Lorsque L'Italienne à Alger, son célèbre opéra, est représenté en 1813, Gioacchino Rossini n'a que 21 ans. Et ce n'est presque plus une œuvre de jeunesse car cet extraordinaire compositeur était au travail depuis l'âge de 14 ans. Rossini était un surdoué, un génie précoce dans la lignée de l'immense Mozart. Certains ne manqueront pas de faire le lien car L'Italienne à Alger fait penser à L'enlèvement au sérail de Mozart. L'Italienne à Alger, que la chaîne Arte diffuse en ce mois de juillet, est bien dans l'esprit de ces turqueries qu'affectionnait Rossini et qui traduisaient, comme chez Mozart, une fascination esthétique et philosophique pour l'Orient dont Goethe et Voltaire s'étaient fait les chantres. Comme L'enlèvement au sérail, L'Italienne à Alger est un drame aux connotations ironiques ou transparaît la manière qu'avaient Mozart autant que Rossini de ne pas prendre leur époque au sérieux. L'Italienne à Alger est l'un des innombrables opéras composés par Rossini — plus d'une trentaine. Ce n'est pas son œuvre majeure, car les puristes mettent au-dessus de tout les chefs-d'œuvre absolus que sont Guillaume Tell et Le barbier de Séville. Le grand auteur français Stendhal était un fervent admirateur de Rossini auquel il consacrera un ouvrage biographique. Le romancier était subjugué par le formidable talent du jeune compositeur italien qui avait atteint la parfaite maîtrise des capacités de la voix humaine. Rossini était un forcené du travail et il composait jusqu'à trois ou quatre opéras par an. Au regard de son parcours, le sentiment dominant est que Rossini voulait vite boucler ses créations magistrales pour se tourner vers autre chose, c'est-à-dire au simple plaisir de vivre, car le paradoxe de ce compositeur génial est d'avoir précocement interrompu sa carrière. Est-ce parce que son inspiration s'était tarie ou parce qu'il estimait avoir tout dit ? Il y avait évidemment de quoi se perdre en conjectures, car Rossini était un compositeur doublé d'un brillant esprit, un esthète préoccupé de la portée philosophique de l'existence comme l'avaient été Beethoven ou Berlioz. De tels hommes, pétris de culture, aimaient l'humanisme, ils compatissaient aux souffrances du corps et de l'esprit. Rossini était aussi un homme fait de cette pâte généreuse et beaucoup, aujourd'hui encore, n'en voudront pour preuve que le sublime Guillaume Tell dont l'idéal de liberté qui le traverse et tout autant intemporel qu'universel. Que se serait-il passé alors si Rossini n'avait pas décidé de prendre sa retraite alors qu'il n'était encore qu'un jeune homme au sommet de son art ? Une longue retraite, car Rossini mourra en 1868 à l'âge de 76 ans. Durant les années où il ne fit rien, sa notoriété monta en cadence, car il était devenu un sujet d'intérêt pour les historiens de la musique et pour les biographes qui tentaient de déchiffrer le sens de sa vie. On connaît les exemples de Mozart d'abord, mais aussi ceux de Schubert, de Bizet — autres génies de leur siècle — qui s'en allèrent très jeunes sans avoir parachevé leur œuvre grandiose. Rossini, lui, superposera à sa brève période créatrice la légende d'une retraite dorée mais inexplicable. Son abandon de la scène artistique fait pendant à son irruption fracassante dans le monde de la musique qu'il avait connu au berceau. Rossini était l'enfant adoré d'un couple de musiciens. Sa mère, Anna, était une chanteuse lyrique et son père, Giuseppe, un trompettiste sans réelle envergure. Giuseppe Rossini s'exprima davantage comme révolutionnaire que comme instrumentiste. En raison des activités politiques de son père,Gioacchino Rossini quittera sa ville natale de Pessaro pour bourlinguer à travers l'Italie. Ce n'était pas un enfant comme les autres et ses contemporains le comprirent d'autant plus vite que, dès 10 ans, il faisait figure de virtuose auquel rien de ce qui touche à la voix, aux instruments de musique, à l'harmonie et au contrepoint ne lui était étranger. Certains pouvaient voir en lui la réincarnation de Mozart et Rossini non seulement ne les détrompa jamais, mais marcha dans le sillon du maître autrichien comme en attestera L'Italienne à Alger, un opéra qui annoncera en fait le style de Rossini, ce partage constant entre la gravité et la légèreté sarcastique qui sera porté vers les cimes avec Le barbier de Séville.