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Au CRB d'antan, le conte est bon...
Ahmed Arab. Ancien entraîneur-joueur du CRB, coach du WAB, du RCK et adjoint de Lucien Leduc
Publié dans El Watan le 08 - 10 - 2015

«La vraie valeur d'un homme réside non dans ce qu'il a, mais dans ce qu'il est.» Oscar Wilde
Avant de pénétrer le palmarès prestigieux et enviable du CRB, faut-il rappeler que ses consécrations n'auraient pu s'accomplir sans la contribution d'hommes engagés, désintéressés, pleins de détermination qui ont hissé le fanion Rouge et Blanc au firmament du foot algérien. Ce sont des références qui méritent déférence ! Parmi ces pionniers, Ahmed Arab 82 ans, bien portés aujourd'hui, qui a participé en tant que joueur et technicien à l'émergence du Chabab dès l'indépendance. Les rappels historiques ont ceci de précieux qu'ils préviennent des omissions et de la culture de l'oubli hélas bien en vogue de nos jours.
J'ai commencé goal
Né le 19 mars 1933 à Chlef (ex-Orléansville), Ahmed Arab a appris à jouer, comme la majorité des Algériens, sur les terrains vagues où se déroulaient d'interminables parties. A 10 ans, sa famille déménage à Alger. «J'ai habité rue Porte Neuve, puis rue Bologhine, avec comme voisins Moha, Saâdi Abdelkader, notamment tous deux futurs stoppeurs. J'ai travaillé à Hussein Dey, pas loin du stade, dans une parfumerie détenue par Aboulker, de confession juive. Mes collègues de travail étaient pour la plupart des Belcourtois.
C'est pourquoi je passais mes week-ends au Champ-de-Manœuvres. En 1951, j'ai atterri au Widad de Belcourt, qui s'entraînait au foyer civique, j'ai débuté comme cadet deuxième année comme gardien de but sous la houlette du regretté Saâdi Yahia. J'ai gagné ma place en première grâce à mon aîné Ferhat, goal titulaire, qui a exhorté les dirigeants à me titulariser à sa place ! Il fallait le faire. A la fin de la saison 1953, on s'est classés 2es après le Racing Club de Maison-Carrée. On nous a offert un voyage en France près de Vichy. Là-bas il y avait un dépositaire de journaux, ancien footballeur connu de Mulhouse, qui venait nous voir jouer.
Je lui ai tapé dans l'œil, il m'a proposé de rester. En rentrant en Algérie il m'envoie une lettre me proposant d'évoluer au sein du club de sa ville natale, Estorgue. Après avoir convaincu ma mère, avec l'aide de mon frère aîné Mohamed, me voilà dans le bateau, puis le train, en direction de ma destination. J'étais gardien, mais on m'a fait jouer comme inter à Riom Esmontagne pendant 3 ans. On a accédé en CFA. Comme le fameux dépositaire avait déménagé à Brives, il m'a recommandé aux dirigeants qui m'ont trouvé un boulot à la mairie. Je me suis marié.
En participant aux Jeux olympiques de Rome, j' ai été contacté par Limoges, où j'ai évolué pendant deux ans. C'est là qu'on m'a collé le sobriquet de «Ahmed Limoges». En 1963, Ahmed fait partie de la première sélection algérienne sous la houlette du duo Khabatou-Ouaddah. «Après le match, je rentre à Alger où je séjourne chez la vieille, entre- temps, je m'entraînais avec le CRB, drivé par Meftah Dahman, ancien de l'USMB. C'est là que Djelloul Boughida, Bouhellal et Bouderbal, Khemissa se sont empressés de m'enrôler au Chabab que j'ai vu évoluer avec Saâdi Yahia à Hussein Dey contre le HAC».
Toujours professionnel à Limoges, Ahmed sollicite son départ à l'amiable, qui lui est accordé pour «services rendus». En 1964, il rentre à Alger, où il est entraîneur- joueur au CRB, tout en faisant partie de l'EN sous la direction de Firoud : «On a terminé la saison ex æquo avec le NAHD, qui a été déclaré champion au goal-average». Ahmed sourit, allusion au règlement désuet de l'époque, puis de poursuivre : «Il nous manquait 3 ou 4 joueurs, j'ai ramené Chenen et Medehbi, l'amalgame a tardé à se faire, mais on s'entraînait 4 fois pas semaine.
On était en avance sur les autres même sur le plan technico-tactique. Ce n'est qu'après une année que la machine s'est mise en branle pour aller truster les titres. Je me suis entendu avec les dirigeants pour le pourvoi des postes manquants. Il m'ont ramené des joueurs plus âgés que moi. J'ai demandé des explications, mais on m'a fait la sourde oreille alors je suis parti au WA Boufarik», s'explique-t-il, comme pour libérer sa conscience.
A la fin des années soixante, alors qu'en tant que maître d'EPS Ahmed était parti pour affaires au MJS, il rencontre Nordine Aït El Hocine, DG de Sonatrach au café Zanzibar, qui l'a persuadé d'adhérer à son projet en le pilotant en tant que directeur technique les sports dans la grande société nationale. Poste qu'Ahmed ne quittera qu'à la retraite, après avoir dirigé le CSSA Kouba et le NARA.
Les clichés ont figé à jamais les yeux inquisiteurs, cette bouche béate qui laisse échapper un cri venu du plus profond des entrailles et une colère noire lui donnant l'air d'un affreux méchant. En fait, rien de tout cela n'est vrai. «Ahmed a certes un tempérament de baroudeur qui gère avec poigne, ce qui ne plaisait sans doute pas à tout le monde», confie de son lointain Canada où il vit depuis plus de deux décennies l'insaisissable ailier Hamid Boudjenoun. Ajoutant : «Il piquait certes des colères, quand ses consignes n'étaient pas appliquées, mais on est aux antipodes de la rumeur. Ahmed est un gentleman qui sait ce qu'il fait», même constat de l'ancien goal remplaçant Mustapha Kamal Taouti, dont l'amitié avec Arab ne s'est pas tarie jusqu'à aujourd'hui.
Belcourt mon amour
A l'écouter parler, raconter son parcours, l'enthousiasme des débuts, la lente décantation d'un projet qui s'est confondu avec sa vie, on comprend qu'Ahmed s'est construit lui-même la destinée qu'il s'est voulue. Ce serait faire une entorse à la bienséance si on passait sous silence l'hymne pathétique du professeur en ophtalmologie Messaoud Djennas, enfant de Belcourt, qui a avoué son bonheur de conclure son émouvant ouvrage dédié à son ancien quartier Si Belcourt m'était conté par un clin d'œil au CRB, dont il reste un supporter inconditionnel : «J'ai toujours été un passionné de football, un supporter du MCA et de l'USMA des temps héroïques, puis de la JSK, de l'ESS et bien évidemment du grand Chabab Riadhi de Blecourt, le CRB, de ses exploits avec les prestigieux Lalmas, Nassou, Abrouk, Selmi, Achour …» Le premier club né avec l'indépendance de la fusion du Widad et du CAB.
Après une première saison mitigée, le renouvellement quasi total de ses effectifs allait lui assurer une incontestable suprématie sur le football national, et même maghrébin, une décennie durant. Qu'on en juge ! De 1963 à 1969, 4 fois champion d'Algérie, 3 Coupes d'Algérie et puis 3 Coupes du Maghreb ! La célébrité de Belcourt égala, voire dépassa, celle de Soustara, avec le MCA de la période coloniale, ce qui n'est pas peu dire quand on se souvient des immenses foules que mobilisait toute rencontre du vieux club algérois avec un adversaire européen.
Si personne ne peut nier que le CRB doit incontestablement sa suprématie à la valeur de tous ses joueurs. Les Nassou, Abrouk, Madani, Amar, Hamiti, Kalem, Selmi, Achour et bien d'autres encore, nul ne peut contester non plus le rôle majeur du magicien de la balle ronde qu'était Hacen Lalmas. Le 4 novembre 1964,il se fait remarquer par le beau but qu'il marqua au meilleur goal de tous les temps Lev Yachine lors d'une rencontre amicale au stade d'El Annassers qui opposa l'équipe nationale à celle de l'URSS, demi-finaliste de la Coupe du monde.» L'aura du CRB avait dépassé les frontières.
Le rédacteur en chef de Miroir du football écrivait en 1973 : «Les observateurs européens s'étonneront de voir figurer au milieu d'un liste prestigieuse le nom de Belcourt. Il leur faut savoir que ces équipes ont en leur temps atteint des sommets et que leur gloire aurait franchi les limites de leurs continents respectifs si les moyens de communication intercontinentaux avaient été aussi développés que depuis ces dernières années. Mais en présentant les ‘‘équipes éternelles'', nous n'avons pas seulement voulu justifier pleinement le titre de ce numéro. Notre but était aussi d'inciter les sportifs à comprendre une évolution du football.»
A une époque où l'amitié est volatile dans l'univers de la boule de cuir, il serait de bon temps de rappeler les ambiances qui prévalaient : «On sentait que tout le monde tirait dans le même sens et travaillait à la construction d'un grand club. Des joueurs de talent, mais aussi des dirigeants à la hauteur, l'entente était aussi bien sur que hors des terrains.
On était amis, on était complices, très présents sur le terrain, motivés. On se sentait investis d'une responsabilité particulière. Je crois que c'était l'une des plus belles époques du football algérien», nous confiait l'emblématique ailier gauche Achour. «Il est vrai que quand il n'oublie pas sa partition, ce qui ne lui arrive que rarement, le CRB joue une bien jolie musique en dépit d'une certaine fragilité défensive, nos attaquants se chargeront de compenser», arguent les irréductibles supporters.
Retraite paisible
Que fait Arab actuellement ? S'il a négocié habilement sa retraite puisqu'il s'occupe avec plus d'assiduité de sa famille et de son jardin, Ahmed a surtout gardé ce goût et cette volonté de ne pas se laisser aller et de ne pas rentrer dans sa coquille. Le foot national ? «Je ne peux en parler du moment que je ne vois pas les matches.» Il se dit déconnecté et n'hésite pas a dénoncer le comportement des gens, l'atmosphère de la magouille et de la corruption dans le sport : «Cela m'a donné à réfléchir, je me suis dit que ce n'est plus mon milieu.»
Alors lorsqu'on évoque avec lui le professionnalisme, sa moue veut dire mieux que mille livres : «C'est là que le bât blesse, c'est un professionnalisme sans la rigueur qui va avec. Quand je lis que tel joueur ne vient pas à l'entraînement dans l'impunité la plus totale, cela me révolte, surtout lorsqu'on sait que les joueurs perçoivent des sommes inimaginables.».
Ahmed parlera avec nostalgie du RCK et du WAB dont il a gardé d'excellents souvenirs : «C'étaient des usines de fabrication de jeunes talents», le Chabab à qui il souhaite la réussite la plus totale le fait encore vibrer, car «il m'a ouvert les portes, c'est pourquoi je lui suis très reconnaissant. L'équipe nationale ? «Elle répond aux besoins, pour le moment elle tient la route. Mais le seul problème, c'est qu'il n'y a pas de joueurs locaux, et ce n'est pas une mince affaire.» A 82 ans, Ahmed n'a nul besoin de reconnaissance. Il a appris tout au long de sa vie à faire la distinction entre l'éphémère et l'essentiel… Le seul CRB lui a permis de se construire un palmarès exceptionnel.
Alors lorsqu'on l'interpelle sur un jubilé hypothétique qu'il mériterait amplement d'étrenner, Ahmed manifeste sa désapprobation : «Je suis contre, car en fin de compte, je n'ai fait que mon devoir. Tout ce que j'ai entrepris, c'est pour le football et le développement de ce sport qui m'est très cher.» A la Ligue d'Alger, où il a exercé en tant que DTR au début des années 1980, Ahmed m'avait invité à l'accompagner à Bouira pour superviser une présélection de jeunes. «Nous avons pris la route dans son propre véhicule et il a pris des risques sur la dangereuse route de Lakhdaria pour arriver à l'heure. Sur place, je l'ai vu haranguer fermement les techniciens, mais avec pédagogie, sans méchanceté. Je suis un bénévole, comme tu le constates et la ligue ne me donne aucun sou. De tout façon, je ne lui ai rien demandé, je fais ça par passion…» C'était au temps où le dévouement avait un sens…


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