Les cours du pétrole ont à nouveau chuté, hier, à l'ouverture des marchés. Le prix du baril de brent tourne autour des 43 dollars, perdant 2 dollars par rapport à la clôture de vendredi, tandis que le pétrole de référence américaine a chuté à 38 dollars. Quel serait l'impact de ce niveau de prix sur les positions financières de l'Algérie ? L'économie nationale présente une grande vulnérabilité face aux chocs exogènes (pétrole brut, facture alimentaire, taux de change, déséquilibre entre importations et production locale, etc.) et une forte dépendance vis-à-vis des exportations d'hydrocarbures. Le retournement du marché pétrolier depuis maintenant près d'une année, passant de 105 dollars pour le brent (référence pour le pétrole algérien) en août 2014 à presque 45 dollars le baril aujourd'hui, soit une baisse de près de 60% sans montrer le moindre signe de redressement, annonce une période de récession économique, source de préoccupations de la part des pouvoirs publics tant les effets pourraient être dévastateurs pour la société algérienne. Aussi, les recettes attendues des exportations d'hydrocarbures sont de 34 milliards dollars à fin 2015 en diminution de plus de la moitié par rapport à l'année précédente, alors que le niveau des importations ne connaîtra pas de variation notable durant la même période. D'où le déficit de la balance commerciale et la détérioration du compte extérieur de l'Algérie. Le manque à gagner est également sur le plan des recettes fiscales avec l'amenuisement de la fiscalité pétrolière, conjugué avec un rendement largement insuffisant de la fiscalité ordinaire. D'après la loi de finances complémentaire 2015, le déficit budgétaire sera de 2639 milliards de dinars (l'équivalent de 25,13 milliards de dollars au taux de change actuel d'un dollar égal à 105 DA). Ceci est déjà, en soi, une préoccupation pour le gouvernement, car il faudrait dès maintenant faire des arbitrages difficiles pour la loi de finances 2016. Et c'est proche, dans deux mois ! Interrogé, hier, sur l'impact de la chute des prix du pétrole sur l'économie algérienne, le ministre des Finances a indiqué que «nous ne subissons pas de choc frontal car nous n'avons pas de dettes et nous disposons d'épargne institutionnelle». Quelle lecture faites-vous de ce discours ? Le problème n'est plus dans l'inexistence de dette extérieure ni d'une épargne institutionnelle non encore mobilisée. Ce qui est en train de changer, c'est surtout la dégradation des équilibres macroéconomiques : chute des recettes d'exportations et déficit de la balance commerciale, détérioration des réserves de changes et forte dépréciation du dinar (le dollar a progressé de 33% par rapport au dinar et l'euro de près de 18%), baisse des recettes budgétaires et amenuisement du Fonds de régulation des recettes (FRR). Conséquence : tendance inflationniste en perspective puisque déjà, l'Office national des statistiques (ONS) a annoncé un taux d'inflation de 5% au mois de juin 2015. A cela s'ajoute un climat des affaires loin d'être attractif. C'est l'investissement qui sera susceptible d'être au plus bas niveau et donc la croissance économique, déjà réputée molle. Quant aux flux d'investissements directs étrangers (IDE), ils ont diminué sensiblement ces deux dernières années. En définitive, le taux de chômage (notamment le chômage des jeunes) risque de s'aggraver, s'accompagnant d'une détérioration du pouvoir d'achat des citoyens. C'est cela qui constitue, en réalité, la hantise du gouvernement, et ce, dans un contexte sécuritaire régional inquiétant pour la stabilité de l'Algérie. Pensez-vous qu'à l'allure où vont les choses, l'Algérie va recourir à nouveau à l'endettement extérieur pour se faire financer, d'autant que les experts prédisent de perspectives moroses aux marchés pétroliers ? Recourir à l'endettement extérieur tel que cela s'est fait par le passé ne sera peut-être pas la forme qui serait prise. N'oublions pas que la crise des dettes souveraines et surtout l'expérience malheureuse de la Grèce ont laissé des traces. Cependant, un recours à un ajustement de la balance des paiements auprès du FMI est possible si la situation économique et financière de l'Algérie venait à se détériorer d'ici trois à quatre ans (cela dépend en réalité du niveau atteint par les réserves de changes). Des crédits commerciaux pourraient être mobilisés également dans le cadre de la coopération économique internationale. Faut-il passer aux solutions de rupture pour sauver les meubles, lesquelles impliqueront, sans l'ombre d'un doute, des arbitrages douloureux ? Il existe des solutions à court, moyen et long termes, à condition qu'il y ait une volonté politique et une mobilisation de toutes les potentialités humaines et matérielles de l'Algérie. Tout d'abord, le mode de gouvernance de l'économie nationale est à changer pour sortir de la situation de rente pétrolière et arriver à une diversification. Ensuite, il y a lieu de s'attaquer sereinement aux maux qui gangrènent les circuits économiques : l'évasion fiscale et l'informel, la corruption et la fuite des capitaux. Il faudrait opérer un changement organisationnel qui corresponde à la situation de crise. Mettre en place divers mécanismes économiques qui ont fait leurs preuves dans différents pays, et ce, avec l'aide d'experts nationaux et étrangers. Enfin, définir des politiques sectorielles cohérentes, avec la contribution de tous, afin d'identifier les potentiels de croissance et de rationalisation de l'activité économique. Faire tout cela, dans la conjoncture actuelle, est certes difficile, car il s'agit véritablement d'un vaste programme de réformes économiques et aussi institutionnelles. Mais c'est un investissement pour l'avenir. Les décisions conjoncturelles telles que celles prises récemment ne peuvent être efficaces face à une réalité économique, financière et sociale de plus en plus complexe, sauf si l'on veut évidemment gagner du temps !