurante et qui ont échappé aux mailles de la justice. Lors de sa plaidoirie, maître Mejhouda, un de ses avocats, s'est attaqué avec virulence au liquidateur, en évoquant une enquête de la Gendarmerie nationale, qui a été déclenchée sur instruction de Tayeb Belaïz, alors ministre de la Justice, et qui s'est soldée par une perquisition au siège de la liquidation, sans la présence du liquidateur et sans que les documents récupérés soient répertoriés, révèle Moncef Badsi. Est-ce pour récupérer ce qui peut être compromettant ? Nous n'en savons rien. Le plus important, c'est que dans ce dossier, les gendarmes ont fait irruption à deux reprises. La première sur instruction du parquet, et la seconde, sur celle du patron de ce corps de sécurité, qui avait dépêché un haut gradé, pour intervenir en faveur de Abdessalem Bouchouareb. Si le procès de 2007 a levé le voile sur une vaste dilapidation des fonds publics confiés à El Khalifa Bank, le procès de 2015 a malheureusement couvert les complicités des uns et des autres pour réduire le dossier à une scandaleuse affaire de billets gratuits, de micro-ordinateurs, et de cartes de thalassothérapie. Même les avocats de Moumen ont évité d'aborder le fond du scandale, se limitant à la forme, donnant au procès la piètre image d'un éventuel deal fait sur le dos des victimes. Dans sa plaidoirie, l'autre avocat de Moumen, Me Nasreddine Lezzar va jusqu'à accuser la presse d'avoir été à l'origine de la débâcle de la banque, en rendant publique l'information relative au gel du commerce extérieur, suscitant la panique chez les déposants. Des propos contredits par l'administrateur, le vice-gouverneur Ali Touati, qui répondu : «La CNEP, qui est la banque la plus importante sur la place financière, n'exerce pas le commerce extérieur. Une banque qui respecte le ratio de solvabilité ne s'écroule pas à la suite du gel des opérations du commerce extérieur.» Aujourd'hui, le tribunal rendra sa décision, et comme l'a affirmé Me Miloud Brahimi, il y a de fortes chances pour qu'elle soit définitive, «parce qu'il est impensable qu'un tel procès puisse revenir une troisième fois».