Les trois magistrats ainsi que les deux jurys ont eu une dizaine de jours pour répondre à 14 000 questions concernant 72 accusés, tous impliqués dans cette affaire mais loin d'être les seuls responsables de ce qui a souvent été appelé «le scandale du siècle», en raison du préjudice causé à l'économie nationale. La liquidation, qui ne s'est toujours pas terminée après 12 ans, fait état d'un trou de 10 400 milliards de centimes. Dans sa plaidoirie, l'avocat d'El Khalifa Bank en liquidation a fait état également de 13 950 milliards de centimes transférés via la Banque d'Algérie, 17,5 millions d'euros et plus de 19 millions de dollars expédiés frauduleusement. «C'est la raison pour laquelle, la banque El Khalifa ne pouvait pas être remise à flots. Il y a eu des actes illégaux et cela aurait voulu dire donner une prime au vol», avait soutenu Me Meziane affirmant que la banque a été victime de son dirigeant. Il s'agit de sommes énormes qui ne peuvent avoir disparu dans la nature sans aucune traçabilité et pourtant c'est bien ce qui est affirmé depuis 2007, date du premier procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank. Les trois magistrats ainsi que les deux jurys ont eu une dizaine de jours pour répondre à 14 000 questions concernant 72 accusés, tous impliqués dans cette affaire mais loin d'être les seuls responsables de ce qui a souvent été appelé «le scandale du siècle» Depuis 8 ans, et après avoir suivi le déroulement du premier procès durant près de deux mois et demi, et le second qui a duré quarante jours, le flou demeure entier sur ce qui s'est réellement passé depuis la création de l'empire Khalifa jusqu'à sa disparition. Dans le premier procès beaucoup de choses ont été dites, détaillées et plusieurs hauts responsables de l'Etat ont été mis en cause mais le verdict ne concernera que les seconds couteaux et d'énormes zones d'ombre ne seront pas dévoilées. Dans le second procès, le dossier va être survolé et les accusés, dont les dépositions concertées avaient accablé l'absent Abdelmoumène, alibi d'autant plus commode qu'il présentait énormément de chances de ne plus revenir, à une exception près, se sont rétractés et ont retiré ou nuancé leur propos. De Londres, où il s'était réfugié depuis 2003, Abdelmoumène Khalifa avait promis de faire des révélations fracassantes. Il avait assuré qu'il allait citer les noms de tous ceux qui ont tiré les ficelles, sous-entendant qu'il s'agissait du sommet de l'Etat. Extradé en 2013, auditionné à la barre le 6 et 7 mai derniers, l'ex-golden boy ne fera aucune révélation. Il glissera certains sous-entendus sans vraiment dire les choses. D'ailleurs, dans sa logique de nier en bloc toutes les accusations, l'ex-P-dg du Groupe El Khalifa innocentera certains hauts cadres de l'Etat, dont des ministres en poste. Le principal accusé a tenu cependant à maintenir le flou en affirmant, entre autres, que l'accusation a pour origine une «une histoire imaginaire (...) Je n'accuse personne, mais tout est fabriqué». Pourquoi ? Par qui ? Et dans quel intérêt ? Khalifa dit : «Je ne peux pas répondre à cette question.» Il venait de créer ainsi le doute dans les esprits sur l'existence d'un deal en contrepartie de son silence. Il confirmera ce doute en disant encore que sa fuite à l'étranger «c'était le meilleur choix. J'avais compris qu'ils avaient décidé de fermer la banque. Il y a deux façons de mener le combat : la violence ou partir et tout laisser derrière soi. J'ai choisis la seconde pour éviter un bain de sang». Et d'ajouter : «Si j'ai été extradé en Algérie, c'est parce qu'il y a eu des assurances diplomatiques que j'allais être rejugé sur la base uniquement de ce dossier dont 90% fait état de la faillite. Chose qui n'est pas prouvée et qui doit être supprimée. Moi, j'ai des chiffres validés par la Banque d'Algérie de ce qu'il y avait dans les caisses d'El Khalifa Bank en 2002. Je suis devant vous aujourd'hui et j'ai confiance en la justice algérienne». Et après tous ces sous-entendus, Abdelmoumène Khalifa va dire «l'argent d'El Khalifa Bank n'est pas chez moi». Ainsi donc l'audition du principal accusé n'éclairera pas plus la lanterne de tous ceux qui tentent de comprendre ce qui s'est réellement pas passé en 1998, année durant la laquelle une agencement surprenant de circonstances a permis à la banque privée de voir le jour. Abdelmoumène Khalifa crée le doute dans les esprits sur l'existence d'un deal en contrepartie de son silence «j'ai choisi de partir pour éviter un bain de sang» Il y a eu certes, la complicité des Keramane, dont l'un était à la tête de la Banque d'Algérie, le laxisme de cette banque des banques, mais il y a eu aussi une baisse vertigineuse des taux d'intérêt dans les banques publiques permettant à El Khalifa Bank de soudoyer les entreprises et autres sociétés sur le marché par des taux très élevées. Il y a eu aussi, et on ne peut pas croire au contraire, une certaine complicité en haut lieu. Chose qui a été bien démontrée au cours du procès de 2007 et qui a amené le ministre des Finances de l'époque, Mourad Medelci, à déclarer lors de son témoignage qu'il n'a «pas été assez intelligent», alors qu'il avait eu entre les mains un rapport détaillé des violations de la réglementation d'El Khalifa Bank en 2001. Un rapport qui a disparu du bureau du ministre comme par enchantement et il n'en sera fait cas qu'en 2003 après l'éclatement du scandale. Dans le même procès de 2007, Bouguerra Soltani avait été amené à crier qu'il y avait un complot contre sa personne lorsqu'un avocat lui a présenté un document qu'il a signé et dans lequel il demandait aux entreprises qui dépendaient de son secteur de déposer leurs fonds dans El Khalifa Bank. «C'est un faux et je l'assume», avait également dit sous serment Abdelmadjid Sidi Saïd, le secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens (Ugta) qui était à l'époque président du conseil d'administration de la Cnas dont le préjudice est estimé à 1 000 milliards de centimes. En 2015, le tribunal a plutôt survolé ces situations cruciales laissant penser que le procès 2015 a été plutôt celui de la réhabilitation de certaines personnalités éclaboussées lors du procès 2007. D'ailleurs plusieurs témoins ne feront pas leur apparition au cours du procès de 2015. Un procès qui s'est noyé dans l'inventaire des cartes de thalassothérapie et des billets gratuits. Il a omis d'entendre le témoignage du ministre de l'Habitat à l'époque alors que de nombreux directeurs d'Offices de promotion et de gestion immobilière (Opgi) ont été formels : la tutelle était au courant des placements. Faut-il aussi préciser que cet ex-ministre n'a pas nié avoir bénéficié de certains privilèges d'El Khalifa Bank, dont une master card en contrepartie d'une somme de 20 millions de centimes, donnée à Abdelmoumène Khalifa dans son bureau à Hydra, sans la présence de témoin. Il y a aussi l'absence du témoignage de l'ex-président du tribunal de Chéraga, qui a accordé deux prolongations de délai pour l'établissement des bilans des exercices 1999 et 2000 d'El Khalifa Bank. Kebbache Nadjia, dite Djazirli Djaouida, est parente de Abdelmoumène Khalifa. Cette dame qui aurait joué un rôle dans le recrutement de Keramane Yasmine, la nièce de l'ex-gouverneur de la Banque d'Algérie, n'a pas été entendue par le tribunal criminel près la cour de Blida. Djazirli, qui a occupé le poste de directrice générale de Khalifa Airways en France, aurait pu éclairer le tribunal sur beaucoup de zones d'ombre, notamment sur le rapatriement des devises en Algérie par cette compagnie. D'autres personnes qui n'ont même été entendues par le juge d'instruction auraient pu apporter des éclaircissements dans ce procès. Plusieurs témoins ne feront pas leur apparition au cours du procès de 2015 qui s'est noyé dans l'inventaire des cartes de thalassothérapie et des billets gratuits. Du moins, il est incompréhensible que certains soient entendus comme témoins alors que d'autres ne le sont pas du tout bien qu'ils se trouvent dans les mêmes conditions : celles d'avoir établi des conventions de réduction pour le personnel avec Khalifa Airways et des placements à El Khalifa Bank, et d'avoir reçu des cartes de thalassothérapie ou encore des cartes de voyages gratuites en contrepartie. Les cadres de la Dgsn ont été destinataires de nombreuses cartes de gratuité, selon les déclarations de Belrabi Salah Hamdane, ex-président du conseil d'administration de la Mutuelle de la Dgsn, qui a été à l'origine du placement des fonds de cette «association». Mais à voir l'ordonnance du juge, ces derniers n'ont pas été entendus. Même pas à titre indicatif. Il y a également les noms de ces personnalités qui ont bénéficié des privilèges de la Banque El Khalifa ou de la compagnie aérienne de ce groupe qui n'ont pas été inquiétés. Ces derniers ont été cités par la secrétaire personnelle de Abdelmoumène Khalifa, Iouaz Nadjia, lors de son audition par le juge d'instruction... Car, lors de ce procès, le témoignage d'Iouaz sera des plus soft. En réalité, le président ne s'est pas référé à son audition devant le juge d'instruction pour poser les questions et s'est contenté de généralités. Personne n'expliquera aussi, le cas de ce témoin, l'ex-directeur de l'agence de Koléa d'El Khalifa Bank où un préjudice de 1,4 milliards de centimes a été constaté et qui après avoir été accusé dans un premier temps d'association de malfaiteurs, a été innocenté par la chambre d'accusation. Il y a aussi le cas de cet autre ex-accusé qui a purgé sa peine en bénéficiant d'une grâce présidentielle parce que le parquet, et c'est une première dans les annales de la justice, a retiré sa cassation. Mir Sid Ahmed, pour ne pas le citer, n'a pas répondu à l'appel du tribunal pour témoigner. Ni lui, ni d'ailleurs cette dame qui est venue témoigner en 2007 et s'est abstenue de se présenter cette année, alors qu'elle a reçu la somme de 500 millions de centimes de Abdelmoumène Khalifa sans les rembourser. Othmane Bouchouarb, également témoin absent à ce procès, a déclaré avoir remis en mains propres et sans témoins une somme dépassant les 14 milliards de centimes à Abdelmoumène Khalfia pour rembourser un crédit obtenu à l'agence de Koléa. Mais Benouis Lynda qui a soutenu avoir remboursé le prêt de 900 millions de centimes à Abdelmoumène Khalifa a été condamné une première fois en 2007 à de la prison avec sursis et risque 5 années de prison ferme en 2015 suite au réquisitoire du parquet. Il y a enfin l'absence remarquée de Mourad Medelci, ministre des Finances à l'époque qui avait en 2007 engagé la responsabilité de tous les ministres en poste à l'époque et celle de tous les dirigeants des institutions de l'Etat. Ce dernier, en affirmant avoir envoyé une circulaire rappelant que les entreprises étatiques devaient placer leurs fonds au niveau du Trésor public et que la loi de Finances complémentaire de l'année 2000 a également fait état de cette circulaire, avait mis à nu la négligence dans la gestion de tous ces hauts cadres de l'Etat. Abdelmoumène Khalifa soutient que l'argent n'est pas chez lui. Où sont passés les milliers de milliards de dinars algériens. L'argent de Khalifa Bank n'est ni dans les banques étrangères, ni dans des sociétés off shore ni dans des paradis fiscaux ! Où est t-il alors ? Il est vrai que l'acte de gestion est dépénalisé. Mais est-ce que le gestionnaire a le droit de prendre des risques sans les mesurer avec l'argent de l'Etat, et sa tutelle a-t-elle le droit à la négligence ? Surtout si cette dernière explique sa négligence et sa mégarde en invoquant des échappatoires saugrenues comme le fait que «les contrôleurs de la Banque d'Algérie n'étaient pas assermentés pour la rédaction d'un rapport d'infraction», celui de «l'absence d'information de l'existence des filiales d'El Khalifa Bank» ou encore «l'absence de rapports sur les placements des entreprises nationales dans les comptes de cette banque privée». En 2007 déjà, il était impossible de croire que le premier responsable du Trésor public (témoin absent à ce procès), l'institution qui a comptabilisé la sortie de tous les fonds des entreprises publiques vers El Khalifa Bank, ne soit pas au courant de ces transferts. En 2015, la question est passée sous silence. Une manière de la faire admettre par l'absurde. Et ce n'est qu'une question parmi tant d'autres qui restera sans réponse. Comme celle de savoir où sont passés ces milliers de milliards de dinars algériens. L'argent de Khalifa Bank n'est ni dans les banques étrangères, ni dans des sociétés off shore ni dans des paradis fiscaux ! Où est t-il alors ? L'autre question qu'il faut se poser est celle de savoir pourquoi celui qui a eu le génie de monter si vite aux cieux de la fortune et de la gloire n'ait pas eu l'intelligence moyenne de se prémunir contre une éventuelle chute dans les profondeurs de l'enfer ? Comment se fait t-il que malgré sa fortune supposée et l'intelligence qu'on lui prête, Mouméne Khalifa n'ait pas été en mesure d'acheter, une autre situation et une autre vie dans un paradis fiscal ? Enfin de compte même si Abdelmoumène Khalifa a été extradé vers l'Algérie et est jugé et même si 71 autres personnes, les seconds couteaux, attendent la peur au ventre le verdict du tribunal criminel qui déterminera aujourd'hui leur destin, le scandale d'El Khalifa Bank restera une tare dans l'histoire du pays et comme l'a déclaré le liquidateur, Moncef Badsi «Nous devrions tirer la leçon de cette expérience car c'est le témoignage d'un état de faiblesse et de précarité du pays». Notons enfin que le tribunal criminel et après avoir répondu aux 14 000 questions relatives aux 71 accusés (absent du procès, le 72e accusé, Sedrati, est concerné par la procédure de contumace) rendra aujourd'hui son verdict. H. Y.