Les morts suspectes signalées par le personnel de l'institut d'aéronautique de Blida et les soupçons de radioactivité qui circulaient parmi les étudiants ont amené le rectorat de l'université Saâd Dahleb à faire appel au Commissariat à l'énergie atomique «pour mettre un terme à la rumeur». Cette affaire qui défraie la chronique universitaire remet en lumière la problématique de la santé au travail et des risques liés à la sécurité dans le milieu scientifique qui demeurent, selon des syndicalistes, une question pendante commune à toutes les université de technologie du pays. Sous un soleil de plomb, rallier le pavillon 20 qui abrite l'Institut d'aéronautique, en haut de la colline surplombant l'université Saad Dahleb de Blida, est éreintant. Les longs sentiers arides qui y mènent grouillent d'étudiants. «Vous êtes donc journaliste ? Excusez-moi, mais je n'en sais pas plus que vous sur cette affaire de radioactivité», nous répond une étudiante. «Si, si, il paraît qu'ils ont affiché quelques chose à ce propos au pavillon 20», nous apprend une autre étudiante sur notre chemin. Nous avions justement rendez-vous au pavillon 20 avec un ancien étudiant qui nous avait communiqué ses inquiétudes sur une potentielle source de radiation à l'institut d'aéronautique, au mois de mai 2015. Même si ces doutes paraissaient invraisemblables, la rédaction d'El Watan Etudiant avait enquêté à cette époque sur l'éventuelle présence d'une source ionisante au sein de l'institut, comme un dispositif de contrôle non destructif de type gamma ou rayons X. La directrice de l'institut nous avait assuré que son établissement ne disposait pas de ce genre d'équipement et nous avait aimablement conviés à venir visiter l'institut afin de le constater de visu et d'en discuter avec des spécialistes dans ses laboratoires. Information donc confirmée : pas de source de radiation locale. D'autres rumeurs courraient également à propos d'une carlingue d'avion offerte à l'institut par l'avionneur canadien Bombardier Aerospace en 2012 ; le fuselage de ce jet privé, conçu pour les tests de conformité au sol, aurait été exposé intensément à des rayons gamma pour inspecter les soudures ou observer la composition des alliages d'aluminium avec d'autres matériaux que le constructeur développe pour rendre ses avion plus légers. A ce propos, des physiciens algériens — dont le professeur Badidi Bouda du Centre de recherche en technologies industrielles CRTI, ex-CSC) — nous ont expliqué que la présence de radiations suite à l'inspection non destructive par rayons gamma n'était pas plausible car les rayons absorbés par le métal le traversent et se désintègrent rapidement. Contacté à ce sujet, Abdelkader Kherrat, l'ingénieur à l'origine de la donation à l'Algérie du prototype, un Chalenger 300, responsable chez le constructeur canadien Bombardier Aerospace, nous a fourni toutes les informations concernant la carlingue en question et nous a assuré du strict respect des normes et de la règlementation en la matière, d'ailleurs extrêmement rigoureuse au Canada. C'était en mai dernier et la rédaction en chef avait décidé de ne pas publier notre article, après avoir constaté qu'il n'y avait pas d'élément probant. Experts atomiques Mais la rumeur court toujours. Nous apprenons ainsi, en ce début d'octobre, que le recteur de l'université de Blida vient de faire appel au Commissariat à l'énergie atomique pour inspecter les lieux. Les soupçons de radioactivité sont cette fois exprimés par des représentants syndicaux du personnel de l'institut d'aéronautique. Les syndicalistes ont même dressé une liste des éléments du personnel exerçant au sein de cet institut et décédés de pathologies identiques et d'autres, en exercice, diagnostiqués cancéreux. Au pavillon 20, notre informateur nous a fait faux bond. Mais comme nous l'a annoncé l'étudiante rencontrée en chemin, on vient d'afficher quelque chose à propos de cette affaire. Les affiches estampillées Commissariat à l'énergie atomique attisent la curiosité des étudiants. Certains, inquiets, ignorent les listes de groupes et les emplois du temps affichés à leur adresse pour tenter de déchiffrer la mauvaise photocopie du «certificat de non-contamination radioactive» signé par un directeur de division du Centre de recherche nucléaire d'Alger. Perplexes, quelques étudiants qui n'étaient pas au courant que leur institut venait d'être inspecté après des soupçons de radiations ionisantes ou de traces de contamination radioactive expriment leur étonnement devant le document laconique ; un document émis par la division réglementation, radioprotection opérationnelle et contrôle médical du Centre de recherche nucléaire d'Alger. Truffé de codes et de numéros de références internes, la seule phrase lisible affirme sommairement que «l'analyse de l'échantillon par spectrographie gamma ne révèle pas de contamination radioactive» et conclut que «le présent certificat est délivré pour servir et faire valoir ce que de droit»... Nous nous somme mis à la recherche de laborantins qui auraient accompagné l'équipe d'experts dépêchée par le Centre nucléaire, mais nous avons appris que le «groupe d'experts» se résumait à un seul missionnaire qui a sommairement visité les locaux en à peine deux heures — un temps largement insuffisant vu le grand nombre de pièces métalliques et d'équipements, selon les aveux de l'expert de la Comena — et qui, après s'être entretenu avec les responsables de l'institut, avait procédé à l'inspection de quelques lieux suspects, dont la carlingue du Challenger 300 et autres pièces et équipements à l'aide d'un détecteur de radioactivité portable (un Geiger Muller) et réalisé quelques frottis.Les échantillons prélevés ont été inspectés par spectrographie gamma au CRNA, dont le certificat affiché fait référence. «Si nous nous contentons de la diligence de Monsieur le recteur qui a pris cette affaire très au sérieux, nous restons moins satisfaits quant à la démarche des gens du centre nucléaire», déclare un laborantin. «On s'attendait à des mesure professionnelles sérieuses de la part de ces experts, qui avaient reçu officiellement une alerte. Nous n'avons constaté aucune procédure particulière dans ce cas inédit d'incident ; pas de mise en quarantaine et encor moins de matériel de protection ou autres combinaisons spéciales. La directrice et le personnel ont accompagné l'expert, qui était muni d'un simple mini Geiger Muller que l'on peut se procurer pour 200 euros», précise le technicien. Malgré nos multiples tentatives, nous n'avons pas pu joindre par téléphone des responsables du CRNA pour de plus amples explications sur leur dispositif d'intervention en cas de sinistre. Suspicion Du côté du syndicat, magasiniers, laborantins et autres travailleurs militent, sous la houlette de Chaïbi Bendahman, secrétaire général du Snapap, pour obtenir leurs droits à la santé et à l'hygiène au travail. A leur bureau de la section locale de Blida, les syndicalistes nous ont remis une longue liste de revendications détaillant les manquements qu'ils constatent aux niveau des laboratoires de plusieurs facultés : gestion des produits chimiques, déchets et résidus d'expériences y compris bactériologiques, manque de matériels de protection et autres carences et défaillances, dont l'absence d'équipement de sécurité. «Les travailleurs ont droit à une meilleure couverture sanitaire et à des visites médicales à intervalles réguliers», réclame le responsable de la section syndicale, avant de nous montrer une copie de la liste des noms et des affectations au pavillon 20 des personnes mystérieusement décédées ainsi que d'autres travaillant encore et souffrants des mêmes pathologies. «Cette liste n'est pas exhaustive, si ça se trouve d'autres personnes ignorent leur mal», précise un syndicaliste. «Nous ne comptons pas l'ancien chef du département d'aéronautique décédé en l'an 2000, suivi d'un enseignant d'aéronautique emporté par un cancer des os», précise le laborantin. «Il était le cinquième à avoir décédé suite à un cancer dans le département d'aéronautique, après un laborantin, deux gardiens et une femme de ménage : trois cancers du poumon et deux cancer des os», se souvient-il. «Trois laborantins et un magasinier travaillant au pavillon 20 ont été diagnostiqués cancéreux en 2012, l'année qui la suivie mort de l'enseignant» ajoute-il. Fin septembre dernier, le magasinier a succombé à sa maladie. Ce sixième décès amène le syndicat du personnel à saisir les responsables de l'Institut avec plus de fermeté «après que ce dernier magasiner atteint d'un cancer des poumons eut succombé il y a deux semaines nous avons exigé que lumière soit faîte sur ces soupçons». Le certificat de non-contamination délivré par le CRNA ne semble donc pas avoir apaisé les inquiétudes des étudiants et du personnel. «Nous faisons confiance à notre recteur, mais nous insistons que sans l'intervention d'une équipe de spécialistes multidisciplinaire (des médecins, des chimistes et autres) pour conclure à des morts naturelles ou pas, nous restons sceptiques». déclare M. Chaibi. Faute d'avoir exploré d'autres pistes — exposition prolongée à d'infinitésimales doses de radiations ; intoxication chimique, résidus d'amiante ou autres — pouvant conclure qu'il s'agissait de décès liés à la prévalence des maladies cancéreuses selon des proportions établies pour la population générale exposée, à défaut donc d'investigations concluantes, le mystère du pavillon 20 de l'institut d'aéronautique de Blida reste entier.