L'option d'installer un mufti de la République ne fait pas consensus chez les experts et le syndicat des imams. Retour sur les problématiques liées à la formation et à l'enseignement religieux. Le mufti de la République tant attendu sera formé à Al Azhar, en Egypte, selon la dernière déclaration du ministre des Affaires religieuses et des Wakfs. «Ce poste est créé pour éradiquer l'extrémisme, mais Al Azhar a-t-il réussi sa mission en Egypte ?», s'interroge l'islamologue Saïd Djabelkhir. Alors pourquoi l'Egypte ? Mohand Idir Mechnan, directeur de l'orientation au ministère concerné, préfère donner une réponse diplomatique : «Al Azhar est une grande institution scientifique et la mère des universités islamiques. Elle est pionnière dans le domaine de la fatwa. Sans oublier les relations historiques avec ce lieu qui a été construit par nos aïeux qui ont par ailleurs construit Le Caire.» Université qui «n'a gardé de son éminence que le nom», nuance pour sa part Ahmed Rebadj, docteur en droit islamique à l'université d'Alger 1, et qui «a fini par perdre toute crédibilité avec des fatwas scandaleuses telles que celle émise sur la mixité». Al Azhar avait alors décrété que les femmes devraient «allaiter les hommes de leur entourage pour en faire des membres de leur famille». En plus des fatwas insolites, cette institution qui chapote Dar Al Ifta Al misriyyah (institution égyptienne des fatwas) est perçue comme un appareil politique. Son engagement dans «les révolutions arabes» est jugé «hypocrite» par l'opinion publique. Lors des manifestations en Egypte de 2011, Al Azhar avait décrété par la voix de son grand imam que «manifester est haram, puisque ça peut porter un coup à l'intégrité du pays». Mais dans le même temps, l'institution religieuse n'a pas hésité à émettre des fatwas contre les régimes d'El Gueddafi et de Bachar Al Assad, appelant les peuples à la rébellion. Mais le choix du ministre des Affaires religieux semble définitif, d'autant qu'il y a urgence avec la poussée des courants extrémistes et des organisations djihadistes qui utilisent les moyens de communication les plus développés pour propager leurs discours. 50 muftis En Algérie, télé-fatwas et médiatisation d'idées rétrogrades gagnent de plus en plus du terrain. Désormais, les extrémistes, à l'image des imams qui exigent une police des mœurs et des comités de quartier qui revendiquent les plages islamiques, font partie du quotidien. Des appels à l'exécution d'intellectuels sont même passés sur les plateaux de télévision. «Le projet de mufti de la République existe depuis l'époque de Zeroual, la directive a été transmise ensuite au ministère des Affaires religieuses en 2000, après l'arrivée de Bouteflika. Cependant, c'est ce dernier qui bloquait sa concrétisation puisqu'il n'était pas convaincu à l'époque de son efficacité», confie Adda Fellahi, ancien chargé de communication au ministère. Mohamed Aïssa semble donc avoir eu le feu vert quant à la création de ce poste. En effet, la réalisation du projet débutera en septembre, néanmoins, la procédure a suscité beaucoup de réactions. Selon le ministre, 50 imams seront choisis par les conseils scientifiques régionaux pour poursuivre une formation à Al Azhar. C'est parmi ces élus à travers les wilayas qu'émanera le futur mufti de la République. Selon Mounia Salim, chargée de communication du ministère, les critères sur la base desquels sera choisi l'imam sont : «Un large savoir, le consentement au tour de sa personne et plus de dix années d'expérience à son actif.» Mais c'est la déception chez les observateurs : «C'est tiré par les cheveux», commente Kamal Chekkat, islamologue et membre de l'Association des oulémas. Favoritisme «Ce que fait le ministère en ce moment existe dans la mesure où on a déjà des conseils scientifiques partout dans les wilayas. Pourquoi ne pas leur donner plus de prérogatives ?, s'interroge-t-il. C'est un système de quotas qui ne prend pas en considération les compétences.» De plus, Djamel Ghoul, président du Conseil national indépendant des imams et du personnel du secteur des affaires religieuses, révolté de ne pas être impliqué dans la démarche, avance : «Déjà que la plupart du personnel de ces conseils n'ont pas le niveau pour accomplir leurs propres tâches, et on leur donne la possibilité de choisir notre futur mufti. Tant qu'on ne sera pas impliqués en tant que base sociale, on dénoncera le favoritisme qui sera certainement courant dans cette opération.» Le mufti, qui est un savant des lois islamiques, est indispensable dans les sociétés musulmanes, il est le seul à pouvoir trancher les questions compliquées, dont les réponses ne sont pas forcément dans le Coran ou la sunna, rappellent les experts. Le titre de mufti doit donc être mérité et non pas décerné. Le mufti doit par ailleurs avoir une assise populaire pour légitimer ses fatwas. Cependant, la démarche du ministère fait dans «la labellisation du titre de mufti», se désole Kamel Chekkat. Quant à Youcef Khababa, député de l'Alliance verte, il considère que le mufti de la République sera juste «un poste en plus. Tant qu'il n'émanera pas du peuple, ce sera un non-événement». Formation Pour sa part, Djamel Ghoul dénonce l'état de la formation religieuse en Algérie. Il invite le ministère à se doter d'un vrai institut de formation pour ses muftis au lieu de les envoyer en Egypte à chaque fois. A l'image du secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, la formation dans les sciences religieuses, au premier lieu la charia, est «décevante», avance Ahmed Rebadj. Malgré les compétences et les savants religieux que compte l'Algérie, l'université n'a pas pu suivre le bon exemple. Adda Fellahi se souvient des étudiants que le ministère avait envoyés en 2009 à Al Azhar. «Nos étudiants étaient humiliés par les professeurs de cette université. On leur a dit qu'ils étaient faibles.» Kamel Chakkat est déçu de voir que les savants de son pays sont mis à l'écart : «On a notre identité et notre culture. La preuve, on a su gérer une crise qui menaçait la centralité de notre Etat.» Selon cet islamologue, l'Algérie est dotée d'un savant dans chaque région du pays. A titre d'exemple «cheikh Mohamed Tahar Aït Aldjet et plein d'autres méritent ce titre de mufti sans être formé à Al Azhar ou ailleurs». Saïd Djabelkhir, qui témoigne que «le programme algérien n'est même pas valable pour former un simple instituteur», affirme que cela «n'insinue pas que l'Egypte offre de meilleures formations. Ils sont toujours dans les études de la sacralisation. Notre mufti ferait mieux d'aller se former à la Sorbonne, on lui apprendra en un mois l'esprit critique !»