La pêche à la ligne qui a cours de tout temps, puisque de tout temps elle a eu ses mordus, s'est particulièrement accrue durant le mois sacré de Ramadhan. Elle se poursuit de plus belle en été, les belles nuits estivales constituant un grand stimulant pour ces artistes du crin et du ver à appâter. Munis de leurs cannes à pêche et de leurs gibecières fourre-tout, les pêcheurs du vendredi et des jours fériés trouvent une grande jouissance à installer leurs quartiers sur des rochers qui dominent la Grande Bleue. A la Madrague, nous avons rencontré Zoubir, un amoureux de la pêche qui dit qu'il ne changerait pour rien au monde ces instants de bonheur qu'il passe loin des bruits de la ville et de ses mensonges. La passion pour la pêche est née chez Zoubir depuis qu'il s'est séparé de sa femme, il y a une vingtaine d'années. Cet habitué des rochers ne trouve pas dans ce sport seulement un hobby. C'est devenu une passion ! Car la pêche qui, au début, n'était qu'un prétexte pour se permettre une certaine fuite (les âmes prudes disent un moment d'évasion), est devenue, au fil du temps, une addiction. Bien évidemment, et au fur et à mesure que la connaissance avec le poisson s'accomplit, le plaisir s'amplifie en se surmultipliant. « Le son des vagues qui se brisent sur les rochers ou le vent qui fourre ses merveilleux doigts dans vos cheveux sont d'autres motifs de nirvana », dira-t-il plus poète que pêcheur. Tout comme Zoubir, Mohamed et Yahia sont aussi mordus que philosophes. C'est que la mer vous dote, souvent, d'une grande sagesse ! Les deux compères prennent, régulièrement, avec eux, de la musique et des livres pour se changer de la compagnie des hommes que, d'un commun accord, ils trouvent incommodante. Yahia, un habitué des rochers de la plage Cap Carbon, à Arzew, trouve un plaisir incommensurable à « ausculter » sa canne à pêche tout en parcourant le dernier Amine Malouf. « C'est un moment d'émotion inégalable », dira-t-il, tout en ajustant un ver à son hameçon. Et de préciser : « Tenir un roman dans ce paradis, parmi ce panorama faits de rochers, d'étendue bleue, sous les rires des mouettes est le sommet du contentement ». Mohamed, quant à lui, et tout en roulant un joint, assure que la mer sous les rochers est un mariage qui n'a pas son égal : « La mer, dit-il, est un véritable marabout qui vous protège, ou tout au moins, vous absout des péchés des hommes. Quand je suis avec ma canne à pêche, je me sens un homme propre. La ville avec ses poussières et ses menteries ne m'inspire pas. Seule la Grande Bleue, ou à la limite les vastes et verdoyantes prairies me font fantasmer. En vérité, je suis un homme seul et seule une canne à pêche fixée entre les rochers me donne l'envie de continuer à respirer ». C'est que cela vous rend vraiment poète, et philosophe et fou... la mer ! Bonne pêche les amis de la solitude !