Les avis sur les nouveaux amendements du code de procédure pénale se rejoignent pour relever les failles qu'ils comportent, alors que certains préfèrent mettre en avant les avancées en matière de respect des libertés individuelles. Les nouvelles dispositions contenues dans le code de procédure pénale, devant être appliquées dès la fin janvier 2016, continuent de susciter les avis des professionnels du droit qui restent partagés, même si la majorité ne manque pas de mettre en exergue les «aberrations» qui les entachent. A la tête de l'Union des barreaux d'Algérie, le bâtonnier de Sétif, Me Saï, préfère mettre l'accent sur «les nouveautés» que consacrent les amendements. «Pour moi, ces derniers permettent une meilleure protection des libertés individuelles. Les procureurs n'ont plus le droit de mettre un justiciable en prison. Seuls les juges peuvent ordonner la détention. C'est une réforme importante en matière de liberté provisoire», déclare l'avocat. Selon lui, le nouveau texte apporte «d'autres garanties» en matière de liberté de circulation. «Les interdictions de sortie du territoire national, qui étaient souvent décidées par les services de sécurité, sont elles aussi du ressort exclusif du juge et les lieux de garde à vue doivent être connus et localisés. Les nouveaux amendements interdisent tout lieu tenu au secret. Autre amendement que nous considérons important est cette disposition qui permet de ne pas suspendre la décision de mise en liberté, lorsque le parquet fait appel. Il y a eu des décisions courageuses en matière de médiation pénale et de détention. L'utilisation du bracelet électronique va réduire sensiblement le recours à la détention provisoire et soulager d'une manière considérable les prisons», explique Me Saï. Le bâtonnier de Sétif reconnaît néanmoins que l'adoption de ces dispositions par voie d'ordonnance a privé les professionnels du droit à un débat qui aurait pu, dit-il, éviter «certaines failles qui entachent le texte mais qui n'enlèvent en rien à la pertinence des décisions que nous qualifions de courageuses. Elles viennent consacrer le principe de la présomption d'innocence». Pour une meilleure application de ces nouvelles dispositions, le président de l'Union plaide pour une «protection juridique des magistrats, à travers la réforme du statut du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Ailleurs, cette instance n'est pas présidée par le premier magistrat du pays, mais plutôt par le président de la Cour suprême et devrait être l'émanation d'une élection et non pas d'une décision du président de la République. Il en est de même pour les présidents de cour, qui devraient être choisis au suffrage du collège des juges et non pas désignés par le pouvoir exécutif». Me Saï plaide aussi pour «une réforme des mentalités des magistrats», qui ont besoin, précise-t-il, d'être rassurés. «Nous savons que, parmi eux, certains ont été sanctionnés parce qu'ils ont décidé de mettre en liberté un suspect ou un prévenu. Cette liberté d'agir doit être une réalité et non pas juste une disposition de loi», conclut Me Saï. Président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme, Me Farouk Ksentini abonde dans le même sens, tout en étant mitigé. Il commence par juger les amendements «globalement positifs qui renforcent les libertés individuelles à travers la limitation de la détention provisoire». Pour lui, les amendements vont inciter les juges à appliquer la loi dans toute sa rigueur surtout lorsqu'il s'agit des libertés et de la présomption d'innocence. «Avant, il y avait une frilosité de certains magistrats qui étaient très prompts à décider de la mise sous mandat de dépôt. Aujourd'hui, le code de procédure pénale ne permet plus cette facilité. Il a mis des garde-fous. Comme le droit d'être assisté par un avocat durant la garde à vue, qui est en soi une avancée. C'est un signal fort qui va dans le respect des principes fondamentaux des libertés…», révèle Me Ksentini. Ce dernier reconnaît cependant que ces principes se trouvent malmenés par des affaires de justice comme cette arrestation brutale du général à la retraite Hocine Benhadid. «Il est vrai que ce genre d'affaire est contreproductif. Cela procède plus d'une bévue que d'une une arrestation», déclare Me Ksentini, avant de plaider lui aussi «pour une réforme des mentalités chez certains magistrats, après celle des textes». «Pour une meilleure application de la loi, les juges doivent être protégés» L'avocat regrette, par ailleurs, que ces amendements n'aient pas concerné le tribunal criminel. «Je ne vois aucune raison qui empêche ou retarde une telle réforme et je reste convaincu que le ministre de la Justice est d'accord avec moi. C'est anormal que pour une amende de 50 000 DA, on peut faire appel et pour une condamnation de 20 ans de réclusion, le condamné n'a que la Cour suprême comme voie de recours. Cette interdiction du premier degré de recours est absurde», indique Me Ksentini, pour qui la promulgation des amendements par ordonnance «n'enlève en rien à la pertinence de ces derniers». Bien au contraire, estime-t-il, «certains débats peuvent susciter l'effet inverse, comme cela a été le cas avec la loi sur les violences à l'égard des femmes actuellement bloquée au niveau du Sénat». Le président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), Me Benissad, préfère, quant à lui, relever les incohérences des nouveaux amendements. Pour lui, «il est évident que le procès équitable commence par la manière avec laquelle le gardé à vue est traité, selon la loi et selon la pratique. Les nouvelles dispositions donnent le droit au suspect d'avoir un avocat et de communiquer, dès sa mise en garde à vue. Néanmoins, elles ne précisent pas à quel moment de la garde à vue l'avocat peut communiquer avec son client, autrement dit à quelle heure de la garde à vue, en sachant que celle-ci est de 48 heures, sauf pour les exceptions. L'avocat peut-il entrer en contact avec le gardé à vue avant pendant ou après l'interrogatoire ? Peut-il avoir accès au dossier ? Peut-il conseiller son client ? Il est évident que la communication entre l'avocat et le gardé à vue doit être frappée du sceau du secret et de la confidentialité, sinon elle n'aurait aucun sens. La revendication de l'assistance d'un avocat est ancienne et son but est d'évacuer toute suspicion de toute forme de torture pour arracher les aveux au gardé à vue et que, par conséquent, son introduction dans les textes ne peut se concevoir que dans le souci de garantir un interrogatoire fait dans les règles de l'art». Pour ce qui est du recours à la détention provisoire, Me Benissad explique : «Il faut que les dispositions du code de procédure pénale et la politique pénale soient compatibles avec les principes contenus dans la Constitution et les conventions internationales relatives aux droits de l'homme qui consacrent la présomption d'innocence, la liberté comme principe et la prison comme exception ainsi qu'un procès équitable.» L'autre Ligue, la LADDH, que préside Me Bensaid, abonde dans le même sens, mais en étant moins critique, en raison, précise son président, des «avancées intéressantes» consacrées par le nouveau texte. «Il faut reconnaître que les nouveaux amendements consacrent et renforcent la protection des droits humains et de la personne. L'article 123, par exemple, constitue un saut qualitatif parce qu'il fait de la détention une exception à la règle. L'introduction du bracelet électronique permet d'éviter la prison tout en ayant le suspect sous le contrôle de la justice», note l'avocat. Reste, ajoute-t-il, la mise en application de ces dispositions sur le terrain qui, d'après lui, devra faire l'objet de textes réglementaires. A propos de la constitution d'avocat par le suspect lors de sa garde à vue, le président de la LADDH estime que des «zones d'ombre» persistent, notamment en ce qui concerne le choix de l'avocat, l'information des suspects de la liste des avocats et le moment précis où la défense a le droit d'avoir un permis de communiquer. Selon lui, le débat au niveau du Parlement aurait pu apporter des réponses à toutes ces zones d'ombre, corriger des incorrections et apporter des éclaircissements par les professionnels du droit. «Une ordonnance ne pourra jamais avoir l'importance d'une loi débattue au Parlement.» L'avocat insiste sur le fait que «certains juges font preuve de rapidité» dans la délivrance des mandats de dépôt. «Dans 90% des cas, la chambre d'accusation rejette nos demandes de mise en liberté, rendant la décision du juge irréfutable», explique l'avocat. Revenant sur le volet de la dépénalisation des actes de gestion, Me Bensaid déclare : «Nous avions toujours dénoncé la loi 06-01 relative à la lutte contre la corruption parce qu'elle encourage ce fléau. Que vous voliez 1000 milliards de dinars ou 20 DA, la peine est comprise entre 2 et 10 ans de prison. Les amendements concernent les sociétés dans lesquelles l'Etat a des participations, et les autres qu'en est-il ? Pourquoi continue-t-on à terroriser les cadres gestionnaires et pourquoi ce manque de confiance à leur égard ?»