L'accès au logement social pour étudiants n'est pas de vigueur en Algérie, contrairement à ce qui est commun chez les étudiants d'outre-mer. Economiquement vulnérables, et en l'absence de tout autre dispositif d'aide au logement étudiant, la plupart de ces jeunes cohabitent en coloc'. El Watan-étudiant passe en revue les témoignages de ces étudiants ballottés entre la spéculation d'un marché immobilier en hausse et les regards inquisiteurs d'une société mal à l'aise avec ses célibataires. A quelques jours du grand retour sur les bancs des universités, beaucoup d'étudiants ne sont pas encore arrivés à résoudre ce qui est censé être un préalable indispensable à une année d'études sereine : le logement reste une contrariété majeure qui irrite la communauté estudiantine et handicape sa quête scientifique. Ainsi, outre les résidences universitaires, dont l'accès demeure problématique, le logement pour étudiant est une autre alternative bien que peu usitée dans notre pays pour des considérations économiques évidentes, mais aussi d'autres réserves sociales plus pesantes. Par ces temps de «crise», le marché de l'immobilier, sensiblement en hausse, fait d'emblée le bonheur des spéculateurs et prend en otage la frange de locataires les moins aisés, dont la population estudiantine encore plus vulnérable. Qu'il s'agisse des nouveaux bacheliers ou d'étudiants plus anciens, beaucoup de ces jeunes qui quittent leur localité d'origine font face à une inextricable difficulté pour trouver un pied-à-terre dans le rayon de leur lieu d'études. Privés de chambres U et ne pouvant se permettre la location d'un appartement entier, cette catégorie d'étudiants cherche justement des «chambres à louer», individuelle dans le meilleur des cas ou commune du moins. La colocation paraît être le mode de logement le plus prisé. Mais encore, à quel prix ? Précarité et Communautarisme Si la précarité donne naissance à une certaine forme de solidarité, force est d'admettre que certaines conduites régionalistes sont à l'origine de bon nombre d'embarras. Si, d'une part, la cotisation solidaire soutient les petites bourses devant un marché immobilier ruineux, d'autre part des comportements similaires font que les résidences universitaires en face restent squattées par des «indus occupants», inconnus à l'administration universitaire. Les intrus sont souvent des travailleurs, ou même des «touristes» hôtes originaires des patelins d'étudiants résidents. Cette dernière indication n'est pas inopportune car il semble que ces regroupements «régionalistes» sont en effet un trait typique de la cohabitation estudiantine. En effet, ils sont des centaines d'étudiants - si ce n'est beaucoup plus en l'absence de statistiques fiables - à cohabiter avec de jeunes travailleurs dans des appartements du centre-ville. Logés souvent chez des connaissances issues de la même ville ou village d'origine, cette forme de mutualisation des ressources demeure malheureusement l'apanage d'une approche ethnique étriquée. Généralement célibataires, les locataires - authentiques - peuvent être également de jeunes pères de famille venant de localités enclavées à la quête de travail dans les grandes villes, mais incapables de payer un loyer à eux seuls, ils préfèrent abriter des étudiants venus de leurs régions respectives. Mais en l'absence d'un généreux hôte, les étudiants se regroupent et s'entendent pour déléguer un représentant pour assumer la responsabilité légale devant un notaire et pouvoir ensuite loger chez lui et contribuer à payer la somme du loyer ainsi que les autres charges y afférentes. Majoritairement célibataires, les colocataires sont systématiquement du même sexe. Evidemment. Car si la mixité dans les mentalités algériennes est carrément sujette à proscription, les locataires célibataires et les étudiants en particulier souffrent toujours des suspicions malsaines d'une société obsédée par le vice. Ahmed, étudiant et colocataire, évoque le harcèlement qu'il a subi de son voisinage inquisiteur. «L'étudiant n'a plus les égards dont il jouissait jadis ; dès mon déménagement dans un immeuble ancien dans un quartier pourtant en plein centre, j'ai été sommé par les voisins de me faire accompagner par un membre âgé de ma famille ! Sachant pourtant que je suis majeur et légalement locataire», s'indigne Sofiane, étudiant de M'sila. Calomnie et exploitation Cette fâcheuse intrusion dans la vie privée des colocataires est indûment invoquée prétextant des «éventuelles déviances des mœurs» ; ainsi, recevoir des invités chez soi est dépendant de l'habilitation des voisins, et amies ou collègues de sexe opposé y sont bannies. «J'ai dû appeler ma grand-mère à la rescousse et ce n'est qu'après une sacrée scène à leur adresse qu'ils ont revu leur ingérence à la baisse et rendu leur surveillance plus discrète», ajoutera Ahmed. Les logements étudiants restent ainsi «mal vus», assimilables à des maisons de rendez-vous galants et si les garçons y subissent encore les intimidations, les femmes célibataires actives ou encore étudiantes y sont carrément montrées du doigt par «une société hypocrite», tance, indignée, Hanane, étudiante en médecine et d'ajouter : «J'en connais des voisinages qui font bon ménage avec des lieux de débauche avérés et des maisons closes sous les bons auspices des habitants et des autorités ; hélas, ce sont les braves filles qui sont impunément harcelées. Quand il m'arrive de rentrer très tard et exténuée de l'hôpital où je poursuis ma post-graduation, mes voisins me toisent comme si je rentrais ivre d'un cabaret.» Linda, une autre étudiante en biologie, partage son indignation. Elle s'est vu également stigmatisée par l'administration de sa résidence universitaire même après avoir tenté de concilier ses études avec un travail en intermittence. «J'avais réussi à décrocher un le poste de téléopératrice dans un call center, tout allait pour le mieux jusqu'au jour où mon employeur m'affecta à un horaire plus tardif», raconte la jeune fille qui habite désormais seule dans un studio loué près de son lieu de travail, et de poursuivre : «Les agents de sécurité m'ont outrageusement interdit de rejoindre ma chambre en insinuant des soupçons sur ma conduite.» L'administration, au lieu de lui rendre justice et étudier le cas des étudiants contraints de travailler pour financer leurs études l'a bonnement menacée d'expulsion. «Ne pouvant compter sur ma maigre bourse ni le support de mes modestes parents pour poursuivre mes études, j'ai dû quitter la cité U pour garder mon emploi ; du coup, cela m'a motivée davantage pour parachever mes études et construire ma vie avec plus d'assurance», ajoutera-t-elle. Contrairement à Linda qui semble réussir son émancipation, ils sont nombreux à galérer en dehors des cité U, ballottés entre parents proches et amis pour les moins nantis et à la merci des agents immobiliers ou des particuliers peu scrupuleux qui osent proposer même des «lits» à louer pour les plus désespérés, et comble de ce méprisant marchandage, le chantage à la réputation comme pour mieux les abuser.