Propos recueillis par Saïd Rabia Pour l'opinion internationale, l'Iran est entré dans une nouvelle ère avec un président plus modéré ; comment évaluez-vous le bilan de Rohani ? Tout d'abord, je dois rappeler que le bilan scandaleux du président des mollahs, Hassan Rohani, durant les deux années de son mandat ne se limite pas uniquement à l'aggravation des violations des droits de l'homme en Iran, avec plus de 1800 exécutions. Le nombre de pendaisons durant les 12 premiers jours du mois de juin s'élève à une centaine. Sous la présidence de Rohani, la pauvreté, l'inflation et le chômage se poursuivent et dans certains domaines la situation économique s'est aggravée. Il suffit de constater que le nombre des chômeurs a atteint la barre terrible de 15 millions de personnes. Dans sa politique étrangère, c'est le soutien indéfectible et criminel à la dictature sanguinaire de Bachar Al Assad qui retient l'attention. Il y a tout juste deux semaines, lors de sa rencontre avec le président «décoratif» du Parlement d'Assad, Rohani a de nouveau réitéré en des termes on ne peut plus forts le soutien total de son régime à ce dernier. Ce soutien ne se limite pas à des paroles, il se traduit par une aide matérielle et économique évaluée à plusieurs milliards de dollars, alors que le peuple iranien vit dans le dénuement. Le régime envoie par ailleurs massivement ses pasdarans et les milices qui lui sont inféodées en Syrie. Assad doit au régime du Guide suprême sa survie jusqu'à ce jour. Rohani suit la même politique dictée par Khamenei en Irak, au Yémen et dans les autres pays arabes. Mais heureusement, la stratégie d'expansion et d'exportation de l'intégrisme et du terrorisme que le régime poursuit est en train d'échouer. Cette stratégie fut surnommée par Khomeiny dans son testament «l'exportation de la révolution». Si les mollahs trouvaient du répit, ils engloutiraient dans le sang le monde musulman de l'Afghanistan et du Pakistan à l'Afrique du Nord et au Maghreb en passant par Sanaa et Riyadh. Quelle est, aujourd'hui, la place de l'opposition iranienne dans votre pays d'abord, ensuite au plan international ? La position de la résistance peut être appréciée dans l'attitude du régime à son égard. Tant à l'intérieur que sur la scène internationale, le régime considère cette résistance comme sa principale menace. Les 120 000 martyrs de la résistance témoignent de l'étendue et de la variété de sa base sociale. Un recueil de la liste de 20 000 de ces martyrs a été réuni par la résistance iranienne. La résistance bénéficie de vastes réseaux de sympathisants, parmi les familles des martyrs et des prisonniers politiques. Les réseaux de la résistance ont joué un rôle déterminant dans les mouvements de protestation et les révoltes en Iran. Celles-ci sont particulièrement efficaces en raison de leurs entrées au sein du régime des mollahs pour s'informer des activités illicites des mollahs, notamment dans le domaine nucléaire, balistique, les activités de la force Qods des pasdarans et les violations des droits en Iran. C'est également grâce à sa base sociale que la résistance a pu préserver son indépendance financière. Un des points forts de ce mouvement est sa capacité organisationnelle et de mobilisation parmi la jeunesse et les femmes. Dans le contexte des crises socio-économiques et politiques du régime, ceci constitue un avantage de taille. Pour véhiculer le message politique de la résistance parmi la population, notre mouvement est doté de relais importants, notamment une chaîne de télévision par satellite qui diffuse 24h/24 (IranNTV ou Simayé Azadi - «l'image de la liberté») et des réseaux sociaux très actifs sur internet. La campagne de diabolisation systématique menée par le pouvoir à l'encontre de la Résistance iranienne est un autre signe. Dans ses échanges diplomatiques, le régime ne rate aucune occasion pour exiger des restrictions à notre encontre. Dans le pays, tout lien avec notre mouvement équivaut à la peine de mort. La propagande des mollahs se manifeste par la publication sur commande de centaines de livres et pamphlets et l'organisation de centaines de conférences et d'expositions pour tenter de contrer l'attrait de la jeunesse pour la Résistance. Lors du soulèvement populaire de 2009, le régime a reconnu le rôle déterminant de l'OMPI dans l'organisation de plusieurs manifestations. Or, le pouvoir propage l'idée que la Résistance est dénuée de base populaire afin de justifier sa domination. Nous avons répondu à plusieurs reprises en le sommant à se plier à l'exercice d'une élection libre pour établir enfin qui bénéficie en Iran d'un véritable soutien. Hélas, des élections libres sont une ligne rouge pour les mollahs. Par ailleurs, sur le plan international la Résistance a pu incarner une alternative politique crédible dotée d'une plateforme et bénéficiant d'une reconnaissance appréciable sur le plan international. Le Parlement en exil du conseil national de la résistance iranienne a plus de 500 membres. Notre programme se résume dans des valeurs fondamentales : la démocratie, la laïcité et l'égalité. Nous préconisons une République basée sur la séparation de l'Etat et de la religion, le pluralisme politique et l'égalité entre les hommes et les femmes dans la direction politique du pays. Vous avez choisi, au début de votre mouvement en 1965, l'action militaire contre la monarchie d'abord, puis contre le régime des mollahs ; l'Organisation des moudjahidine du peuple iranien a été inscrite sur la liste des organisations terroristes par les Américains, avant qu'elle ne soit retirée en 2012... Pensez-vous que l'incompréhension des occidentaux vous a cruellement pénalisés ? Le problème central avec les gouvernements occidentaux n'est pas leur manque de discernement. Mais plutôt une tendance à la complaisance vis-à-vis du régime iranien, mue par des considérations diplomatiques et commerciales. Aussi bien les Etats-Unis que l'Union européenne ont reconnu dans la presse avoir inscrit l'OMPI sur les listes des organisations terroristes à la demande de Téhéran, ou comme gage de bonne volonté envers le régime iranien. Heureusement, notre Résistance a pu mener un combat juridique et politique inédit. Elle a remporté succès après succès dans une vingtaine de tribunaux en Grande-Bretagne, au Luxembourg, en France et aux Etats-Unis. Ce mouvement a contraint ces gouvernements à retirer l'OMPI de leurs listes noires et de reconnaître le bien-fondé du combat de la résistance du peuple iranien pour le renversement de la tyrannie en Iran. Dans le non-lieu rendu en mai 2011, le juge antiterroriste français a souligné dans sa décision que les opérations de l'OMPI en Iran contre les cibles militaires relevaient d'actes de résistance légitime. Et à Achraf, le juge a estimé que l'action de la Résistance sous la forme d'une armée conventionnelle et conforme au droit international ne pouvait être assimilé à du terrorisme. Le maintien de l'OMPI sur ces listes noires durant ses 15 années a été une aide perfide apportée par les gouvernements occidentaux aux mollahs afin de barrer la route à son renversement. En outre, à la demande expresse des autorités iraniennes, le gouvernement américain a procédé en 2003, lors de l'invasion de l'Irak, au bombardement des bases de l'OMPI et au désarmement de l'Armée de libération nationale iranienne. Ensuite, en violation flagrante des conventions internationales, il a confié au gouvernement de Maliki, inféodé à l'Iran, le contrôle du camp d'Achraf en 2009. Plus grave, il n'a pas réagi pour empêcher une série de six tueries et massacres des habitants d'Achraf et de Liberty par les forces irakiennes. Cela a été un autre volet de l'assistance apportée au régime des mollahs qui fait subir au peuple iranien de graves préjudices. Par ailleurs, lors du soulèvement historique et massif de la population en 2009 pour le changement de régime en Iran, le gouvernement américain a tourné le dos aux manifestants et a préféré envoyer les émissaires du Département d'Etat pour rencontrer les représentants d'Ahmadinejad. C'est pourquoi nous avons toujours répété que le peuple iranien et sa Résistance ne demandent à l'Occident ni argent ni armes, mais lui demandent seulement d'adopter une position de neutralité entre le peuple iranien et le fascisme religieux du guide suprême dans ce pays. Estimez-vous que l'occident dont vous aviez dit qu'il a ignoré la résistance iranienne s'est corrigé aujourd'hui ? Et de quelle manière, selon vous, cela devrait influer sur le cours de votre mouvement et celui des événements en Iran même, puisque le président Rohani, se présentant comme un modéré, semble desserrer l'étau un tant soit peu sur le régime des mollahs ? Les changements que nous constatons ne découlent pas de la politique occidentale, mais de l'ampleur des crises auxquelles est confronté le régime. Le principal facteur de ces crises est à chercher dans l'aggravation des conditions de vie de la population et le mécontentement populaire. Ces derniers mois, nous avons été témoins, presque quotidiennement, de grèves et rassemblements des travailleurs, des enseignants, des étudiants et des minorités opprimées tels que les Baloutches, les Arabes et les Kurdes. Ces manifestations ont parfois abouti à des révoltes, comme au mois de mai à Mahabad (à l'Ouest de l'Iran) et à Iranchahr (à l'est de l'Iran), où les manifestants ont incendié des édifices gouvernementaux. Les mollahs sont profondément inquiets de la répétition des révoltes de 2009 à l'échelle nationale. Ceci est l'une des causes qui a amené les mollahs à accepter de négocier sur le programme nucléaire et de signer un accord provisoire à Genève pour limiter sa capacité d'enrichir l'uranium. Les mollahs n'ont pourtant jamais renoncé à l'idée de fabriquer une bombe nucléaire. C'est la crainte de l'explosion sociale qui a fragilisé le régime face aux sanctions économiques internationales. Les mollahs ont perdu en Irak leur gouvernement fantoche incarné par Nouri Al- Maliki, et le génocide de la population sunnite par la force Qods des pasdarans n'a pas réussi à réparer les pots cassés et ramener l'Irak sous sa domination. En Syrie, la situation de l'allié des mollahs de Téhéran, à savoir Bachar El-Assad, est plus que jamais déstabilisée depuis le début du conflit qui dure depuis quatre ans. Et au Yémen, dans une erreur de calcul stratégique, Khamenei a poussé les Houthis à s'emparer de Sanaa et d'Aden, et du coup a provoqué la formation d'une coalition arabe sans précédent contre son régime. Il s'agit durant ce quart de siècle de la plus grande confrontation des Etats arabes avec le régime iranien. Quelle est aujourd'hui, en fait, la place de votre mouvement, du Conseil de la résistance iranienne dans l'échiquier géopolitique régional, avec la grande menace que représente l'Etat islamique ? Depuis trois décennies, la résistance iranienne, qui est la principale force de persévérance face au régime du Velayat-Faghih (Guide suprême) qui sévit en Iran, représente la solution au problème de l'intégrisme et de l'extrémisme qui abuse de l'islam et dont le régime est l'épicentre. Bien que des formes d'interprétations réactionnaires et déviantes de l'islam aient déjà existé dans les pays de la région, c'est seulement après l'installation de la dictature religieuse par Khomeiny en Iran et sa transformation en un modèle pour les intégristes que la mouvance extrémiste au nom de l'islam a pris forme sous sa forme actuelle. Ce modèle cherche à imposer par la force brute aux autres sociétés sa vision moyenâgeuse sous le couvert de l'islam. Ce régime n'a pas été qu'une source d'inspiration pour ces mouvances. Les mollahs de Téhéran n'ont pas été en reste dans le soutien politique, idéologique, logistique et financier à l'intégrisme et au terrorisme dans le monde. La théocratie de Téhéran est le précurseur du développement de ce phénomène néfaste dans la région. Le terrible massacre des centaines de milliers de nos frères et sœurs syriens par la dictature de Bachar Al Assad, et le génocide des sunnites par le gouvernement Maliki en Irak, qui furent possibles grâce à l'instigation et l'aide des mollahs d'Iran, ont eu un rôle direct dans l'apparition de Daech. Outre le lourd tribut payé par l'opposition iranienne — avec 120 000 de ses membres exécutés — dans une lutte effective contre le régime iranien qui est à l'origine du phénomène intégriste, celle-ci a également été engagée à apporter des réponses politiques et idéologiques dans ce combat. D'autant plus qu'avec son attachement à l'essence libératrice de l'islam, l'Organisation des moudjahidine du peuple d'Iran (OMPI) a défendu à son corps défendant le message de compassion, de liberté et de tolérance, réussissant à avoir un impact considérable dans l'échec culturel et social de la conception intégriste de l'islam en Iran. Nous appelons les pays de la région et du monde entier à soutenir cette alternative qui représente l'islam démocratique et incarne l'antithèse à l'intégrisme islamiste. Une alternative qui assèche cette barbarie à sa source idéologique et qui s'engage sur le plan politique au renversement de la dictature religieuse en Iran. Car nous considérons qu'avec le renversement de ce phénomène en Iran, les milices commandées par la Force Qods des pasdarans, telles que le Hezbollah libanais, l'Ansarollah yéménite et les multiples groupuscules en Irak disparaîtront très rapidement, de même que l'environnement deviendra invivable pour des groupes intégristes comme Daech ou Al Qaîda.