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La culture des incertitudes
À Annaba, la commune d'El Hadjar compte ses anomalies
Publié dans El Watan le 12 - 09 - 2006

Les administrés n'accordent plus aucune crédibilité à ce qui se passe dans l'institution communale où dans la perspective d'une éventuelle décision de dissolution, certains élus tentent d'engranger le maximum de dividendes. Le lourd dossier portant sur de nombreuses anomalies dans la gestion des marchés publics, du patrimoine mobilier et immobilier et du foncier sur lequel enquête la gendarmerie est très lourd.
Un autre similaire végète dans un des bureaux de la wilaya. Ainsi, alors que le rideau est tombé sur la récente affaire de harcèlement sexuel, impliquant un des vice-présidents inculpé et incarcéré, retentissent les coups de l'aggravation de la précarité économique et sociale. Celle-ci touche la majorité des 35 000 habitants que compte cette commune, l'une des plus anciennes d'Algérie. Elle est située à 11 km du chef- lieu de wilaya. Confrontés à une APC « assoupie », ces administrés ont pris pour culture l'incertitude tout en se nourrissant de l'espoir de voir un jour les plus hautes instances du pays se pencher sérieusement sur leur situation. Ils sont Hadjaris sans états d'âme et de la paysannerie sans complexe. Agriculteurs de père en fils, les habitants vouent au travail de la terre un amour profond. Leur dynamisme et leur enthousiasme notoires avaient transformé le petit bourg qu'était Duzerville des colons, El Gahmoussia des lendemains de l'indépendance en une commune riche et prospère. Devenue El Hadjar, cette ville blanche et bleue avait grésillé, été comme hiver, sous la chaleur des hauts fourneaux du complexe sidérurgique qui porte son nom. C'est un grand village qui, comme une femme lascive, est ceinturée par des milliers d'hectares de bonnes et généreuses terres agricoles. Elles forment plus de 85% des 62 km² de son territoire. Jusqu'à la fin des années 1980, son essor s'inscrivait dans l'histoire de la politique d'industrialisation de notre pays. Timide à ses débuts, l'utilisation du système d'irrigation au goutte à goutte à tendance à s'amplifier. En 2005, ce sont 116 ha de maraîchages et 237 autres en arbres fruitiers qui en bénéficient au moment où la plasticulture connaît un réel essor. De vocation agropastorale, la commune s'était, de fait, plongée dans une multitude de défis. La communauté d'agriculteurs et d'éleveurs qui la composait s'est superposée à celle des travailleurs du fer et de l'acier. L'explosion de sa démographie a grandement contribué à la modification de son territoire et du cadre de vie de ses habitants. Rude, très rude que cette transplantation de deux activités dans le corps d'un terroir combien fertile. C'était l'époque des oratoires improvisés du parti unique. Les Hadjaris en sont sortis vaincus, assommés par la culpabilité de ne pas avoir défendu leur vocation au moment où il le fallait. En 2005, déboussolés, désorganisés et intimidés, les habitants se consacrent à trouver une solution à leurs problèmes quotidiens. La mutation des mentalités, qui a évolué en profondeur et dans le mauvais sens, a chambardé les comportements. Confrontés à la corruption et au trafic d'influence des gestionnaires, ils ne cessent d'exprimer leur désarroi d'un quotidien chaque jour de plus en plus difficile. Trente huit ans après la mise à feu du premier haut fourneau du complexe sidérurgique de la SNS, les Hadjaris se sont mis à repenser leur identité, celle-là même que les colons n'avaient pas réussi à leur enlever. En perpétuel état d'accusation face à des actions économiques, sociales, culturelles et sportives lancées loin de toute transparence, les élus en sont réduits à la défensive. Sur les 67 délibérations qu'ils ont approuvées au courant de l'année écoulée, 9 ont été rejetées par l'autorité de tutelle. En ce qui concerne les projets sectoriels, les habitants ont accueilli avec satisfaction la réalisation d'un hôpital 120 lits, un programme de 826 logements sociaux locatifs, un important tronçon de route à double sens Annaba/Guelma et Annaba/Souk Ahras, une conduite d'alimentation en gaz naturel longue de 10 km dans les localités de Zemmouria, Moukawama I et II et Mars Amar et une autre de 12 km pour l'eau potable. Ils se posent, par contre, bien des questions sur le retard mis dans la concrétisation des projets à la charge de la commune.
La population exacerbée
Exacerbés, les Hadjaris se sont exprimés lors de la réunion du conseil exécutif de la wilaya tenue récemment dans leur commune. Leurs expressions reflètent le malaise général et mettent au jour un véritable nœud de frustrations diverses. Il y a d'abord celui profond généré par les frictions internes du conseil communal, l'insuffisance des moyens financiers, le chômage qui n'épargne aucune génération des deux sexes en âge de travailler, le taux le plus élevé d'Algérie des divorces, la misère et la crise du logement. Dans leurs propos, se multiplient les exemples des contradictions qui empêchent la commune de passer de l'inertie à la capacité de propositions, allant dans le sens de la prise en charge de leur quotidien. Comme des commissaires aux comptes, ils ont comptabilisé les problèmes et les affaires louches qui ont caractérisé la gestion de leur commune. Ils en ont cité plusieurs, tels les projets lancés il y a quelques années toujours inachevés, ceux en attente pour des raisons inexplicables, l'absence des titres de perception des biens mobiliers et immobiliers de la commune, le trafic d'influence, les attributions des locaux du marché couvert aux copains et aux coquins, le détournement du patrimoine communal, le trafic sur le foncier, l'absence d'administrateurs en titre dans la commune, le flou caractérisant la gestion du filet social. Ils ont également abordé ce qu'ils qualifient de mainmise de certaines associations civiles sur les activités de l'APC el Hadjar. Des activités sur lesquelles enquêtent les différents services de sécurité. Notamment celles liées au détournement par un élu des arrosoirs du stade communal, des neuf délibérations allant dans le sens du « donnant, donnant » sur des attributions de locaux, tels l'ancienne agence Air Algérie, des terrains fonciers et les 270 bénéficiaires du filet social dont 90% sont des femmes divorcées. « Par quel miracle un handicapé à 100% peut-il gérer un parking de stationnement des véhicules et que des commerçants arrivent à bénéficier du filet social et des aides que verse la commune ? La majorité de nos élus ne s'intéressent qu'à leurs propres intérêts. Rien ne se fait pour la population en butte à la misère car vivant sous le seuil de la pauvreté. La crise du logement est à l'origine du taux, l'un des plus élevé du pays, des divorces. Voués à un chômage chronique donc à l'oisiveté, nos jeunes sont contraints de verser dans la délinquance. A eux seuls, le chef de daïra et le président de l'APC, dont il faut souligner les efforts, ne peuvent rien. Les autorités locales doivent décider du sort des élus mis en état de suspicion par les services de sécurité. El Hadjar est une poudrière qui risque d'éclater à tout instant », affirme Abdelaziz B. 42 ans, célibataire au chômage depuis plus de cinq années après son retour d'Allemagne où il avait émigré. Cette exacerbation n'a pas surpris le directeur de l'exécutif. Très attentif aux propos des uns et des autres des représentants de la société civile dont les comités de quartier, il a supporté toutes les interpellations. Après avoir pris des notes, il a imposé à ses proches collaborateurs, non sans avoir rabroué certains d'entre eux, à répondre. Profitant de ce contact direct avec les citoyens de cette ville, le wali a souligné la nécessité du travail de proximité avant d'affirmer : « je constate que les élus de cette commune ne remplissent pas la mission attendue d'eux par les citoyens. Nous ferons en sorte, et le chef de la daïra en est instruit, que ceux qui ne veulent pas travailler plient bagages. » L'avertissement fait suite à l'état des lieux de la commune d'El Hadjar établi par le chef de la daïra. Il est justifié par les 13 opérations non réalisées dans un cadre ou une autre du développement de la commune sur les 69 opérations inscrites en 2004 nécessitant 530 millions de dinars. c'est presque une situation similaire vécue en 2005 avec 29 opérations, l'équivalent de 121 milliards de dinars. Le brouhaha, qui s'en est suivi dans la salle de réunion d'un CEM très mal entretenu, est révélateur du marasme auquel est confrontée El Hadjar. Aux problèmes socioéconomiques, se sont greffés ceux liés à la pollution de l'environnement, la dégradation du cadre de vie des habitants, l'accroissement de la précarité et la remise en question des acquis sociaux. Atteinte de plein fouet par la crise économique des années 1990 avec la disparition de la majorité des entreprises publiques et le peu d'engouement des investisseurs privés, la commune s'est appauvrie chaque année un peu plus. Ce qui a eu pour conséquences, outre le chômage chronique, la perte des repères, la fuite des valeurs, la croissance des disparités et le mal de vivre d'une population déprimée. La liste des symptômes, plusieurs fois répétée par les citoyens d'El Hadjar, est longue. Elle décrit une vraie pathologie collective. Cette situation, les économistes l'imputent à la mauvaise gestion de la commune : « El Hadjar aurait pu éviter ce marasme économique et social si les élus avaient travaillé dans le sens de la préservation de la normalisation de l'économie locale qui, jusqu'à la fin des années 1980, avait permis l'adaptation de l'appareil productif industriel à celui agricole. A l'époque, les Hadjaris avaient un niveau de vie moyen qui supportait bien la comparaison avec leurs voisins de la commune de Annaba. Ils ne l'ont malheureusement pas fait. Aujourd'hui, tout est bouleversé. L'identité collective est malmenée et le tissu social déchiré. La population a enterré ses illusions. Le symbole d'El Hadjar capitale de l'acier a sombré dans les affaires personnelles, la magouille et les luttes intestines que se livrent les élus de cet APC », indique un enseignant en économie à l'université Badji Mokhtar distante de 3 km d'El Hadjar. Dans les cités, quartiers, localités de cette commune, on s'alarme de l'ampleur du fossé qui se creuse entre les nouveaux riches dont celle des élus et celle des exclus. Dans le désert rural et dans l'insécurité sociale, plus de la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté. La dilapidation du patrimoine immobilier, la saturation totale du foncier, le laisser-aller dans la prise en charge des locaux et les établissements à récupérer, tels l'ancien tribunal et le siège de l'Orelait, le centre de santé. Tous ces locaux sont inoccupés depuis des années et achèvent un décor bien sombre d'une commune livrée à elle-même. Riche en recettes fiscales durant les années 1980, la commune a compté et recompté celle bien maigre de 99 millions de dinars encaissés en 2004 et 86 millions de dinars à novembre 2005. Et si la commune pavoise dans le domaine du transport et de la santé couvrant largement les besoins de sa population, elle ne fait rien pour l'entretien de ses routes dans un état de dégradation avancée. Elle ne fait également rien pour récupérer les 54 millions d'arriérés de loyers impayés à ce jour et mettre en conformité son marché hebdomadaire à l'origine de bien de soucis des riverains où il est implanté. Au chômage, la jeunesse n'en finit pas de compter les heures d'inactivité passées dans les cafés de la « place rouge ». Beaucoup discutent sur la chance qu'ont eue plusieurs d'entre eux à décrocher en 2005, un des 115 contrats de travail emploi des jeunes, le visa pour la création d'une des 139 micro entreprises, un des 662 postes de travail créés par la commune, des 901 autres permanents dans des entreprises et les 9 créateurs d'entreprise individuelle de l'Angem. Hier, fière de ses 19 disciplines sportives, dont le football, la boxe et le cyclisme, le seul club sportif l'Itihad Baladiat El Hadjar n'est plus qu'une ombre. N'était le football qui survit et auquel la wilaya a accordé une bien maigre subvention de 950 000 DA pour l'année 2005, l'activité sportive aurait totalement disparu. Réalisé à coups de milliards, son stade en gazon naturel, mais sans projecteurs, se dégrade faute de maintenance. Hier, connue pour ses troupes folkloriques à grand succès, El Hadjar vit aujourd'hui au rythme d'une culture fantomatique.La relance de ce secteur pourrait intervenir avec l'ambitieux programme d'animation élaboré par la direction de la culture de la wilaya. En attendant de revivre le temps de l'insouciance générée par la production du fer et de l'acier, les Hadjaris pourront toujours cultiver les incertitudes. Ils continueront à vivre au contact des égouts crevés, odeurs nauséabondes, chaussées déformées, éclairage public déficient, compter et recompter le nombre des nouveaux couples divorcés, avec ou sans enfants.


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