Le dinar se déprécie face à la monnaie américaine. Il est passé de 78,87 DA pour un dollar à fin juin 2014 à 97,66 DA pour un dollar hier. Comment expliquez-vous cette dépréciation ? La dépréciation effrénée du dinar algérien face au dollar américain et à l'euro ne cesse de s'aggraver depuis plus d'une année. Le dinar, défini par un régime de change flottant dirigé, enregistre une marge de fluctuation censée être réajustée par la Banque d'Algérie afin de rapprocher le taux de change nominal du taux de change réel et dans l'objectif d'établir un taux de change effectif réel (TCER), reflétant les fondamentaux de l'économie algérienne, en l'occurrence le niveau des exportations de pétrole, le taux d'inflation, la compétitivité et l'évolution des échanges extérieurs avec les principaux partenaires économiques. Mais la question posée est la chute vertigineuse du dinar face au dollar à un niveau où un dollar américain a franchi la barre des 100 DA, soit une dépréciation de presque de 30% en quelques années. Faut-il rappeler que la loi de finances 2015 s'est basée sur un cours de 79 DA contre un dollar. Ceci dénote d'emblée un défaut de prévision et de vision, même avec un taux de change flottant dirigé. Dans une telle conjoncture, la Banque d'Algérie a-t-elle souhaité la dépréciation du dinar en se servant de simples réajustements artificiels et conjoncturels susceptibles d'amortir ne serait-ce que faiblement le choc extérieur ? Il est clair que le dinar est affecté directement par la dégringolade des prix du pétrole. Le baril de pétrole, coté à environ 110 dollars en juin 2014, a enregistré, depuis, une chute vertigineuse frôlant, à la mi-janvier, la barre des 47 dollars. Un véritable choc pour une économie fortement dépendante du secteur des hydrocarbures, qui contribue à environ 40% du PIB et à 98% des exportations. Les réserves de change sont en train de fondre, passant de 178 milliards de dollars fin 2014 à 158 milliards de dollars à la fin du premier trimestre 2015. Pensez-vous qu'il s'agit plutôt d'une dévaluation qui obéit à la baisse des fondamentaux de l'économie du pays ? En effet, il est fort probable que la chute du dinar est volontairement choisie par les autorités monétaires et financières qui sont en train de faire face au tarissement de la rente. C'est une dévaluation discrétionnaire, consistant à gagner quelques marges en termes d'augmentation de recettes extérieures libellées en dollars américains. Cette mesure permettra une augmentation artificielle de la fiscalité pétrolière, qui s'est érodée en enregistrant une baisse de 28,2% au premier trimestre 2015 par rapport à la même période de 2014. La dévaluation peut créer une illusion monétaire à travers l'augmentation artificielle de la masse monétaire destinée au financement de l'économie, sachant que les liquidités globales des banques ont baissé à fin mars 2015, s'établissant à 2186,81 milliards de dinars contre 2730,88 milliards de dinars à fin décembre 2014. Cette contraction est due à la baisse des dépôts du secteur des hydrocarbures qui a servi longtemps à doper la masse monétaire et les crédits à l'économie. Une telle mesure permettra aussi de créer une illusion de compétitivité-prix, consistant à décourager les importations, les rendre plus chères et amortir légèrement le déficit de la balance commerciale et la balance des paiements. Surtout que la capacité des réserves de change à couvrir les implorations tire vers la fin. Quelles seront les conséquences d'une telle action ? Les ménages et les entreprises seront-ils touchés ? Les entreprises vont être touchées sensiblement par la chute du dinar face au dollar, surtout les industries naissantes d'assemblage qui enregistrent un très faible taux d'intégration. Les prix des inputs importés (matières premières, composants, etc.) vont augmenter et en l'absence d'instruments de gestion de risque de change, les entreprises répercuteront l'augmentation des coûts sur les prix de vente. Ce qui fait que les ménages vont être touchés par cette inflation des produits manufacturés, mais aussi des produits agroalimentaires et pharmaceutiques. Le pouvoir d'achat des ménages s'érodera encore plus et des pénuries vont être enregistrées. C'est une illusion aussi de croire que la dévaluation permettra un avantage d'exportation aux entreprises locales. Ces dernières verront leur capacité de production entravée par la gestion bureaucratique du taux de change et du commerce extérieur. L'appréciation du dollar par rapport à l'euro peut créer une réorientation des importateurs vers la zone euro, qui profiteront des avantages douaniers de l'Accord d'association. La dévaluation touchera tout un circuit d'une chaîne économique et les conséquences vont être préjudiciables. La valeur des actifs industriels, des biens acquis en monnaies étrangères, des projets évalués en monnaies étrangères… connaîtront une dévaluation et perdront leur valeur en termes de garantie et de valeur résiduelle. Les banques vont être également touchées considérablement par la dévaluation des actifs des entreprises clientes. L'augmentation du coût de la vie pour les ménages aura comme répercussion immédiate un effet positif sur l'afflux vers les produits manufacturés importés, mais en même temps négatif sur la consommation interne de produits locaux, dont les inputs sont en majorité importés, ainsi que sur les marchés fonciers et immobiliers qui connaîtront un ralentissement drastique, entraînant une chute de la fiscalité interne induite par ce créneau jusque-là porteur en Algérie. Dans l'absolu, toute dévaluation de la monnaie locale sans production interne est une mesure prise sous la contrainte et engendre plus d'effets négatifs à moyen terme que d'effets positifs à court terme, ses effets étant plus une illusion de réajustement comptable des écritures publiques qu'un redressement effectif desdites finances.