Perché sur un rocher, au lieu-dit La Crique, situé à l'écart de la Plage Ali La Pointe (ex-Franco), à Raïs Hamidou, Rachid Guenez est comme un roi juché sur un trône. Mince comme un fil, en jean et chemise, lunettes de soleil et casquette de marin vissée sur la tête, Rachid vient chaque fois qu'il en trouve le temps faire la cour à la mer et la conversation aux poissons. Passionné de pêche à la ligne, voilà dix ans qu'il pratique ce hobby. «Je ne suis pas en congé, mais chaque fois que j'ai un peu de temps, il me faut ma partie de pêche, sans quoi je me sens en manque de quelque chose», explique-t-il. Rachid a tout juste 50 ans. Il réside à Bouzaréah où il est employé à la TDA, l'entreprise de télédiffusion. Concentré sur sa besogne, nous nous en voulons presque de troubler sa quiétude. Mais Rachid accepte de bon cœur de nous parler de sa passion. «Ici, il y a de tout : pageot, rouget, daurade, sardine… Le poisson est en train de mourir de vieillesse. Il faut juste être patient. Parfois, je passe toute la journée sans rien attraper, d'autres fois j'ai la main heureuse», sourit-il. Nous avons vite compris que, plus que ce qu'il pourrait attraper du bout de son hameçon, le plus important pour lui c'est ce moment de paix, cet instant «khalwi» où il fait le vide dans sa tête. Car, comme pour tous les amateurs de pêche à la ligne, il considère que c'est une «hikma», une sagesse, voire une forme d'ascèse que ces longues heures de solitude introspective passées à attendre que quelque chose agite sa canne à pêche. Rachid a tout ce qu'il faut dans sa besace. «J'ai une canne à pêche de fabrication chinoise, comme tout le reste. Avec le moulinet, il faut compter dans les 5000 DA le matériel de pêche, et 600 DA les vers-appâts. Même ceux-là sont importés. Ceux qu'on cultive ici ne sont pas très efficaces, et c'est quand même 400 DA le pot», détaille-t-il. «D'autres pêcheurs à la ligne utilisent de la tige de roseau, et c'est très pratique pour qui sait s'en servir», ajoute notre hôte. «J'ai une autre canne à pêche dans mon coffre de voiture en permanence, une canne télescopique», confie-t-il encore. «Ainsi, il m'arrive de m'arrêter inopinément en bord de mer pour pêcher un peu. Je ne pêche pas qu'en été, je fais cela aussi en hiver, et pendant le Ramadhan.» Père de quatre enfants, ces derniers semblent avoir contracté le «virus» à leur tour. «L'un de mes fils se débrouille déjà très bien. Parfois, je rentre bredouille, et lui, il revient avec une bonne pièce dans le couffin.» D'après lui, «les jeunes aiment beaucoup ça. Ils pêchent même la nuit. C'est une passion qui se transmet». Par-delà son hobby favori, Rachid ne peut pas se passer de la mer et ses embruns capiteux. Mais sa préférence va pour d'autres plages que celles du coin. «Je vais souvent à la plage Les Dunes, près de Aïn Bénian. Sinon, quand j'ai le temps, je vais à Bérard, Bou Ismaïl», dit-il, avant d'asséner : «Nous avons un très beau pays, des trésors inouïs. Il nous manque juste ‘‘chouiya taouil'' et un peu de civisme. Regardez-moi toutes cette saleté !» Rachid ramasse à la volée un carton plein de pain rassi. Plus loin s'étalent des bouteilles en plastique, des canettes de bière, des ordures à n'en pas finir… «On attrape toutes sortes de détritus», témoigne-t-il. «Je pêche souvent des sachets en plastique, des tricots de peau, des chaussettes et même des chaussures ! Dieu sait si un de ces jours on ne va pas repêcher une carcasse humaine !»