Afin de bancariser les revenus issus de l'informel, le gouvernement tente d'imposer un plan de conformité destiné à capter ces fonds. La lutte contre la sphère informelle est hissée au rang des premières priorités du gouvernement. L'arme que celui-ci a choisi de dégainer n'est autre qu'un plan de «mise en conformité volontaire», pour ne pas dire amnistie fiscale, destiné à capter les fonds qui circulent dans la sphère informelle et les bancariser. Pourtant, si cette amnistie non assumée promet de permettre d'enfin revenir dans la légalité, sans risques de poursuites et d'amendes, elle est loin de susciter le rush espéré. Le directeur général des impôts (DGI), Abderrahmane Raouya, qui a animé hier une conférence organisée à l'initiative du Forum des chefs d'entreprises, a estimé qu'«on ne peut pas, pour l'heure, parler d'engouement» pour cette opération de mise en conformité volontaire, même si «beaucoup de personnes se présentent aux guichets des banques, si ce n'est pour déposer leur argent, pour se renseigner». Pourquoi donc cette frilosité envers cette perche tendue «gracieusement» par les pouvoirs publics ? On peut supposer que ce mécanisme encore mal assumé pêche par son manque de clarté, du moins pour le public. Hier encore, le directeur général des impôts insistait sur le fait que le mécanisme mis en place n'était «pas une amnistie fiscale». «Je suis à l'aise avec le sujet car ce n'est pas un dispositif fiscal, mais un dispositif de bancarisation des fonds circulant dans l'informel.» Un mécanisme qui permet à tout ceux disposant de fonds non déclarés de se remettre dans le droit chemin de manière volontaire, contre une taxation libératoire de 7%. Cependant, les risques encourus par ces nouveaux contribuables ou ceux qui se refusent à intégrer la sphère économique formelle demeurent un mystère. M. Raouya, qui a insisté sur l'effort de communication entrepris en ce sens, a expliqué que le processus s'étalera jusqu'à la fin décembre 2016. Qu'adviendra-t-il alors de ceux qui se seront refusés à intégrer le processus au lendemain du 31 décembre 2016 ? Le directeur général des impôts se contente de dire que le processus s'arrêtera, «il n'y aura plus de mise en conformité volontaire, et la loi sera appliquée». Les fraudeurs endurcis risqueront-ils des sanctions, pourront-ils être enfin débusqués par une administration fiscale intransigeante envers tous et plus seulement envers les opérateurs fiscalisés ? M. Raouya n'en dira pas plus, il insiste plutôt sur la nécessité d'un processus graduel, même s'il confie que la tâche de cerner l'envergure des fraudes et de l'évasion fiscale rest titanesque ! Celui-ci affirme que «même si on lance ici et là le montant de 37 milliards de dollars circulant dans la sphère informelle, il n'est pas sûr que l'on soit dans l'exactitude». Le DGI s'est évertué, au cours de son intervention, à mettre en lumière l'ensemble des dispositions introduites par la loi de finances complémentaire 2015 qui, au-delà de l'assainissement de l'économie et du travail informels, sont destinées à la simplification des procédures, à l'image de l'autoliquidation de l'impôt forfaitaire unique, du soutien aux entreprises, de la baisse de IBS et de la TAP. Raouya pris en défaut Des mesures loin d'impressionner les chefs d'entreprises présents à la rencontre, qui regrettent la ségrégation opérée par les pouvoirs publics entre entreprises de production de biens et les entreprises de production de services qui sont, elles, mises au même rang que les importateurs. Des regrets quant à la taxation des entreprises de services à 26% d'IBS contre 19% pour entreprises de production de biens qui ont suscité moult interventions. Ce à quoi le DGI répond qu'«il faut d'abord faire la part des choses entre les services, ce sont des questions qui restent à discuter». Cependant, M. Raouya sera pris en défaut par le désormais ex-président du FCE, Réda Hamiani, qui a démontré la limite des dispositions prises par la LFC 2015. M. Hamiani évoque même «une aggravation de la pression fiscale vu que la baisse de l'IBS et de la TAP ne touche que les activités représentant 5% du PIB, tandis que l'IBS a été augmenté de 3 points pour les activités représentant 25% du PIB». Il a également estimé que dans un contexte de glissement de la parité du dinar, on ne peut pas s'attendre à la croissance si «on coupe l'herbe sous le pied de ceux qui la créent». Gêné par cette contradiction flagrante, M. Raouya, qui reconnaît la «pertinence» de l'analyse, propose à M. Hamiani de discuter du sujet en aparté… Autre mesure phare que le DGI a souhaité mettre en avant : l'extension du droit de préemption à l'administration fiscale. Objectif : replacer la disposition qui a été sortie du code des investissements à venir dans le sillage du fisc qui aura l'autorité d'en disposer. Selon M. Raouya, il s'agira pour l'administration fiscale de vérifier, en cas de cession de parts sociales, la valeur de la transaction pour que celles-ci ne soient pas sous-évaluées, auquel cas le fisc usera du droit de préemption. Un discours qui ne semble toutefois pas convaincre les chefs d'entreprises, qui mettent à l'index les blocages issus de ce droit de préemption, de la règle des 51/49%, ainsi que ceux rencontrés pour les transferts de dividendes. Cependant, M. Raouya insiste sur la volonté des pouvoirs publics de diversifier l'économie et de sortir de l'économie de rente. Il en veut pour preuve que dans cette situation de crise, la fiscalité ordinaire a atteint plus de 1500 milliards de dinars durant les six premiers mois de l'année, alors que la fiscalité pétrolière n'a comptabilisé que 1240 milliards de dinars.