Ce 20 août 2015, nous célébrons deux dates marquantes de l'histoire de la guerre de Libération nationale, en l'occurrence le 60e anniversaire de l'offensive du Nord-Constantinois et le 59e anniversaire du Congrès de la Soummam. Au-delà de l'aspect purement commémoratif et ritualisé, une halte autour de ces deux dates-clés permet d'en savoir un peu plus long sur ce qui s'est réellement passé durant ces deux moments historiques et leur impact sur la suite des événements. Le Musée national du moudjahid, à Riadh El Feth, a pris soin d'organiser, pour cette double halte mémorielle, une conférence fort instructive, hier, afin de disséquer ces deux moments fondateurs qui s'inscrivent en droite ligne du déclenchement de la lutte armée. Dans le petit amphithéâtre du musée, il y avait du monde : des anciens moudjahidine, des chercheurs, des passionnés d'histoire, des officiers de la police et de la Gendarmerie nationales, ainsi que des citoyens «ordinaires» dont certains sont venus avec leurs enfants. Il faut d'ailleurs signaler le succès populaire de ce musée, situé dans le «ventre» de Maqam Echahid, qui draine une foule de visiteurs en ce mois dédié habituellement au farniente et aux plaisirs balnéaires. C'est dire l'attention accrue qu'accordent les Algériens à l'histoire et tout particulièrement à celle du Mouvement national. A la tribune interviendront, tour à tour : Bachir Madini, chercheur en histoire et enseignant à l'université Alger 2, Omar Ramdane, ancien commandant au sein de la Wilaya IV, Salah Benkobbi, membre fondateur de l'Ugema et Mohamed-Salah Bouslama, ancien moudjahid de la Zone 2 (devenue Wilaya II, qui couvrait tout le Constantinois). Dans son exposé, Bachir Madini a d'abord évoqué le contexte du déclenchement des attaques du Nord-Constantinois sous le commandement de Zighoud Youcef, qui avait remplacé Didouche Mourad à la tête de la Zone 2. «La Révolution traversait une phase extrêmement critique. A telle enseigne que Lakhdar Bentobbal disait que si cette offensive avait été retardée, la Révolution aurait été sérieusement compromise», note l'historien. «Desserrer l'étau sur les Aurès» Les dix mois séparant le déclenchement de la Révolution des opérations d'août 1955 ont été marqués, selon le conférencier, par la perte des principaux chefs historiques de la Révolution : le 19 décembre 1954, Badji Mokhtar tombe au champ d'honneur, suivi le 18 janvier 1955 par Didouche Mourad. Le 11 février 1955, Mostefa Ben Boulaïd est arrêté, avant de mourir en chahid le 22 mars 1956. Le 16 mars 1955, Rabah Bitat est, à son tour, arrêté. «C'était un coup dur pour la Révolution», dira M. Madini. Autant dire une hécatombe. L'historien souligne, par ailleurs, que les premiers maquis du FLN étaient en train d'étouffer, notamment dans les Aurès. «Zighoud Youcef a reçu une lettre de la part de Bachir Chihani, chef de la Zone I par intérim, qui lui demandait de faire quelque chose pour desserrer l'étau autour des Aurès.» C'était, d'ailleurs, l'un des principaux objectifs de l'offensive du Nord-Constantinois. Mais par-delà le côté purement tactique et militaire, l'objectif profond était d'opérer une rupture radicale, définitive, entre la population et la France et de faire basculer le peuple dans le combat indépendantiste. «Il fallait en finir avec l'hésitation à en découdre. D'ailleurs, plusieurs partis qui tergiversaient au début ont fini par rallier le FLN», fait remarquer l'historien. Pour ce qui est du déroulement des opérations, «la consigne était d'exécuter les attaques en plein jour, de cibler principalement les installations militaires et économiques et de liquider les traîtres». M. Madini insiste, cependant, sur le fait que «Zighoud Youcef avait ordonné d'épargner les civils européens». La paysannerie rejoint la Révolution L'ensemble des intervenants étaient unanimes pour dire que l'Offensive du Nord-Constatinois a constitué un tournant dans la marche du peuple algérien vers l'indépendance. Comme Zighoud Youcef et ses compagnons l'avaient planifié, elle constituait une rupture radicale avec les velléités assimilationnistes ; celles de ceux qui espéraient encore un geste de Jacques Soustelle et ses réformettes. Une rupture qui s'est matérialisée par la très forte implication des villageois des douars et des mechetas dans la lutte anticoloniale. « Il y a eu 5000 villageois qui ont rejoint la Révolution, si bien que la France pensait que c'étaient les « fellaghas » tunisiens qui venaient prêter main forte au FLN » témoigne le moudjahid Belkacem Fantazi, premier secrétaire général de l'Organisation nationale des Moudjahidine. Le prix de ce soulèvement sera terrible. « La riposte de la France a été une boucherie effroyable contre la population algérienne. Il y a eu 12 000 martyrs algériens » affirme Bachir Madini, avant d'ajouter : « 1500 personnes ont été massacrées au stade de Skikda et ensevelies au bulldozer ». L'état d'urgence est décrété dans la foulée. « Alors que l'armée française comptait 80 000 hommes en novembre 1954, elle en comptait 250 000 après août 1955 ». L'historien indique, en outre, que la France a remis le roi Mohamed V sur le trône (alors qu'il avait été exilé à Madagascar à partir du 20 août 1953) et s'est pressée d'accorder l'indépendance au Maroc et à la Tunisie en 1956 pour se « consacrer » à l'Algérie. Toujours est-il que l'offensive du Nord-Constatinois a définitivement placé la Révolution algérienne sur les rails et battu en brèche la propagande selon laquelle les attaques du 1er novembre 1954 n'étaient qu'un « feu de paille » sans lendemain, et que le FLN n'était qu'une bande de « hors la loi ». Quant au Congrès de la Soummam, Bachir Madini le résume dans une formule pertinente en disant : « Le 20 août 1956, on est passés de la phase de la Révolution à la construction d'un Etat ». Et de détailler comment le Congrès qui s'est tenu à Ifri-Ouzellaguen a structuré la Révolution et l'a dotée d'une direction démocratique. « La preuve est qu'il a accordé de larges attributions à l'instance législative qui était le CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) aux dépens de l'instance exécutive, c'est-à-dire le CCE. Le CNRA était l'instance suprême de la Révolution et le CCE était comptable devant le CNRA » argue l'historien. Bachir Madini termine par une question qui eût pu prêter à polémique : « Parmi les griefs qui ont été formulés à l'encontre du Congrès de la Soummam, et qui pourraient donner matière à débat : la Révolution avait-elle vraiment besoin de fixer le principe de la primauté du politique sur le militaire et de l'intérieur sur l'extérieur ? » Moh Clichy : « Le second front armé, en France, était programmé pour le 20 août 1958 » Pour finir, il convient de citer ce témoignage du moudjahid Mohamed Ghafir alias « Moh Clichy », une des figures emblématiques de la Fédération de France du FLN, qui a tenu à souligner qu'un « troisième 20 août » a failli s'ajouter à ces deux événements fondateurs : les actions de l'OS (Organisation spéciale) en France. Il s'agit, ici, du « second front armé » lancé par le FLN sur le sol français à partir du 25 août 1958, avec, entre autres, l'attaque spectaculaire de la raffinerie de Mourepiane, près de Marseille. « Il faut savoir que ces attaques avaient été initialement programmées pour le 20 août 1958 » insiste Moh Clichy. Des membres des commandos du FLN qui devaient participer à ces opérations « se trouvaient alors en stage au Maroc » témoigne Moh Clichy. Dès lors, ils n'avaient pas pu regagner le territoire français à temps pour mener ces attaques. Décidément, le mois d'août est vraiment chargé d'histoire, et c'est précisément la raison pour laquelle, explique Omar ramdane, que « le 20 août a été institué journée nationale du Moudjahid». L'ancien président du FCE précise qu'elle a été officiellement instituée en mai 1965, un mois avant le coup d'Etat de Boumediène contre Ben Bella…