Il s'appelait Nabil, il n'avait que 4 ans, il jouait avec ses petits camarades de quartier à Biskra, il rencontra la mort sous une pierre. Elle s'appelait Nora, elle venait d'avoir son baccalauréat ce jour-là, elle mourut sur le perron de la polyclinique de Tolga. Il s'appelait Abdallah, pieds nus, il était sur sa terrasse par une nuit d'été, que seule Ouargla en détient la recette. A la première marche, le dard venimeux lui injecta la mort dans une veine plantaire, à l'âge où l'insouciance élude les craintes. A Dhaya ben Dahoua (Ghardaïa), M'Barka, à la fleur de l'âge, expira la nuit de ses noces. Elle disait qu'une épingle de sa robe de mariée lui lacérait le dos. L'envenimation scorpionique, ce fléau des Hauts-plateaux et du Sud, fait près de 30 000 victimes par an dont 1 cas sur 1000 décède, en dépit de soins intensifs. Cet arachnide, aussi vieux que le monde, fascine et fait peur. Les espèces venimeuses les plus connues, sont Buthus occitanus ou scorpion languedocien, du sud de la France, se faisant de plus en plus rare, Centurus le mexicain et enfin Androctonus australis le nord-africain. Ce dernier, bien de chez nous, appelé à juste titre, le tueur d'homme. Il y a lieu de se poser légitimement la question sur la persistance et l'extension de cet accident venimeux qui évoquait de prime abord, les zones inhabitées ou steppiques de l'Algérie profonde. Loin s'en faut, 18 wilayas sur l'ensemble du pays sont sujettes à l'infestation scorpionique dit-on. Le fameux triangle de la mort, constitué par le périmètre Ksar-Chellala, Ouargla et Biskra, semble évoluer pour intégrer d'autres contrées. L'endémie est péri-urbaine à 65% et l'incidence de l'envenimation calculée ; il y a quelques années de cela, était infra-domiciliaire à plus de 60%. Le mal devenait intra-mural. Les vieux ksour et médinas se transformaient en lieu de prédilection du scorpion. Il trouvait un gîte favorable dans les ruines et gravats de vieilles masures, abandonnées par leurs légataires, à la disparition des anciens occupants. L'extension urbaine l'a spolié de ses repaires naturels. Le réseau d'assainissement lui offre des facilitations pour ses déplacements. L'absence d'éclairage public, l'encourage à vaquer librement. Prédateur nocturne, il peut le faire de jour, dans ces conduits humides et frais à l'abri des regards. Les conduites d'évacuation des baignoires et lavabos le font pénétrer dans des endroits insoupçonnés. Parmi ses paradoxes, il craint la chaleur. Il gîte sous la pierre, relativement fraîche le jour, pour la quitter le soir, lui préférant la fraîcheur extérieure. Les nuits torrides pourvoient les urgences médicales, en nombre exceptionnel de cas d'envenimation. La glande pleine de venin, il part la nuit tombée à la recherche de sa pitance. Sa piqûre serait moins nocive au petit matin, son ampoule vide ne contenant pas assez de venin pour tuer. Que faisaient donc les anciens pour s'en prémunir ? Et bien en faisant recours à ses prédateurs naturels, que sont les gallinacés : poulet, dinde et pintade, qui, généralement, cohabitaient avec la famille. Le hérisson, autre insectivore, était domestiqué pour les besoins de la cause. Celui-ci, de mœurs nocturnes, assurait la relève des premiers cités. D'autres pratiques ataviques étaient de mise. Le sac de jute mouillé était mis au pas de la porte, la fraîcheur du lieu retenant le scorpion jusqu'au matin. Les chaussures n'étaient jamais abandonnées à l'extérieur des logis. Les ustensiles et autres contenants étaient toujours renversés et haut placés pour ne permettre aucune intrusion désagréable. Le couchage à même le sol était évité. La « sedda », confectionnée à partir de palmes tressées, était placée sur des tréteaux et tenait lieu de lit. La literie était préalablement vérifiée avant son utilisation. Dans la palmeraie du M'zab, une technique populaire mettait de gros morceaux d'oignons découpés, sous un bidon troué sur les côtés. On trouverait les scorpions agglutinés autour du récipient. n'y aurait-il pas un tropisme quelconque entre l'insecte et cette racine bulbeuse ? On trouvait souvent dans la tradition oasienne, le scorpion enfoui dans l'oignon sec ensaché. On préconisait toujours d'extraire l'oignon du sac à l'extérieur des demeures. Quel que soit l'efficacité ou non des méthodes utilisées ici et là, il demeure indéniable que l'individu, dans un souci de conservation, tente de trouver la parade. Sa passivité, par contre, participerait sans nul doute à sa perte. Les techniques médicales modernes, telles la sérothérapie et autres médications, ont quelque peu dépossédé le citoyen de sa vigilance. Il pense qu'il serait sauf, en cas d'envenimation, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas. L'enfance, dans sa candide innocence, y est tragiquement exposée. Les moyens physiques de lutte sont la suppression des gîtes occasionnels constitués par les anfractuosités des murs démunis de crépissage, l'éloignement des gravats et déchets ménagers, l'éclairage extérieur individuel à défaut d'éclairage public. Dans la vallée du M'zab, les habitants placent des néons au fronton de leur domicile. Allumés à la prière du lcha'a, ils ne seront éteints qu'à la prière de l'aube. C'est une conduite citadine à mettre sur le compte d'une conscience citoyenne. Les insecticides sont, aux dosages usuels, d'aucun effet. Le mazout, sans toxicité pour le scorpion, est cependant répulsif. Il peut l'éloigner momentanément. Le Mexique, qui vivait aussi les affres de la neurotoxine scorpionique, aurait barré la route à son Centurus. Les constructions seraient ceintes de carreaux céramiques, à l'effet de rendre nulle, toute tentative d'escalade des murs extérieurs. Ne dit-on pas qu'à quelque chose malheur est bon ? L'on me dira où serait le bon dans le scorpion ? Je dirais : « dans son venin ! » Le Dr Koubi, médecin vétérinaire, ancien chercheur à l'Institut Pasteur d'Algérie, qui a consacré une bonne partie de sa vie au scorpion, le connaît jusqu'au paradoxe de l'affection. Il faisait nourrir son élevage de scorpions avec des vers de farine, qu'il produisait dans son propre réfrigérateur. Ce ver aurait été ramené jusque-là, des Pays-Bas, si j'ai bonne mémoire. Ce praticien, originaire de Ouargla, faisait de la lutte anti-scorpionique un point d'honneur à la limite du sacerdoce. Il sollicitait de sa hiérarchie, l'extension des stalles destinées aux chevaux, sur lesquels on prélevait le sérum antiscorpionique. Le sérum algérien très demandé à travers le monde (USA et Arabie-Saoudite) est reconnu de bonne qualité thérapeutique. Ce « poison » pouvait rapporter de l'or. Il me racontait ainsi, l'histoire de ces globe-trotters français qui parcourraient dans les années 1970 nos zones arides à la recherche de scorpions et de vipères. Il les faisaient « pisser » ou « vomir » après capture. Les venins collectés, dans des flacons de 10 gr, vendus à un fameux Institut scientifique français, pouvaient ramener plusieurs millions de francs français de l'époque. Ne peut-on pas développer ce créneau, au bénéfice de la recherche scientifique ? Sauf si ce n'est déjà fait, bien sûr ! En guise de conclusion partielle, si la protection civile est à féliciter pour ses caravanes de sensibilisation sur le péril scorpionique, ce problème, déjà national, interpelle cependant plus d'un secteur. L'agriculture, les forêts, l'urbanisme et l'environnement auront à faire un effort particulier pour soustraire à ce fléau porteur de morts, ses potentielles victimes. Le secteur de la santé a déjà fort à faire dans ses tentatives parfois frustrantes, de ramener à la vie des moribonds. Le drame des familles touchées par un décès par envenimation est mal vécu par celles-ci. Le reproche à faire sera, dans ce cas, dirigé, aussi bien à la collectivité, qu'à la famille. L'auteur est cadre de l'Administration sanitaire à la retraite Bou Saâda