L'opéra est plus que jamais un art actuel. L'enlèvement au sérail transposé dans la barbarie terroriste islamiste, a suscité interrogations et débat, même si elle a mis à mal l'œuvre du génial Mozart. Le metteur en scène Martin Kušej et le dramaturge Albert Ostermaier ont trop lu entre les lignes le texte du livret de Gottlieb Stephanie d'après Christoph F. Bretzner. Ils font ressortir de L'enlèvement au serail de Mozart la violence qu'il recèle. Les auteurs ont estimé que de cette amusante pièce du XVIIIe siècle on pouvait faire une lecture contemporaine, dramatique, surtout que depuis la Syrie et l'Irak, le groupe Etat islamique marque le tempo de l'horreur dans le monde entier. Kušej et Ostermaier ont écrit de longs récitatifs, qui en deviennent pénibles, à force de lourdeur, transformant l'opéra de fond en cale, faisant passer la belle musique et les beaux airs du compositeur autrichien à l'arrière-plan. Si on peut pardonner la transposition, il est difficile d'accepter qu'ils aient presque réussi à zapper Mozart, comme pris en otage de ce qu'ils veulent dénoncer. L'orchestre splendide dirigé par Jérémy Rhorer et les chanteurs sans reproche ne peuvent maintenir le navire à flot. Pauvre Mozart, jamais sans doute on aura autant trahi sa truculence et sa dérision. L'œuvre avait été composée à Vienne par le jeune Wolfgang Amadeus Mozart, âgé alors de 25 ans, en 1782, dans une capitale autrichienne qui avait encore le souvenir inquiet du siège de la ville par les Turcs, cent ans plus tôt. De ce qui était un traumatisme des «hordes barbaresques», pour certains, Mozart écrit une musique aérée, dynamique, splendide, pleine de confiance, «une œuvre empreinte d'humanisme et de tolérance», disait le directeur général du festival lyrique Bernard Foccroule qui prit la parole avant le début de la représentation qui sera donné jusqu'au 21 juillet. Préfigurant Cosi fan tutte (qui sera donné de nouveau l'an prochain à Aix), Mozart compose d'abord un hymne à l'amour qu'aucune tromperie ne peut vaincre, dans un opéra des plus entraînants, avec des arias pour lesquels les chanteurs et chanteuses (deux ténors et deux sopranos ainsi qu'une basse) doivent faire preuve de voltige vocale. Les parties musicales sont dans le mouvement mozartien, enlevées et graciles. Cela sur un livret qui raconte une histoire assez en vogue à l'époque, celle de la rencontre entre deux mondes qui se tournent le dos depuis les fâcheuses Croisades du Moyen-Âge. Il s'agit de ce qu'on appelle une «turquerie», qui tient à distance l'orient, comme on a pu le voir en 2014 dans Il Turco in Italia de Rossini. Cependant, on peut faire une autre lecture, moins comique dans le contexte mondial surtout depuis que depuis la Syrie et l'Irak le groupe Etat islamique marque le tempo de l'horreur, la France ayant été durement touchée depuis janvier 2015. «Suite aux récents attentats, la direction du Festival et le metteur en scène ont jugé que certaines images devenaient insupportables. Deux modifications ont été apportées à la mise en scène», a d'ailleurs précisé M. Foccroule. Quels étaient ces deux changements ? D'abord des inscriptions sur le drapeau noir brandi par les soldats du pacha, faisant clairement référence aux djihadistes. Deuxième entorse à la fin de l'œuvre où normalement les otages sont libérés. De la fin heureuse prévue par Mozart sur un chœur qui glorifie le pacha pour sa mansuétude, les scénaristes tapent fort puisque son lieutenant, Osmin les fait assassiner. Dans la version initiale prévue, il en rapportait les têtes coupées devant son maître. Là, il ne ramène que des linges ensanglantés. Pas très adroit non plus. C'est le sentiment des journalistes critiques, comme Michel Egea sur le blog en ligne en ligne Destimed.fr : «En assassinant les otages, quatre Européens, ce sont les notions d'humanisme, de fraternité, de pardon, de partage, toutes les valeurs du siècle des lumières que Mozart voulait faire partager dans cette œuvre, qui sont anéanties. A l'instar d'autres pans du patrimoine mondial, c'est un peu Mozart, c'est un peu le théâtre, dernière machine à rêve de l'homme, dernier espace de création, c'est la culture que la barbarie intégriste exécute. Et ici, c'est en direct. Malaise». Ce que dit aussi Le Monde qui parle de «le coup de poing de ce déni mozartien pour le moins emblématique (…) L'intention de Mozart fraternelle et ouverte aura ainsi été bouleversée et, plus que ça, sa musique a été anéantie». Mozart abattu par Daech qui n'y est pour rien, l'information va faire le tour de la planète. Walid Mebarek