Mekki Nouna, le grand poète et parolier, âgé de 83 ans, très affaibli par la maladie, nous a reçus à Oran, plus précisément au quartier populaire de Tirigo, d'où il lance son cri de détresse quant à l'oubli dont il est victime. Mekki Nouna est ce menestrel du ch'ir el melhoun, ce «loup blanc» d'Oran, une encyclopédie vivante, célèbre parolier ayant écrit une centaine de chansons, notamment pour Sabah Saghira, cheikh Benfissa, cheikh Fethi, cheikh Miliani, Mazouzi et surtout pour Houari Benchenet avec les titres emblématiques et nostalgiques, tels que l'ode à la ville d'Oran, Arssam Wahran, Rani M'damer, Kbira Almia je m'en fous ou encore Loukan Nabki. Mekki Nouna est aussi une légende vivante. Car il a été le «berrah», l'animateur, ou en encore le «MC» (master of ceremony), alors qu'il n'avait que 17 ans, de Abdelkader Khaldi (Bakhta), cheikh Hamada, Mohamed Ghilizani, cheikha Rimitti, Bekhedda El Amri, cheikha El Ouachma ou encore cheikha Bakhta. Un pedigree forçant le respect. D'ailleurs, Mekki Nouna a été le maître de cérémonie lors de la soirée inaugurale de l'événement culturel franco-algérien baptisé «L'Année de l'Algérie en France». Il s'est produit dans de nombreux pays, dont la Belgique et le Maroc. Mais Mekki Nouna, l'enfant terrible d'El Hamri, du 10, rue Haroun Rachid, est depuis, fébrile, affecté, fragile et malade. Il nous lancera cet appel lancinant de détresse. Car il se sent marginalisé, ostracisé et «mis au rancart». Lui qui a œuvré et beaucoup donné pour l'Algérie, la culture algérienne et surtout en matière de sauvegarde et autre préservation du patrimoine. «Je suis dans l'oubli. J'ai donné énormément pour l'Algérie. J'ai représenté fièrement mon pays à l'étranger. J'ai fait des recherches dans le domaine de la protection du patrimoine local. Je mérite que l'on m'aide. Je n'ai pas besoin que l'on m'envoie au pèlerinage de La Mecque. Je voudrais qu'on m'aide pour survivre. Voilà ! Il y a plus d'un mois, le pionnier de la musique raï, Bouteldja Belkacem, et le comédien et auteur, Bentifour Noureddine, sont morts dans une indigence inhumaine. A qui le tour ? Suivez mon regard ! Je crois qu'un artiste préfère qu'on lui reconnaisse un minimum de respect tant qu'il est en vie. Au lieu de lui faire un vacarme élogieux après sa mort. Car ça ne lui servira à rien. Je remercie tous ceux qui m'ont aidé à surmonter les difficultés, à l'image de Samy Bencheikh, directeur général de l'ONDA, Belhachemi, le wali d'Oran, Abdelghani Zaâlache, ainsi que la délégation représentant les organisateurs du Festival de la chanson oranaise qui m'a rendu visite», nous a-t-il dit. Mekki Nouna avait accompli un remarquable travail d'«anthropologie», des recherches très approfondies en collectant, recensant, dépouillant, récupérant et classant des écrits et informations relatifs au ch'ir melhoun visionnaire (poésie chantée) entre autres ceux de cheikh Zenagui Bouhafs, Mohamed Belouahrani, Ould Daho et Sanhadji. Une association danoise, dont des membres se sont rendus à Oran, s'était intéressée aux poètes visionnaires, notamment l'acquisition des œuvres de Zenagui Bouhafs, auteur d'un ancien poème datant de 1870 intitulé Cheft M'nam (j'ai fait un rêve noir) recelant 360 vers. Les Danois avaient offerts 5000 dollars, mais Mekki Nouna avait décliné l'offre et a préféré remettre les résultats de ses recherches ministère de la Culture, où elles se trouvent toujours. «Depuis 1992, aucun des ministres de la Culture, depuis Hamraoui Habib Chawki à Azzeddine Mihoubi, n'a répondu à ma requête de remboursement total concernant les dépenses des recherches effectuées à travers plusieurs wilayas. Rien n'a été réglé. Je me suis retrouvé délesté de mes économies. Soit 460 000 DA. Puisse-t-il un jour qu'il y ait un homme honnête pour régulariser cette situation avant mon départ définitif de ce monde…», s'insurge Mekki Nouna.