Rien ne paraît plus vraiment bouger en dehors du compteur des recettes énergétiques et des dépenses budgétaires. Les effets euphorisants du programme quinquennal s'essoufflent tandis que l'investissement privé ne prend le relais qu'à l'allure tranquille d'un pays qui a passé l'urgence. Les autorités tergiversent. C'est la panne d'orientation. Jamais la conjoncture économique algérienne n'a été aussi bonne à la surface. Inutile d'égrener les bons indicateurs financiers. Pourtant, jamais le doute ne s'est insinué aussi fortement au sujet du cap économique suivi par les autorités, et, pire encore, sur leur capacité à mettre en œuvre des choix clairs. Des avis d'experts s'expriment plus nettement pour le dire : la dynamique de la croissance algérienne est en panne de carburant, depuis son retour au Tout-pétrole. Smaïl Goumeziane, ancien ministre réformateur du gouvernement Hamrouche, avait souligné dans le forum d'« El Watan » au printemps dernier les limites des « infrastructures industrialisantes », sorte de nouvelle « doctrine pragmatique » du développement version année 2000 — par référence aux industries industrialisantes des années 70. Ahmed Benbitour, ancien chef du gouvernement, a secoué la torpeur politique de la rentrée en démontrant dans son style professoral — et toujours dans « El Watan » — l'appauvrissement que représentait de fait un croisement exportations d'hydrocarbures-importations de biens et services qui reproduit les conditions de sa perpétuation : l'Algérie importerait donc de la pauvreté à long terme. Face à cette estocade, le gouvernement reste sans voix. Ce n'est pas la présentation « très lisse » de la loi de finances pour 2007 du ministre des Finances, Mourad Medelci, qui pouvait faire écho à des interpellations qui se résument ainsi : « Y a-t-il une stratégie en dehors du budget de l'Etat porté par les recettes énergétiques ? » La réponse en cette rentrée sociale 2006-2007 ressemble à un électro-encéphalogramme plat. Motif, le gouvernement est déjà trop accaparé par le cafouillage provoqué par la mise en œuvre du plan quinquennal 2005-2009 pour, en plus, chercher des idées qui garantissent une relève à la croissance par les cours du brut. La grande panne de la rentrée économique est d'abord intellectuelle. Les idées circulent. Mais à l'extérieur de l'Exécutif, qui, lui, attend de nouvelles initiatives qui ne viennent plus du sommet de l'Etat. De nombreuses voix l'avaient annoncé en 2004 : le programme quinquennal complémentaire de soutien à la croissance ne réglera pas tout. L'enlisement du programme quinquennal Le diagnostic est confirmé par un expert algérien lié aux organismes financiers multilatéraux et tenu à la réserve à ce titre : « Le sentiment de malaise vient en gros de deux sources : l'enlisement du programme de dépenses publiques, déjà peu cohérent au départ, dans la gabegie et les marécages bureaucratiques d'une part et, d'autre part, le ralentissement ressenti par les opérateurs de la mise en conformité de l'économie algérienne avec les standards de productivité mondiaux tels qu'ils sont par exemple approchés en Tunisie et au Maroc », explique. Opérons donc par étapes pour mieux cerner ce « malaise de fin d'été » : d'abord l'enlisement du programme quinquennal. Il est aujourd'hui manifeste que les grands chantiers du Président « tels qu'on les appelle » seront presque tous en retard pour leur échéance « propagandiste » de 2009. Une évaluation par un organisme d'étude pour le compte du ministère de l'Intérieur vient d'établir qu'il manque entre 300.000 et 350.000 nouvelles mises en chantier à la fin du premier semestre 2006 pour espérer livrer un million de logements sur la période 2005-2009. Le lancement des travaux de l'autoroute Est-Ouest a été retardé à cause d'un audit présidentiel sur son montant. Le feu vert est donné pour la signature des contrats et le début de la réalisation mais compte tenu des études qui restent à réaliser aucun expert sérieux ne parle plus d'une autoroute de 927 km totalement livrée en 2009. Les projets des nouvelles lignes ferroviaires ont glissé sur le calendrier, les grands travaux hydrauliques sont en retard et la première grande unité de dessalement d'eau de mer d'Arzew pose des problèmes techniques de même que la centrale électrique qui lui est associée, ce qui entache au passage une politique — plutôt réussie — d'ouverture de la production d'électricité et d'eau au privé. Les nouvelles villes, Sidi Abdellah en tête, et la politique d'aménagement du territoire sont désormais hors calendrier, entraînant avec eux des retards sur l'émergence des nouveaux pôles technologiques essentiels dans le positionnement futur du pays. Les procédures de marchés publics s'alourdissent sous le poids des enjeux financiers, les rédactions des cahiers des charges s'éternisent, le suivi des opérations engagées s'essouffle : l'Etat s'avère sous-encadré pour dépenser utilement un chèque de 100 milliards de dollars en moins de cinq ans. Quoi faire devant le dérapage des excédents financiers ? La seconde « source du malaise » est encore plus préoccupante. « La modernisation du cadre économique » se serait ralentie aux yeux des acteurs nationaux et étrangers. « Il faut plus d'une année pour appliquer une disposition simple comme le recours au gré à gré dans le foncier industriel, censée accélérer l'implantation des projets d'investissements », déplore Amine, un promoteur touristique revenu de l'étranger en 2003. Les arbitrages sur la privatisation de la gestion des ports, notamment celui d'Alger, annoncée comme prioritaire par Ahmed Ouyahia, pour diviser par trois les frais de transit, bouclent tranquillement l'année. La refonte de la Bourse d'Alger, tant annoncée, est éclipsée par le futile remboursement de la dette extérieure par anticipation. Les négociations d'accession à l'OMC sont reparties dans un énième round bilatéral. Officiellement, le cap économique est toujours l'alignement institutionnel sur les règles du marché et la réduction des entraves à la concurrence et à l'investissement. Dans les faits, un texte d'application de loi peut mettre jusqu'à deux ans pour venir baliser les pratiques. Pour tous les analystes, c'est le gonflement des recettes pétrolières qui a bridé le rythme — déjà lent — d'adaptation de l'économie algérienne au contexte mondial. Ahmed Benbitour s'interroge clairement sur l'opportunité de produire deux millions de barils jours en 2010 lorsque cela provoque des excédents financiers considérables qui enrichissent en fait le reste du monde, et qui nous confinent dans la position honteuse d'un importateur net de services, à l'inverse de la plupart des pays du Sud comparables à l'Algérie. Nous sommes aussi au cœur du débat qui s'insinue cet automne. Face au grand dérapage des excédents qui a commencé, faut-il ralentir le flux des recettes énergétiques — comme l'a fait Chadli Bendjedid au début des années 80 — ou se « creuser la tête » pour en réussir la « conversion vertueuse » synonyme de décollage définitif pour un pays ? Sans doute oui pour la seconde option mais avec quelle équipe aux commandes de l'économie. Celle de Bouteflika ? Elle a entamé au début de l'été un nouvel ajustement de cap. La loi Khelil sur les hydrocarbures qui a interloqué le pays et ses partenaires de l'OPEP a été remise en cause puisque de toutes les façons les revenus supplémentaires qu'elle était supposé apporter sont déjà là par le jeu de la hausse historique des cours. Dans le même temps, Abdelhamid Temmar s'est mis à se préoccuper de stratégie industrielle, tandis que la Présidence daignait enfin rétablir un organisme public de planification et de prospective. Tout cela va dans le sens réclamé par les débatteurs économiques de ces dernières années. Mais alors quel crédit donner — pour une nouvelle mise en œuvre pratique — à une équipe qui se trompe si lourdement dans sa législation pétrolière et qui survit aussi longtemps sans stratégie industrielle et sans réfléchir le plan et la prospective ?