Bakhta est un standard de la musique algérienne. Une ballade au style copieux, dense et pur jus wahrani ayant décliné une autre facette, plus « roots » (racines) de Khaled. Un titre publié, en 1993, sur son deuxième album international N'ssi N'ssi. Mais cette bluette du gharbi (déclinaison du chant bédouin oranais) galvanisée et modernisée n'est pas l'œuvre du king du raï, Khaled. Que nenni ! Bakhta est la muse et... la musique de celui qui a été affublé par ses pairs du titre souverain au sang bleu de « prince des poètes » : Abdelkader El Khaldi (1896-1964). A ne pas confondre avec un autre Abdelkader Khaldi qui est son homonyme mélomane et anachronique de Mostaganem (né en 1957, un El Khaldi junior). Abdelkader El Khaldi, « trucidé » par la flèche de cupidon, sous l'emprise d'un amour fou et éperdu, battant la chamade pour Bakhta de Tiaret, sa dulcinée. Une muse, l'inspirant, qu'il taquinera en la sacrant et lui consacrant tout un diwan (recueil). Plus d'une soixantaine de textes où il déclare et déclame sa flamme à sa bien-aimée. C'est dire de l'amour sans bornes qu'il portait à la belle Bakhta. Cependant, la poésie, les textes et le répertoire de Abdelkader El Khaldi ont été déjà interprétés par ses enfants spirituels du wahrani. Ils s'appellent Blaoui Houari avec Bakhta, Kirani naâchak fik et Had zine l'kitou, Ahmed Wahby avec Ya twil ragba, Wahd el gh'zal et Zendha Yechali ou encore Ahmed Saber avec la pathétique et émouvante Jar aliya el Ham. Bref, un immense « provider » de textes ayant forgé d'airain le nom et le renom des Blaoui, Wahby et bien sûr, par voie de conséquence celui de Khaled.. Abdelkader El Khaldi était animé pour ne pas dire « allumé » d'une passion dévorante et dévastatrice pour la poésie populaire de son humus natal. Le ch'ir el melhoun (poésie chantée) et du bedoui (chant bédouin) des chioukh de sa région comme Mokadem Meziane, Abdelkader Bencherif, Tahar Benmoulay Benchérif, Si Benyekhlef ou encore Ahmed Benkablia. Et ce, en baignant dans cette atmosphère lyrique de troubadour du terroir de Mascara, lors des fêtes et autres joutes rhapsodiques. Un provider de poésie Abdelkader Khaldi, épris éperdument du ch'ir el melhoun, se fera des dents... de jeune loup en s'essayant à la poésie de grands maîtres, à l'instar de Mostefa Ben Brahim, Lakhdar Ben Khlouf, Mohamed Benguitoune ou Benguenoun et à la kouitra (violon traditionnel). Sa marotte de ménestrel le mènera au Maroc, à Fès, pour parfaire ses connaissances et amender cet art poétique n'ayant rien de mineur. Son retour sera prodigue en productions personnelles de guendouz (élève) s'étant affranchi du droit d'aînesse du cheikh (maître) ayant un droit de regard sur ses créations et autres bafouilles de prose. Il faut rappeler qu'en 1938, le trouvère de Mascara, Abdelkader El Khaldi, avait enregistré des chansons avec un de ses pairs cheikh Madani chez le label Pathé Marconi. Dans les années 1940 et 1950, il se produira dans les radios d'Alger et d'Oran. Il a été même sacré et consacré, durant plus de six mois sur les ondes de la radio d'Oran, par une dame mordue de ch'ir el melhoun, Mme Dauphin, qui l'adoubera du titre de « Prince des poètes ». Sa présence à Oran aura beaucoup impulsé le genre gharbi-asri (wahrani plus communément). Les Ahmed Saber, son élève préféré, Blaoui Houari, Ahmed Wahby et Benzerga l'ont tout de suite compris. Abdelkader Khaldi aura célébré immanquablement l'amour, la bravoure, Mascara, l'exil, l'aventure, le mysticisme... Il a même été politiquement incorrect avec le colonialisme français dans un poème où il dit : « Nos leaders politiques ont fui leurs responsabilités/ d'autres sont plongés dans un sommeil profond... ». Cela lui a valu une garde à vue de 48 heures, car, pour les autorités françaises, c'était une incitation au soulèvement ou à la rébellion. L'auteur de Rani daâik lachraâ ya ghatabi, Z'hour Blida, Jar alia el ham, Touil ragba, Hya aouel chiîri, Ya ghadi el gazoul s'éteindra une certaine journée du 16 janvier 1964. Abdelkader Khaldi aura vécu à l'image du couplet de Aâyatni hadi trig : « Cette route m'a éreinté, ô douleur de mon coeur/ interminable et lancinante... ». Le legs de Abdelkader Khaldi est toujours aussi pris, prisé et repris comme la version wahrani de Ouafit ezzine interprétée par le crooner d'El Bahia, Houari sBenchenet.