Dans le souci de couper l'herbe sous «la barbe» des muftis autoproclamés, le ministère des Affaires religieuses réunira, le mois prochain, la Commission nationale de la fatwa pour désigner 50 imams muftis. C'est ce qu'a indiqué le ministre Mohamed Aïssa, lors de son passage à l'émission «L'invité de la matinale» de la Chaîne I de la Radio nationale. Ces muftis sélectionnés seront répartis sur les 48 wilayas du pays, dont deux exerceront au niveau central. «Ces postes d'imams muftis ont été ouverts conformément au statut des personnels du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs» et qu'il a été demandé «à chaque wilaya de proposer trois noms parmi les imams répondant aux conditions requises pour le poste en question», a précisé le ministre. Chaque wilaya aura son mufti légal. Mohamed Aïssa qui, dès sa nomination à la tête des Affaires religieuses, est parti en «guerre» contre les tenants d'un discours religieux extrémistes, a ajouté qu'un «débat sera lancé au niveau de son département sur la possibilité de bénéficier de l'expérience de certains pays musulmans en la matière». Le ministre, dont l'action a provoqué l'ire des phalanges salafistes, avait inscrit comme priorité de son département la mise en place d'une institution de fatwas pour «revenir au référent national» et surtout pour barrer la route aux apprentis sorciers de la prédication et autres spécialistes de l'imprécation. «Mon souci majeur est de dépoussiérer la proposition déjà avancée au niveau de la Présidence, qui consiste à ériger une institution de fatwas. Je la conçois comme une académie et à ce moment-là ces muftis autoproclamés découvriront qu'ils sont dépourvus de connaissances et de savoir et qu'ils sont uniquement des charlatans qui utilisent la religion à des fins mercantiles et politiciennes», avait-il annoncé dans une interview quelques semaines après sa nomination. Au ministère, l'on a relevé que dans des écoles coraniquesm des enseignants s'érigeaient en muftis autoproclamés ; cela a été «rendu possible à cause de l'absence d'un vrai mufti». Le ministre des Affaires religieuses entend faire participer à l'académie des scientifiques, des universitaires et des intellectuels. «L'Algérie a besoin que son élite intellectuelle savante s'implique dans la société avec une volonté de sauvegarde et d'immunisation et surtout de patriotisme, sans laquelle aucun département ou institution ne peut nous sauver. Et c'est pourquoi je multiplie les appels et reviens à la charge à chaque fois pour mieux expliquer ma démarche», a appelé le ministre. En somme, la réunion de la Commission nationale de fatwa sera-t-elle un prélude pour la désignation d'un mufti de la République ? Probablement. Le ministre des Affaires religieuses a déclaré qu'il est en attente de la révision de la Constitution «pour connaître quelle serait la place du mufti». Le pays va-t-il enfin se doter d'une autorité religieuse en matière d'avis coranique unique et sérieux ? Force est de constater que l'absence d'une autorité de la fatwa crédible aux compétences reconnues a ouvert la voie à toute sorte de dérive extrémiste. Des téléprédicateurs golfiotes gracieusement rémunérés par les monarchies pétrolières ont rempli le vide par leurs discours ravageurs. Ils prêchent un islam salafiste ultra-violent. Les El Otheïmine, El Arifi, Tareq Essouwaïdane et tous les ayatollah de la mort répandent dangereusement un wahhabisme obscurantiste. Ils ont fait des disciples en Algérie, à l'image d'un Ziraoui Hamadache venu tout droit du royaume de l'excommunication. Au bout de quelques années, malgré la violence du terrorisme islamiste, le pays a remis un pied dans un nouveau chaos religieux à coups de matraque dogmatique. Une réislamisation de la société sur le modèle rétrograde et insidieusement soutenue par certains cercles du pouvoir a sensiblement remodelé le comportement social. Il s'est formé des brigades de police des mœurs, à l'image de «l'instance pour le commandement du bien et le pourchas du mal» saoudienne. Des campagnes intimidantes et «moralisantes» contre les femmes, la mixité, les débits de boissons alcoolisées, la fermeture des plages sont sporadiquement menées. Le laxisme des autorités politiques donne des «ailes» et «laisse pousser les barbes» à ces nouveaux «prédicateur» de l'obscurantisme. Mohamed Aïssa, qui a longtemps mené la guerre aux tenants d'un discours religieux violent et intolérant, ne bénéficie pas de tout le soutien nécessaire de son gouvernement.