Dans la matinée d'hier, trois militaires turcs ont trouvé la mort dans une embuscade tendue par des membres de la guérilla kurde, au sud du pays, dans la région limitrophe de la Syrie. Un événement qui intervient après une semaine de violences ininterrompues. Les troupes de l'armée turque sont encore largement déployées dans le sud-est du pays, une zone largement peuplée par la communauté kurde de Turquie. Depuis une semaine, Ankara a décidé de lancer l'assaut sur le plus puissant parti kurde du pays, le PKK, pourtant non reconnu par les autorités. Hier, ce sont trois soldats de l'armée qui ont été assassinés par les rebelles kurdes qui se sont mobilisés avec une rapidité et une organisation qui ont surpris plus d'un observateur. Une attaque qui ne devrait pas rester impunie, puisque dans la semaine le président turc, Recep Tayyip Erdogan a prévenu que le gouvernement et l'Etat répondraient «avec la plus grande sévérité» à toute tentative visant à déstabiliser la Turquie, faisant allusion aussi bien aux rebelles kurdes qu'à l'organisation de l'Etat islamique (EI), dont la présence dans les régions kurdes du sud-est est avérée. D'ailleurs, plus tôt dans la semaine, une attaque attribuée à l'EI a fait 32 morts dans cette région du pays, ce qui a poussé le PKK à accuser Ankara de «ne pas mettre en œuvre les efforts nécessaires pour assurer la sécurité de la communauté kurde». Depuis, la situation dans le sud-est est chaotique, l'armée doit faire face à deux fronts simultanés et au même endroit. La communication officielle d'Ankara continue de clamer qu'elle mène une «guerre contre le terrorisme». Caution Le terme Daech est soigneusement évité par les autorités turques pour parler de la situation qui prévaut à la frontière avec la Syrie. Et pour cause, le «terrorisme» en question présente désormais deux têtes pour la Turquie d'Erdogan, l'EI et désormais les Kurdes. En effet, dans une allocution prononcée hier en début d'après-midi, le Président islamo-conservateur a fait savoir que les négociations étaient «pour le moment impossibles avec le PKK, et cela restera le cas tant qu'il continuera à menacer l'intégrité nationale du pays». Un dialogue d'urgence avait été initié en milieu de semaine au Parlement entre la majorité du PJD dont est issu le Président et les députés kurdes, sans succès. Aucune des parties n'a reculé devant les conditions de l'autre, si bien que le cessez-le-feu proposé par Ankara a été rejeté par les Kurdes dont un porte-parole a qualifié l'accord proposé d'«infamant et indigne». Sur le terrain, les bombardements aériens de l'armée turque se poursuivent, prenant tantôt pour cible les populations civiles kurdes, tantôt les assaillants de Daech. L'ONU a qualifié lundi la situation de «délicate», alors que son secrétaire général, Ban Ki-moon, a appelé «toutes les parties à éviter de replonger les Kurdes de Turquie dans un conflit meurtrier». Pour sa part, l'OTAN, après une réunion tenue mardi avec le commandement armé turc, a affirmé que «la Turquie avait le droit et le devoir de se défendre contre le terrorisme», donnant ainsi une caution supplémentaire au pouvoir turc dans son offensive. Stratégie Le PKK est considéré comme une organisation terroriste par la Turquie, les Etats-Unis et l'Union européenne, ce qui n'est pas sans donner une certaine légitimité au combat que livre actuellement Erdogan aux Kurdes de Turquie. Le pays est connu pour sa frontière poreuse avec la Syrie, laquelle est devenue un rite de passage pour les nouvelles recrues de Daech, qui rejoignent les camps d'entraînement de l'organisation terroriste via la frontière syro-turque. La stratégie actuelle d'Ankara semble celle de vouloir éradiquer l'EI par une intense sécurisation et militarisation de la frontière, tout en profitant de la confusion qui règne dans la région pour en finir avec la grogne kurde qui n'a jamais réellement cessé. Il s'agit cependant d'un calcul risqué pour Ankara qui, jusque-là, entretient de bons rapports avec le Kurdistan irakien. L'armée kurde irakienne s'est montrée jusque-là suffisamment préparée pour contenir les assauts de Daech en Irak et sert par conséquent de tampon pour la Turquie. Les Kurdes présents en Turquie, en Irak, en Syrie, mais aussi en Iran maintiennent des rapports économiques et sociaux très intenses et une dégradation des relations entre les Kurdes turcs et le pouvoir central ne restera pas sans conséquences sur celles qui rythme l'axe Ankara-Erbil. Si la situation devient hors de contrôle, un effet de solidarité kurde n'est pas à ignorer. En somme, en refusant de trouver un accord équitable avec les Kurdes, Ankara pourrait se retrouver avec deux frontières sous le feu des violences, et surtout deux frontières poreuses avec un Etat qui représente une base-arrière pour Daech. A ce moment-là, gagner la guerre contre le terrorisme deviendra une urgence absolue.