Quand la fille du grand islamologue algérien enquête sur la vie de son père, cela donne le récit original Les vies de Mohammed Arkoun publié récemment par les éditions Barzakh. Le nom de Mohammed Arkoun est un repère incontournable pour tout chercheur en islamologie et, plus largement, toute personne intéressée par le versant lumineux de l'islam. Sa réflexion était un effort constant aspirant à la reconquête d'un islam moderne et tourné vers le dialogue avec l'Autre. Disparu en septembre 2010, son œuvre reste le meilleur témoignage de sa vie. Mais une curiosité bien naturelle pousse le lecteur à vouloir en savoir plus sur la vie privée de ce grand savant discret sur sa vie privée et secret même avec ses proches. Sa fille, Sylvie Arkoun, répond à ce besoin avec un livre rare. En effet, les biographies des penseurs, artistes et autres hommes publics algériens ne courent pas les librairies. Peut-être est-ce culturel, mais la vie privée de nos grands hommes est rarement dévoilée… Encore moins, avec les détails circonstanciés que l'on trouve dans Les vies de Mohammed Arkoun. Sylvie Arkoun, qui vient du monde du marketing et de la joaillerie, a assez peu connu son père. Les moments les plus privilégiés, elle les vit à l'hôpital durant le dernier mois de la vie d'Arkoun. Très affaibli par la maladie, il n'en continue pas moins à recevoir ses disciples et à explorer de nouvelles pistes de recherches. D'ailleurs, le trait qui ressort de sa biographie est son attachement viscéral à ses recherches. Ces dernières passent absolument avant toute autre chose. A partir des derniers moments de la vie de Mohammed Arkoun, l'auteure raconte une vie à rebours au fil de son enquête, qui est aussi une quête. Une quête des origines. Frustrée de ne pas en savoir plus sur son grand homme de père (enterré au Maroc, pays de sa seconde épouse avec laquelle les rapports sont plutôt froids) Sylvie fait son enquête sur les vies de Mohammed Arkoun. «C'est le journal intime de cette enquête que je livre ici : l'enfance de Mohammed Arkoun, sa formation auprès des pères blancs, son arrivée en France en 1954, ses succès universitaires, la rencontre avec ma mère, la tourmente de la guerre d'Indépendance, les paradoxes romanesques de sa vie intime, les multiples facettes du personnage dont certaines que j'ignorais totalement, et par-dessus tout le formidable message d'ouverture lancé à ses frères en religion», annonce-t-elle. Cette enquête est ponctuée par des extraits de la correspondance suivie entre Mohammed Arkoun et Maurice Borrmans, père blanc de Ath Yenni auquel le lie une solide amitié intellectuelle. L'on se rend compte, à ce sujet, que le dialogue interreligieux n'était pas une posture à la mode pour Arkoun mais bien une pratique et une conviction : «J'y consacrerai le reste de ma vie», écrit-il dès l'âge de 26 ans. Et c'est bien ce qu'il fera avec des ouvrages comme Penser l'islam aujourd'hui, Humanisme et islam ou encore La pensée arabe... Les vies de Mohammed Arkoun n'aborde pas les arcanes de la pensée d'Arkoun, mais il éclaire sa pensée d'un nouveau jour, en rapport avec les détails sa biographie. Publié initialement aux Presses Universitaires de France en 2014, l'ouvrage est enfin disponible en Algérie grâce à une réédition chez Barzakh.