«Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître», chantait Charles Aznavour en 1966. Aujourd'hui, à 91 ans, l'auteur de La Bohème est remonté sur scène avec la même fougue et la même exaltation. Même si, comme il l'a avoué, «la vision et l'audition ne sont plus ce qu'elles étaient». A 91 ans, l'immense Charles Aznavour est remonté sur scène depuis mardi soir au Palais des sports à Paris pour une série de six concerts exceptionnels qui vont après le conduire vers d'autres pays d'Europe. Le grand maître de la chanson française reprend le micro au moment même où des dizaines de milliers de réfugiés affluent vers l'Europe. Issu lui-même de l'immigration arménienne, arrivé à Marseille sans un sou mais la tête plein d'espoir, Charles Aznavour a débuté son concert avec une chanson vieille de trente ans les Emigrants en hommage aux réfugiés. Dans un de ses couplets, il chante : «Comment crois-tu qu'ils sont venus ? Ils sont venus les poches vides et les mains nues. Pour travailler à tour de bras. Et défricher un sol ingrat». Plus que chanter, Charles Aznavour s'est même dit prêt à accueillir des réfugiés chez lui, à condition qu'ils parlent l'arménien. «Il faut aider les gens. Mes parents sont venus comme ça, les parents de mes amis sont venus comme ça et beaucoup d'autres parents sont venus comme ça. Les juifs, les Polonais, les Italiens ont traversé les Alpes les pieds nus, les Espagnols, les Russes, alors n'exagérons rien», s'est-il exprimé. «Il faut avoir de la mémoire et ne pas oublier» L'homme qui a vendu plus de 180 millions de disques dans le monde a répondu avec virulence à tous ceux qui estiment que la France n'a pas les moyens d'accueillir les gens. «Si on a de la place pour accueillir tout le monde, a insisté l'auteur de La Bohème. Il y a des centaines de villages totalement désertés et abandonnés. On peut les remplir. Il faut avoir de la mémoire, il ne faut pas oublier le passé». L'enfant de l'Arménie a toujours été sensible à la misère des autres. En 1988, juste après le séisme qui a dévasté son pays, il a crée la Fondation Aznavour pour l'Arménie, venant ainsi en aide à des milliers de familles. En France, et dans la discrétion la plus totale, il soutient de nombreuses associations et lutte pour le droit des minorités et des étrangers. «Si j'arrête de chanter, je meurs» L'auteur de Non je n'ai rien oublié a toujours gardé en mémoire les durs moments qu'a vécus sa famille et lui-même dans le sud de la France. Des humiliations subies, il s'est fait un grand nom dans le monde de la musique française et internationale, devenant ainsi une légende vivante. Malgré le poids des années (naissance en 1924), Charles Aznavour ne s'imagine pas un instant s'éloigner de la scène. «C'est mon oxygène», dit-il, même s'il reconnaît que parfois ça lui arrive d'oublier les mots. «Nous sommes donc à nouveau face-à-face. J'ai désormais 91 printemps. Ma vision n'est plus ce qu'elle était. L'audition, ce n'est pas mieux. Quant à la mémoire, c'est la catastrophe. Voilà pourquoi j'utilise un prompteur», a-t-il confié avant le début du concert. Charles Aznavour aime toujours raconter une discussion qui a eu lieu entre lui et sa femme. «Une fois mon épouse m'a dit : Charles, il faudrait que tu arrêtes maintenant la musique. Tu as vieilli. Alors je lui ai rétorqué. Si j'arrête je meurs. Ce à quoi elle m'a répondu. Alors n'arrête pas.»