Longtemps attendue, une loi de finances complémentaire vient enfin d'être adoptée en Conseil des ministres. Elle est censée contenir une stratégie de riposte à la crise énergétique mondiale et destinée à mettre l'économie nationale en position d'en absorber les chocs les plus sévères. Les stratégies similaires mises en place par des pays se trouvant dans la même situation que le nôtre ont toutes en commun les trois objectifs suivants : ajuster les comptes nationaux aux exigences de cette crise ; compenser les pertes financières induites par d'autres ressources disponibles mais laissées en jachère à la faveur des années d'opulence financière ; empêcher que cette crise ne compromette la dynamique de croissance de leurs économies. Au regard de ces trois objectifs fondamentaux, notre loi de finances complémentaire est bien loin de répondre à ce qui était attendu d'elle en termes de décisions et de mesures de nature à prémunir l'économie nationale contre les effets adverses de cette crise qu'elle subit déjà de manière directe et brutale. Sans surprise, une gouvernance défaillante ne pouvait produire qu'une réponse ineffective. Et, de fait, cette loi de finances complémentaire résume à elle seule les errements et les manquements d'une gouvernance dont l'histoire de la dernière décennie, lorsqu'elle s'écrira, retiendra qu'elle aura été celle des occasions perdues, de l'échec répété et des atouts dilapidés les uns après les autres. Durant cette décennie qui s'est distinguée par une opulence financière sans précédent – et sans doute sans espoir de renouvellement – l'Algérie aura été au rendez-vous d'un décollage économique irréversible qu'elle a lamentablement manqué. Dans le contexte d'une bonne gouvernance, cette loi de finances complémentaire n'aurait pas eu de raison d'être. En effet, l'effondrement des cours énergétiques mondiaux s'est amorcé dès la mi-juin 2014. Et c'est donc la loi de finances ordinaire de cette même année qu'une bonne gouvernance aurait saisie comme l'occasion idoine et le cadre le plus approprié pour adopter toutes les mesures correctives que le retournement de la conjoncture énergétique mondiale imposait. De par son exceptionnelle gravité, cette crise exigeait une riposte audacieuse et rapide. Alors que le temps comptait plus que tout, plus d'une année aura été perdue en polémiques intragouvernementales sur la nature de cette crise, en contradiction dans son analyse et en mesures annoncées puis démenties ; en somme, une année précieuse pour l'élaboration d'une véritable stratégie anticrise mais qui n'aura, au bout du compte, servi qu'à révéler l'état de désarroi dans lequel cette crise a mis le régime politique en place ainsi que son incapacité à y faire face avec l'autorité, la crédibilité, la compétence et la confiance en soi requises en pareille circonstance. De même, dans le contexte d'une bonne gouvernance, une telle loi de finance complémentaire, de par ses enjeux et sa teneur éminemment politique, n'aurait jamais dû être adoptée dans la forme d'une ordonnance présidentielle expéditive, autoritaire et dénuée du sens de la responsabilité. De ce point de vue, cinq constats essentiels s'imposent d'eux-mêmes. Le premier constat concerne l'abus récurrent dans le recours aux ordonnances présidentielles envers et contre la lettre et l'esprit de la Constitution. Constitutionnellement, l'usage de cet instrument législatif n'est autorisé que dans des circonstances exceptionnelles et urgentes survenant en dehors des sessions parlementaires. La formulation de la stratégie anticrise que cette loi de finances complémentaire est censée contenir ayant tardé de plus d'une année, qu'y avait-il donc de si exceptionnel et de si urgent pour justifier raisonnablement le recours à une ordonnance présidentielle ? Il y a là un véritable détournement de la disposition constitutionnelle pertinente à d'autres fins que celles prévues. Le second constat est relatif à l'atteinte à l'intégrité des institutions au moyen d'une mainmise sur l'une de leurs prérogatives intangibles. En effet, la première raison d'être des Parlements est de veiller au bon usage des deniers publics. Une loi de finances complémentaire promulguée sans débat et sans aval parlementaire est, du point de vue du principe constitutionnel lui-même, un manquement grave aux exigences de l'Etat de droit. Le troisième constat se rapporte aux conditions dans lesquelles cette loi de finances complémentaire a été promulguée. Une situation de vacances parlementaires a été artificiellement créée en écourtant la session de l'Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation pour libérer la voie à la législation par ordonnance. Cette manière de procéder est inacceptable en ce qu'elle révèle une absence de bonne foi et une manipulation flagrante des dispositions constitutionnelles en la matière et une attitude de mépris à l'égard des citoyens et des institutions supposées les représenter. Et c'est du garant du bon fonctionnement des institutions que provient ce surcroît de discrédit jeté sur l'institution parlementaire déjà lourdement pénalisée par son déficit démocratique. Le quatrième constat a trait à la fermeture des portes du dialogue et de la concertation sur un sujet d'importance et de préoccupation nationale, en l'occurrence la riposte du pays tout entier à la grave crise énergétique mondiale à laquelle il est confronté. Dans le contexte d'un Etat de droit où la citoyenneté et la souveraineté populaire ne sont pas de vains mots, cette riposte nationale aurait requis un débat national. Mais l'expérience et le réalisme commandent de reconnaître et d'admettre que le dialogue, la concertation et l'écoute de l'autre ne comptent nullement parmi les points forts du régime politique en place. Comme toujours, il tient aux décisions unilatérales, aux mesures autoritaires et au passage en force envers et contre tout y compris lorsque, manifestement des situations critiques commandent la recherche de l'entente nationale la plus large. Le cinquième constat concerne, enfin, la contradiction entre le comportement unilatéral du régime politique en place et la nécessaire mobilisation nationale par laquelle devra obligatoirement passer toute riposte effective et crédible à la crise énergique mondiale, qui exige et continuera d'exiger l'effort et le sacrifice de tous. Tardive et adoptée dans des formes plus que contestables et inappropriées, la loi de finances complémentaire ne peut aucunement prétendre tenir lieu de véritable stratégie anticrise ainsi que ses auteurs tentent vainement de la présenter. En effet, rien dans cette loi n'est à la hauteur des défis d'une gravité exceptionnelle que la crise énergétique mondiale pose à l'économie nationale. En premier lieu, la loi de finances complémentaire pêche par une lecture erronée de la nature de cette crise. Contrairement à ses devancières, la crise énergétique mondiale actuelle ne procède pas d'un cycle réversible ; elle est de nature structurelle et annonce déjà des mutations profondes et durables dans le marché énergétique mondial. A cette crise structurelle, le bon sens commande d'opposer une riposte de portée structurelle dont la loi de finances complémentaire ne contient pas même l'ombre d'une ébauche. Dans ces conditions, c'est l'échec répété qui pointe déjà à l'horizon. En second lieu, la loi de finances complémentaire formule un traitement comptable à une crise dont la solution ne peut être qu'éminemment politique. Il s'agit ici de l'existence ou de l'absence d'une volonté politique réelle de sortir du modèle rentier pour mettre, enfin, l'économie nationale sur la voie de la productivité, de la compétitivité et de la performance. Et, de ce point de vue, la seule question qui vaille est celle de savoir si le système politique qui sévit dans notre pays a la volonté ou la capacité de rompre avec le modèle rentier qui lui sert de matrice porteuse sans laquelle son présent serait problématique et son avenir hypothéqué et compromis. En troisième lieu, il est clair aux yeux de tous que le régime politique en place n'appréhende la crise énergétique mondiale qu'à travers le prisme de son maintien et de sa survie. Entre des mesures salutaires pour l'économie nationale mais potentiellement déstabilisatrices pour lui, le choix de ce régime politique est vite fait : il optera toujours pour le statu quo de préférence au changement nécessaire. En quatrième lieu, la vérité commande de dire tout net qu'un régime politique qui a réussi la gageure de transformer une décennie en or en un lamentable gâchis économique n'est certainement pas le mieux indiqué pour conduire le sauvetage de l'économie nationale en ces temps bien moins cléments. En cinquième lieu, l'heure est à la réhabilitation de l'effort et du renouvellement du sacrifice. Qui pourrait en faire la demande à nos concitoyennes et à nos concitoyens et espérer en être entendu, sinon un pouvoir légitime, crédible et bénéficiant de leur confiance ? Seul un pouvoir de cette nature est en mesure de faire accomplir à l'économie nationale le grand saut des réformes et de la rénovation dont elle a cruellement besoin. Il n'est désormais plus possible de dissocier le renouveau économique du pays de la problématique, plus large, de la modernisation et de la rénovation politique et institutionnelle qui presse et pour laquelle le temps nous est compté. Nos gouvernants pensent petit alors que la rare acuité de la crise économique commande le penser grand. Penser petit, c'est réduire le traitement de cette crise à une banale opération de comptes publics à ajuster tant bien que mal – et plutôt mal que bien. Penser grand, c'est se convaincre de l'impérieuse nécessité d'une refonte globale du système économique national au moyen de réformes structurelles profondes et courageuses. L'adoption d'une telle approche a trop tardé pour qu'il soit permis de la différer une fois de plus, qui serait la fois de trop.