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Promiscuité et insécurité
Résidences universitaires :
Publié dans Liberté le 02 - 11 - 2004

Alors que le ministre de l'enseignement supérieur et le directeur général de l'Office national des œuvres universitaires (Onou) avaient affirmé que tous les étudiants seront hébergés à la rentrée universitaire, la réalité est tout autre. Dans les cités U, la galère se conjugue au quotidien.
Lorsque Souad, étudiante en dernière année de sciences politiques, nous propose de faire une virée dans les cités universitaires de la capitale et d'y passer 24 heures en compagnie de ses camarades de chambre, nous acceptons tout de suite.
Il est 11h quand nous rencontrons notre guide. Direction la cité de jeunes filles Djilali-Liabès de Ben Aknoun (ITFC). Devant le portail, notre regard est attiré par Hafida, étudiante en première année. Elle est en sanglots, car son père se trouvant à côté d'elle, vient de lui annoncer qu'elle devra reporter son entrée à l'université à l'année prochaine, faute d'hébergement.
“J'ai attendu 13 ans pour pouvoir franchir le seuil de l'université et maintenant je vois mon rêve se transformer en cauchemar”, confie-t-elle en essuyant ses larmes. Son père nous explique qu'elle devait être logée dans les chalets de Ouled Fayet mais ils sont inachevés.
OULED FAYET
Qu'en est-il de la vie estudiantine dans les chalets ? Déplacement vers Ouled Fayet. “On a de la chance, aujourd'hui n'est pas jour de marché (de voitures). Le mercredi, il est impossible de se frayer un chemin parmi les véhicules”, lâche Souad, notre guide.
À la sortie de la ville d'Ouled Fayet, entre le lieudit le Plateau et le fameux souk hebdomadaire, se trouve la nouvelle cité de jeunes filles. Plantée dans un champ de pomme de terre au milieu de nulle part, la résidence sans clôture est en pleins travaux de construction. Elle est destinée à recevoir pas moins de mille étudiantes. Une route coupe le site en deux lotissements. Chacun abrite une rangée de chalets, dont certains sont en montage. Sur place, nous apprendrons que les pavillons contiendront jusqu'à 15 étudiantes. Les confidences s'arrêteront là. Car en s'apercevant de notre présence sur le chantier ; le conducteur des travaux fait tôt de nous chasser. C'est à l'extérieur que nous poursuivrons le recueil des témoignages. Venue s'enquérir de l'avancement des travaux, Hassina apprend que l'ouverture de la cité, initialement prévue pour le 26 octobre est reportée au 1er novembre. Le père de Lamia, quant à lui, n'a eu d'autre choix que de louer une chambre à sa fille dans un hôtel à Alger. “On a l'impression d'être dans le désert. Il n'y pas un seul arbre ; juste de la pomme de terre qui pousse un peu partout, sans oublier le manque de transport et de commerces. C'est invivable !” se plaint la jeune fille. Il faut marcher pas moins d'une centaine de mètres pour trouver la première station de bus. C'est à partir de ce site que nous avons regagné le centre-ville. Direction la cité Djilali Liabès (ITFC).
CITE DJILLALI-LIABÈS (ITFC)
La résidence est l'une des plus importantes d'Alger. Elle ne s'impose nullement par l'originalité ou sa beauté architecturale mais par son nombre prodigieux de locataires.
Les murs de ses différents blocs sont rongés par l'humidité. La cité ressemble à une vieille caserne désaffectée ou un centre de transit. Peu entretenus, ses pavillons sentent le moisi. Ils sont poussiéreux et sales. “Cela fait plus de cinq jours que la femme de ménage n'est pas passée ; il paraît qu'elle est malade”, affirme Souad. Les portes frêles des chambres facilitent l'incursion du premier voleur. Un tour de clef et nous voilà dans l'intimité des ces étudiantes en sursis. La chambre est presque nue. Quelques meubles de fortune, un réchaud, des couvertures apportées de la maison… sont disposées ça et là. Des posters à l'effigie du crooner irakien Kadhem Sahar et du Français Francis Cabrel tapissent les murs gonflés par l'humidité. Dans un coin de la pièce, l'eau coule à même le sol. À l'origine, cette pièce était réservée aux toilettes mais pour cause de promiscuité, le directeur a supprimé une partie des sanitaires et mis à la place des lits. La chambre comporte normalement sept étudiantes.
“Actuellement nous sommes dix personnes et ce soir quatre autres nous rejoindront”, nous apprend Souad. Akila est une de ces squattes. Arrivée avec armes et bagages à son lieu d'affectation en septembre, elle était surprise de constater que la cité de Ouled Fayet est encore un énorme chantier. “Ne sachant où aller, une personne rencontrée sur les lieux m'a orientée vers la cité universitaire de l'ITFC où l'on m'a délivré un certificat d'hébergement provisoire en attendant la fin des travaux”, raconte Akila. Peinée par sa condition, la jeune fille est pleine d'amertume. “Chez mes parents, j'avais ma propre chambre. Maintenant, je me retrouve obligée de faire du porte-à-porte jusqu'à ce que je tombe sur une étudiante qui a accepté de m'offrir le gîte en attendant le retour de ses colocataires. Après leur venue, j'ai dû partir. Maintenant, je suis une SDF et je passe chaque nuit dans une chambre différente”. Zahra, une jeune Bônoise, est dans une galère similaire. “J'ai nulle part où aller, je ne connais personne à Alger sauf Akila”, affirme-t-elle. Inscrite à l'école des travaux publics, Zahra voyait la vie en rose. Elle a vite déchanté . Même pour manger, il a fallu que les deux jeunes filles se rabattent sur une organisation estudiantine, l'UGEL, et obtiennent l'accès au resto U.
De malheureuses expériences comme celles de Akila et Zahra, sont légion. “Le responsable régional des œuvres universitaires nous a promis la semaine dernière que nous allions recevoir nos chambres le 22 octobre, mais rien n'a été fait. Deux jours plus tard, il nous a annoncé que c'est pour le 24 octobre puis le 1er novembre”, dénonce-t-elle.
En attendant que ce soit clair dans la tête des responsables, les étudiantes continuent à broyer du noir, à 10 dans une chambre de 18 m2. Il est 16h, l'heure pour Souad et les autres locataires d'aller au resto U afin de faire la queue pour la distribution de la chourba du f'tour. Rendez-vous après la rupture du jeûne à la cité de Dely Brahim…
DELY IBRAHIM
Sur les lieux, le constat est à peu de détails près le même qu'ailleurs. Le réfectoire est en chantier. Les fenêtres de certaines chambres ne sont pas encore montées. Pas de porte pour les placards. Les coupures d'électricité sont fréquentes. La clôture de la cité est inachevée. Et pour finir, les évacuations d'eau usée et les regards d'égout ne sont pas encore installés dans les sanitaires. La nouvelle cité de Dély Ibrahim se situe entre l'université et une cité de logements sociaux, juste à la sortie de la ville. À l'intérieur sont implantées deux battisses de cinq étages chacune. Des débris de maçonnerie longent la piste qui nous mène au resto U. Pour le moment, la cantine se résume à une dalle surmontée de piliers.
À peine arrivée dans le premier pavillon, une étudiante nous interpelle : “Djabek rabi. Regardez dans quelles conditions nous vivons”, tempête Kheira. “Tous les mots du monde ne pourront pas décrire notre situation”, fulmine son amie. Saïda étudiante en deuxième année universitaire est venue de Aïn-Salah. Elle raconte son calvaire.
“À la rentrée universitaire, je pensais pouvoir récupérer mon ancienne chambre mais on m'a affectée à la nouvelle cité de Dély-Ibrahim. Arrivée sur les lieux, l'administration m'a expliqué que je devais repartir chez moi et revenir dans une vingtaine de jours sous prétexte qu'elle devait d'abord loger les résidentes originaires de Blida, Tipasa, Boumerdès avant de prendre en charge celles en provenance des villes de l'intérieur du pays. J'ai dépensé presque 18 000 dinars pour payer mon billet d'avion et mon père n'a pas les moyens de m'offrir un autre voyage. Aïn-Salah, ce n'est pas la porte à côté”, réplique la jeune étudiante. À l'intérieur du pavillon, une résidente accostée au hasard dresse un état des lieux concis : “il n'y a rien ici !” Les chambres sont plutôt des dortoirs comportant jusqu'à onze personnes, avec en prime une literie défraîchie et des sanitaires inachevées. À l'entrée du couloir, une odeur nauséabonde d'égouts agresse le nez. Les toilettes sont submergées d'eau car les évacuations ainsi que les regards d'égouts ne sont pas encore installés et les murs accusent beaucoup de fissures. Rencontrée dans le hall, Samira, étudiante en première année, témoigne : “J'ai eu une légère éraflure à l'orteil qui s'est infectée suite à un coup que j'ai reçu aux toilettes. Maintenant, je suis obligée de subir une intervention, car il paraît que j'ai contracté un virus.” Une des chambres, la 111 a été fermée par l'administration à cause d'infiltrations d'eaux usées.
Il est 22 heures, dans la chambre 112, lynda est occupée à rédiger ses dernières notes de mémoire sur une table improvisée. Il s'agit d'une porte de placard déposée sur un bidon rempli d'eau. La peinture des murs est craquelée par les infiltrations des eaux… Avec ses 20 m2, la pièce doit accueillir 10 personnes. À l'entrée, deux placards sans portes font office d'armoire. Dans un coin est disposée une petite résistance toute rouillée destinée à la cuisson du f'tour. Au fond de la chambre, huit matelas sont entassés. “Il faut nous voir en dormant. Si l'une se tourne, nous sommes obligées de nous adapter à sa position. Quand il fait chaud c'est encore plus pénible. Hier soir, j'ai eu tellement chaud que j'ai ouvert la fenêtre pour aérer un peu. Aussitôt, l'agent de sécurité m'a donné l'ordre de la fermer car la cité est sans clôture”, raconte Lynda. Zineb renchérit : “L'insécurité, même si elle n'est pas apparente, reste l'un des principaux problèmes de cette cité, devenue une vraie passoire. Malgré la présence des agents de sécurité, n'importe qui peut se glisser dans la résidence, car aucune clôture ne sépare la cité des logements sociaux avoisinants.”
En dehors de l'insécurité, l'éclairage public est également un problème qu'il faut prendre en charge. “Hier, nous avons eu une coupure d'électricité qui a duré au minimum trois heures, nous étions obligés d'ouvrir nos fenêtres pour profiter du clair de lune”, affirme une autre étudiante. Notre témoin finit son récit en tirant à boulets rouges sur l'administration. “Alors qu'ils nous promettaient de nouvelles chambres, les responsables nous menacent maintenant d'expulsion à chaque fois que nous ouvrons la bouche.” Pourtant, leurs problèmes n'en finissent pas.
Par exemple, elles sont contraintes à un véritable parcours du combattant afin de se restaurer. En raison de l'inexistence d'un réfectoire dans la cité, les étudiantes doivent se déplacer même de nuit vers l'ancienne, distante d'une centaine de mètres.
Une situation qui se généralise
À la nouvelle cité de jeunes filles de 1 500 logements à Batna, les résidentes dénoncent. “La construction de la résidence universitaire est inachevée ; le resto U est en construction, absence de chauffage dans les chambres, manque de transport, insécurité… cette situation peut mener à un mouvement de protestation si les responsables ne prennent pas en charge nos revendications dans les plus brefs délais”, peut-on lire dans un communiqué envoyé par l'association nationale pour la solidarité des étudiants. Par ailleurs, les résidents de la cité des garçons Bouraoui-Amar à Alger ont soulevé le problème de la construction illicite d'un dépôt à caractère commercial dans les sous-sols de leur cité universitaire.
N. A.


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