Le bureau a indiqué par la voix de Djelloul Guessoul, imam de la mosquée Al-Qods à Hydra (Alger), qu'il y a des Algériens qui se renseignent, notamment durant le mois de ramadhan, auprès d'ulémas d'autres pays arabes comme l'Arabie Saoudite et l'Egypte « sans tenir compte du fait que la fatwa diffère selon l'espace, le temps et la personne qui la promulgue ». « Nous mettons en garde contre ces fatwas sollicitées auprès d'uléma non algériens car véhiculant des messages pouvant altérer l'intérêt suprême du pays, notre référence et intégrité religieuses », a déclaré l'imam, précisant que cette mise en garde « n'est pas une interdiction catégorique aux Algériens de contacter ces uléma mais plutôt un rappel sur l'impératif de connaître leurs tendances ». Il a recommandé à toute personne voulant se renseigner auprès d'un âlim étranger notamment à travers les chaînes satellitaires, de connaître d'abord son appartenance et ses tendances précisant « qu'une fatwa promulguée dans un royaume n'est pas la même dans un Etat démocratique ». « Influencé par la pensée monarchique qui est loin de notre culture et pensée, ce mufti a le pouvoir d'endoctriner les gens et d'influer sur leurs opinions », a-t-il soutenu. Selon M.Ghassoul, « l'Algérie dispose d'uléma compétents en matière de jurisprudence » déplorant l'amalgame entre la disposition de l'islam et la fatwa qui est un avis religieux. L'imam de la mosquée d'Al-Qods a rappelé dans le même contexte que le bureau des fatwas reçoit quotidiennement des centaines de demandes d'explications auxquelles il donne des réponses ; dans d'autres cas, il oriente le demandeur vers l'imam de sa région qui connaît mieux l'environnement et la pensée des populations. Il a enfin relevé que le ministère travaille en matière de fatwa suivant « une hiérarchie » en commençant par l'imam de la mosquée, puis la cellule communale et le conseil scientifique de wilaya avant d'arriver en dernier ressort au bureau des fatwas. Le hanbalisme est « totalement étranger » à l'histoire de l'islam en Algérie Abondant dans le même sens bien qu'avec des outils différents, l'anthropologue des religions, Zaïm Khenchelaoui, considère que l'usage de la fatwa en Algérie, selon les pratiques et rites religieux propres aux pays du Machreq ou émanant de courants islamistes « souvent extrémistes » pouvant avoir des incidences négatives dans la pratique de l'islam au Maghreb, est un « phénomène sectaire » à contrecarrer. Les conséquences de ce genre de fatwas sont de l'avis de ce chercheur « mortelles » car « elles ont tendance à prêcher la mort au lieu de prêcher la vie », estime-t-il. Selon M. Khenchelaoui, la situation de la fatwa chez les pays voisins de l'Algérie semble « moins critique » en raison de la présence de deux institutions référentielles en matière de religion, à savoir al-Qarawiyyîn au Maroc et al-Zaytûna en Tunisie qui, a-t-il souligné, « continuent à former tant bien que mal les imams et encadrer la fatwa ». Précisant que « l'Algérie n'est pas un Etat dogmatique bien que musulman selon l'article 2 de la Constitution », ce qui fait du rite malékite « juste un référent historique qu'il convient sans doute de préserver », l'orateur estime que « le rite en vogue chez de larges franges de notre jeunesse aujourd'hui semble être le rite hanbalite dû à la propagande qui vient du Golfe persique et lors du pèlerinage à La Mecque ». Pour lui, le rite hanbalite est une branche « rigoriste » et « totalement étrangère » au parcours historique de l'islam en Algérie et dans tout le Maghreb, région qui, rappelle-t-il, a connu dans son histoire de nombreux systèmes de pensée qui se réclament tous de l'islam tels que l'acharisme ou le mutazilisme, notant que le rite malékite cohabite « harmonieusement » avec le rite ibadite. « A l'heure actuelle, deux organismes détiennent le monopole de la fatwa pour les sunnites arabophones à savoir : l'Union internationale des uléma musulmans sous tutelle du Qatar et la Ligue des ulémas musulmans sous tutelle de l'Arabie Saoudite. Al-Azhar, lui, a perdu de sa superbe et peine à avoir une audience y compris dans son propre pays l'Egypte », a-t-il tenu à rappeler pour dire qu'en dehors de ces trois structures mondiales, « des centaines de muftis véreux pullulent et sévissent loin de tout contrôle et en toute impunité ». Selon lui, ce sont « précisément » ces muftis « marginaux » qui intéressent les Algériens, accros à internet et aux chaînes satellitaires, « sans qu'ils ne soient intellectuellement en mesure de vérifier la crédibilité et le sérieux de ces fatwas parfois tout à fait extravagantes ». Dans son analyse de la situation, M. Khenchelaoui pointe aussi du doigt certains imams algériens, qu'il considère comme des fonctionnaires rémunérés par le contribuable, qui sont, selon ses dires, « acquis à certaines de ces interprétations extrémistes de l'islam », tout comme certains enseignants de différentes matières qui « improvisent des sessions d'endoctrinement » pour les élèves. Le mufti doit prendre en compte dans sa fatwa les us et coutumes Le président de la commission d'el-Iftaa au Haut conseil islamique (HCI), cheïkh Mohamed Chérif Kaher, a estimé que le mufti devrait prendre en compte dans sa fatwa les us et coutumes du pays concerné afin d'éviter toute discorde pouvant mener à une dislocation sociale. Chaque pays compte des uléma et des muftis habilités à émettre une fatwa, car ils sont les mieux au fait des us et coutumes, notamment en ce qui concerne les questions non traitées dans le saint Coran et la Sunna et sur lesquelles les avis des érudits divergent, a indiqué cheïkh Kaher. A une question sur la raison qui incite la société algérienne à se conformer aux fatwas émises par les muftis des pays du Machreq et du Golfe sur les chaînes satellitaires et les sites Internet, cheïkh Kaher l'a expliqué par un « complexe d'infériorité » des Algériens qui considèrent les fatwas émises par les uléma du Machreq comme « irréfutables ». « Les Algériens n'ont pas confiance en leurs uléma et estiment que leurs fatwas sont incomplètes », a-t-il affirmé, soulignant la nécessité de lutter contre ce complexe et de convaincre les Algériens qu'il y a des uléma compétents et qualifiés en Algérie et dans l'ensemble des pays du Maghreb. L'intervenant s'est, par ailleurs, dit favorable à la création d'une institution de la fatwa (dar el-Iftaa) en Algérie qui doit relever du « mufti de la République ». Il a souligné qu'il y a plusieurs instances chargées de la fatwa notamment l'Association des uléma algériens, le HCI et les conseils scientifiques de la fatwa relevant du ministère des Affaires religieuses et des zaouïas. Le mufti doit s'élever au-dessus de la politique Evoquant l'utilisation de la fatwa à des fins politiques dans certains pays arabes, le responsable s'est contenté de dire que « c'est là un grand problème », car « le mufti ne doit être partisan d'aucun courant politique », insistant sur le fait que la fatwa doit « résoudre les problèmes et non les créer ». Estimant que l'utilisation des fatwas à des fins politiques avait mené à la fragilisation des sociétés arabo-musulmanes et à l'instabilité, cheikh Kaher a indiqué que « le mufti doit soulager les souffrances et régler les problèmes des fidèles, tout en s'élevant au-dessus de toute politique ». « Une erreur médicale est moins grave que celle commise par un mufti dans sa fatwa, car la première affecte le corps alors que la deuxième affecte l'âme », a-t-il fait valoir.