L'armée thaïlandaise réoccupe la scène politique. Une tradition peut-être, mais cette fois, le pays vit l'une de ses plus graves crises politiques et elle se croyait obligée d'y mettre bon ordre. C'est la gestion par la crise, une manière peu ordinaire d'en régler, mais le cercle semble fermé avec un face-à-face entre un Premier ministre accusé d'affairisme et l'opposition. C'est le sens que l'armée de ce pays entend donner à son intervention, ou pour être plus clair, au coup d'Etat qu'elle a réussi mardi dans la nuit, sans heurt et sans effusion de sang. Un passage réussi, puisque même la population semblait indifférente, sinon liée à d'autres préoccupations. En ce sens, le chef des putschistes, qui n'est autre que le chef de l'armée thaïlandaise, le général Sonthi Boonyaratglin, a déclaré hier qu'il passerait le flambeau à un Premier ministre désigné d'ici deux semaines et que la démocratie serait rétablie dans environ un an. Lors de son premier point de presse depuis le renversement du Premier ministre Thaksin Shinawatra mardi, le général Sonthi a également assuré que le roi de Thaïlande, Bhumibol Adulyadej, n'avait rien à voir avec le putsch. « Une Constitution intérimaire sera préparée d'ici deux semaines et, pendant ce temps, une nouvelle Assemblée nationale sera nommée, ainsi qu'un nouveau Premier ministre », a-t-il dit. « Je démissionnerai en tant que Premier ministre intérimaire d'ici deux semaines et, maintenant, nous recherchons la personne qui deviendra le nouveau Premier ministre ». Les « candidats potentiels » sont « politiquement neutres et aiment la démocratie avec le roi comme chef d'Etat », a ajouté le chef de l'armée. Sonthi, qui a été reçu mardi soir après son putsch par le roi Bhumibol, a précisé que le gouvernement nommé par les militaires aurait pour tâche de préparer une nouvelle Constitution qui fournira le cadre pour les prochaines élections générales. « D'ici le début du mois prochain, la Constitution intérimaire sera prête, ce qui permettra le début de la rédaction d'une Constitution nouvelle et permanente. Ce processus devrait prendre environ un an ». « La prochaine élection générale se déroulera – espérons-le – en octobre l'année prochaine », a ajouté le général. Sonthi (59 ans) a démenti que le roi (78 ans) soit derrière le coup d'Etat. « Personne n'était derrière nous. Nous avons décidé par nous-mêmes au cours des deux derniers jours d'organiser le coup parce que les gens l'ont demandé et aussi en raison de la mauvaise gestion du gouvernement (Thaksin). » « L'armée a agi conformément aux vœux de la population ». Parlant du Premier ministre renversé, il a affirmé qu'il pourrait revenir en Thaïlande où il sera cependant passible de poursuites judiciaires. L'engagement de poursuites se ferait en vertu de la loi et (serait) fondé sur des preuves », a assuré Sonthi. Au lendemain du coup d'Etat, les militaires ont annoncé hier de strictes mesures visant apparemment à étendre leur emprise sur la Thaïlande, encore sous le choc d'un éventuel retour de l'armée aux affaires. Le pays, habitué pendant des décennies aux généraux, n'avait pas connu de putsch depuis 15 ans et la vision du Premier ministre Thaksin Shinawatra, désemparé à New York où il participait à l'Assemblée générale de l'ONU, a laissé perplexes de nombreux Thaïlandais qui, certes, ne l'appréciaient plus, mais ne s'attendaient pas à voir des officiers et des chars de combat apparaître brusquement dans les rues et sur leurs écrans de télévision. Le Conseil militaire, emmené par le général Sonthi Boonyaratglin, par ailleurs, premier musulman à diriger l'armée en Thaïlande, pays largement bouddhiste, a affirmé qu'il entendait servir le roi et n'a pas tardé à annoncer qu'il avait bien la situation en mains ou, du moins, qu'il entendait la contrôler. Tous les fonctionnaires, qu'ils soient en province ou dans la capitale, ont été sommés de ne répondre qu'aux ordres des commandants militaires et tout rassemblement de plus de cinq personnes a été officiellement interdit. Les auteurs du coup d'Etat ont également fermé les frontières septentrionales du pays avec le Laos et la Birmanie. Par ailleurs, ils ont imposé des contrôles sur les médias nationaux et internationaux. Cet ordre donne au ministère de la Communication la possibilité d'empêcher la diffusion de toute information qui serait préjudiciable aux nouvelles autorités. Alors que la plupart des pays de la communauté internationale se déclaraient inquiets, une délégation de diplomates étrangers a été reçue hier par le général Sonthi qui, selon un porte-parole, a voulu lui expliquer « la raison du coup d'Etat » et apporter des précisions sur « la direction » qu'il entendait prendre. Si le coup d'Etat ne surprend guère, il n'en est pas de même du silence international, sauf à croire que l'armée thaïlandaise bénéficie d'une certaine complaisance, le Premier ministre en poste jusqu'au coup d'Etat a fait son temps et qu'il constituait une réelle menace pour son pays et par voie de conséquence pour toute la région où les conflits se multiplient, ou reprennent de la vigueur.