A peine la seconde moitié du Ramadhan entamée que les parents, flanqués de leur marmaille, commencent à arpenter artères et rues commerçantes pour se préparer à la fête de l'Aïd. Ainsi, les rues ne désemplissent pas. Automobilistes et piétons participent à l'envi à l'animation cacophonique, surtout dans les alentours immédiats des souks congestionnés par les petits revendeurs à la criée qui écoulent leur friperie. L'espace d'un mois, les petits revendeurs de circonstance font florès et tirent de substantiels dividendes sur la voie publique. Ceux-là mêmes qui, à la faveur du mois de la rahma, sont épargnés par «l'uniforme bleu» qui préfère, Ramadhan oblige, s'accorder une trêve et fermer l'œil sur certaines infractions générées par le désordre du marché informel, devenu de plus en plus pesant sur la fluidité de la circulation aussi bien automobile que piétonne. Advienne que pourra ! Tous les produits - made in ici ou ailleurs - susceptibles de titiller la panse du jeûneur jonchent rues et ruelles. On fait dans la démesure en rehaussant du reste sa meïda d'abondance avant la rupture du jeûne, quitte à faire dans le gaspillage. Comme quoi, abondance de biens ne nuit pas ! Caprices d'enfants Alors que la mercuriale grimpe selon les «nafahate et nachwate» (caprices) ramadanesques qui s'emparent des gens, de petits revendeurs s'arrachent les places à même le trottoir : on squatte un coin de rue, on boucle quelque arpent, on négocie un empan pour vendre son produit... Fête de l'Aïd oblige là aussi, la besace des petits ménages est sollicitée. Elle aussi est mise à rude épreuve pour répondre aux caprices des enfants le jour de l'Aïd et qui attendent de se mettre sur leur trente-et-un. Les parents doivent donc, après avoir été en partie saignés par les dépenses occasionnées par sidna Ramadhan, délier encore plus leur bourse pour permettre à leurs chérubins de jubiler à leur manière, costumes flambant neufs et toutes sortes de jouets qui ne font pas moins peur, comme ces révolvers-joujoux. Certains magasins de vêtements et pôles commerciaux affichant des prix abordables sont littéralement pris d'assaut, au moment où d'autres espaces publics grouillent de monde, comme les Sablettes, l'esplanade El Kettani ou encore la Tahtaha de la Pêcherie qui meuble ses soirées de récitals chaâbis. Le fournil traditionnel Les boulangers, quant à eux, renouent avec la tradition : c'est la période où ils sont le plus sollicités. Le fournil semble rendre service à la ménagère qui lui confie ses plateaux de gâteaux qu'elle a confectionnés chez elle. Autrefois, les fournils étaient mobilisés pour assurer la cuisson jusqu'aux premières heures précédant l'Aïd. On voyait défiler dans certains quartiers de l'antique Casbah des gosses récupérer de chez le boulanger du coin qui disposait d'un fournil les fournées de gourmandises de l'Aïd, qui laissent échapper l'eau de fleur d'oranger, embaumant les venelles du quartier. Ces fours traditionnels étaient disséminés un peu partout dans la médina, que cela soit à Laâqiba, Bab El Oued, El Harrach ou dans d'autres cités. A présent, il n'en subsiste que quelques-uns qui se comptent sur les doigts d'une seule main. «Avec l'avènement du four industriel, le four traditionnel (taa edalâ, ndlr) à brique réfractaire est devenu désuet», fait observer un Casbadji qui se dirige avec son grand plateau à gâteaux vers l'un des derniers fournils, sis à la rue des Dattes, dans l'ancienne médina. L'ambiance était festive, même au niveau des mosquées où jusqu'à la veille de l'Aid les fidèles continuaient à réciter le Coran jusqu'aux premières lueurs du jour de l'Aïd, au moment où, apprend-on, les gestionnaires de la mosquée Safir, à La Casbah, initiaient et sélectionnaient, dans une démarche éducative, de jeunes enfants à s'essayer, l'espace d'une bonne partie de la nuit, à l'exercice de l'appel à la prière (adhân) dans les modes moual ou zidane. Par ailleurs, l'acte humanitaire et les actions de bon Samaritain viennent en aide aux démunis tout au long du mois précédant les fêtes de l'Aïd. Ils sont toujours là ces nécessiteux. On les voit, ces pauvres hères errant dans les gares routières, près des cafés et mosquées ou quémandant quelque obole sous les arcades avec leur marmaille au milieu de la foule dans laquelle ils se fondent. Ils sont là à tendre leur sébile, attendrissant les cœurs en ce mois précédant chouwal.