La nouvelle est tombée comme un couperet : Ourida Chouaki nous a quittés. La porte-parole de l'association Tharwa Fadhma N'soumer est décédée dans la nuit du jeudi au vendredi, à l'hôpital de Beni Messous, emportée par une maladie fulgurante. Elle avait à peine 61 ans. Dans son entourage, parmi ses innombrables camarades de lutte, c'est l'émotion. Le choc. Sur sa page facebook, les témoignages de sympathie pleuvent. Des photos de Ourida, toujours en action, toujours sur le terrain, à fond dans tout ce qu'elle entreprend, ornent les nombreux messages de reconnaissance qui lui sont destinés. Signe de l'immense toile citoyenne et fraternelle qu'elle a patiemment tissée durant sa vie militante au long cours. Pour avoir fait dernièrement le trajet Alger-Tunis avec elle, en bus, pour le Forum social mondial (24-28 mars 2015), nous pouvons témoigner de son humilité, de sa simplicité, de son engagement tous azimuts, de sa constance dans ses convictions, de son sens aigu de l'organisation, de son abnégation, de sa passion des autres et de sa proximité des jeunes militants. C'est que Ourida n'avait rien d'une «ONGiste 5 étoiles». Son trip, c'était la frugalité d'un repas partagé en bord de route avec ses compagnons de lutte. «Elle est partie debout, comme elle a vécu» Nous appelons sa sœur, Yasmina. Toute en retenue, la voix nouée par l'émotion mais pleine de dignité, Yasmina Chouaki tient courageusement le coup. Cependant, elle s'excuse délicatement de ne pouvoir nous parler de sa meilleure complice. Nous recommande très gentiment une camarade qui a intimement connu Ourida, ses luttes : Aouicha Bekhti. Féministe et militante de gauche, comme Ourida, ancienne du PAGS et du MDS, Aouicha Bekhti a bataillé, battu le pavé, aux côtés de Ourida pendant de longues années. «C'est une perte pour tous les progressistes de ce pays, les femmes et les hommes mais surtout les femmes libres de ce pays !» dit d'emblée Aouicha. «On a reçu un coup de massue. Mais il faut continuer son combat. D'ailleurs, c'est ce que dit Yasmina, du fond de sa douleur. Elle le dit à tout le monde : le seul moyen de l'honorer, c'est de continuer son combat.» L'ancienne membre du bureau national du MDS brosse le portrait d'une femme engagée jusqu'à son dernier souffle : «Jusqu'au bout, elle avait le souci de poursuivre son combat. On était en train de préparer quelque chose pour Ghardaïa. Elle en était l'initiatrice, avec nous, et avant-hier (mercredi, ndlr), on devait avoir une réunion sur la situation dans le M'zab. La dernière chose qu'elle m'ait dite avant d'embarquer dans l'ambulance qui devait l'emmener à l'hôpital, c'était : ‘dis-moi Aouicha, comment s'est passée la réunion d'hier' ?» confie Aouicha Bekhti, avant de lancer : «Ce qu'il faut dire, c'est qu'elle est partie debout, comme elle a vécu.» «Elle descend d'une famille de patriotes» Et pour revenir au parcours militant de Ourida Chouaki, il faut noter d'abord qu'elle est née à Tizi Rached en… 1954. «J'ai l'âge de la Révolution algérienne», aimait-elle à dire avec fierté. Ourida Chouaki va dédier sa vie à la cause des femmes, pour des lois civiles égalitaires, mais aussi à toutes les causes justes. Dans sa jeunesse, c'est l'abrogation du code de la famille qui va devenir le moteur de son combat. Si bien qu'elle s'engagera avec ferveur dans le collectif 20 ans Barakat ! , en 2004. Bien avant cela, le 22 mars 1993, elle est au premier rang de la marche des femmes contre l'intégrisme. Le 14 septembre 1994, son frère, Salah Chouaki, militant du PAGS et pédagogue, est lâchement assassiné. Mais, loin de la casser, de la pousser à l'exil ou au silence, cela ne fit qu'attiser sa détermination. C'est ainsi qu'en 1997, Ourida Chouaki crée avec d'autres féministes l'association Tharwa Fadhma N'soumer dont elle deviendra très vite la figure de proue, aux côtés de sa sœur, l'infatigable Yasmina Chouaki. Yasmina souligne également que Ourida Chouaki était membre du secrétariat international africain de la Marche mondiale des femmes. Militante altermondialiste, elle était, en outre, membre du comité de suivi du Forum social maghrébin. Pour Aouicha Bekhti, ce n'est point un hasard si Ourida Chouaki était sur tous les fronts. «Elle descend d'une famille de patriotes. C'est la petite sœur de Salah Chouaki qui a été assassiné il y a 21 ans. Son père déjà était syndicaliste à la CGT et militant PCA. Donc, elle descend d'une grande famille de patriotes et de militants», argue-t-elle. Il faut souligner que Ourida Chouaki était également universitaire, professeur au département de physique à l'USTHB (Bab Ezzouar), spécialisée en physique des plasmas. «D'ailleurs, ce matin (hier, ndlr), des étudiantes sont venues présenter leurs condoléances et témoigner de la bonté de Ourida. Elles disaient : ‘on n'oubliera jamais ce qu'elle a fait pour nous. Elle nous a beaucoup aidées, elle nous a prises en charge, orientées'. Elle hébergeait aussi celles qui venaient de l'intérieur du pays. De toute façon, ça c'est mon témoignage personnel, la maison des Chouaki a toujours été ouverte à tout le monde», insiste Aouicha Bekhti. C'est tout Ourida : elle se donnait sans compter. «Elle était intègre, entière jusqu'au bout, jusqu'à la dernière minute.» Au nom des militantes de Tharwa Fadhma N'soumer et de toutes les résistantes, Aouicha Bekhti réitère le serment fait à Ourida de porter son idéal citoyen et d'honorer son héritage : «C'est une immense perte et j'insiste pour dire que le meilleur moyen de lui rendre hommage est de continuer son combat. Et on le fera. On le lui promet, on le fera !»