Le cancer fragilise, mais le silence sur la maladie en est son plus redoutable complice. C'est de ce silence que les femmes souffrent le plus, celui de ne pas pouvoir se confier à un proche, au mari, à ses parents, à ses enfants», lit-on dans la page prélude du 5e numéro des Indispensables de Waha, brochure de vulgarisation consacrée au vécu psychologique des femmes atteintes de cancer du sein, éditée par l'association Waha, d'aide aux malades cancéreux. Dans cette brochure d'octobre 2015, Mme Cherifa Bouatta, professeure en psychologie clinique à l'université de Béjaïa et membre de l'Observatoire contre les violences faites aux femmes (Oviff), met l'accent sur l'incidence psychologique du cancer, une pathologie qui affecte non seulement le corps, mais également l'esprit, et ce, à travers une enquête sur la souffrance psychologique induite par le cancer du sein. Une émouvante traduction de la désespérance psychologique vécue par 75 patientes, toutes atteintes de cancer du sein, âgées entre 36 et 73 ans, originaires de 9 wilayas de l'est du pays, dont Constantine, Aïn M'lila, Tébessa, Oum El Bouaghi, Skikda et Sétif. La majorité de ces patientes résident dans la wilaya de Constantine (81,9%), sont femmes au foyer (53,2%), ont suivi des études secondaires (26%), et sont mariées avec enfants (77,9%), généralement plus de deux. L'étude s'articule autour d'un questionnaire visant à cerner les difficultés rencontrées par ces patientes depuis l'annonce du diagnostic, jusqu'à la réaction des proches, l'acceptation de la pathologie et le traitement (ablation du sein, chimiothérapie…). Cette étude bouleversante de par les témoignages douloureux des patientes, met d'emblée en avant «un véritable problème concernant l'annonce du cancer». Si sur 75 patientes interrogées, 43 ont eu droit à une «annonce en douceur», 32 n'ont malheureusement pas été ménagées. Les termes employés par les médecins ont été qualifiés de «secs et durs», faisant ressortir le manque de précautions prises par certains médecins, bien que ces derniers n'ignorent pas «les conséquences que cette pathologie peut avoir sur la vie de la patiente, il s'agit d'une maladie très grave puisque le pronostic vital est engagé». Un véritable séisme Pour le Pr Bouatta, l'idée était de se pencher sur les émotions ressenties après cette annonce, sachant que dans notre société, le mot cancer est généralement associé à «la mort», à «maladie qui porte malheur» ou encore à «l'innommable». Dans la vie de ces femmes, un véritable séisme s'est produit : 30 étaient choquées, 18 ont pleuré et 17 avaient peur de mourir. Sur ces 75 patientes, 46 ont tout suite pensé que leur vie était terminée et 11 ont eu peur de souffrir alors que les pensées de 9 autres étaient surtout pour leurs enfants. Anéanties par le diagnostic, parfois par la brutalité de l'annonce, 58,4% des patientes ont estimé que leur vie a changé, et même beaucoup pour 24,7% d'entre elles. Le reste, soit 14,3% des femmes, préfère nier la réalité, «le déni étant un mécanisme de défense qui permet pour un moment à l'individu de ne pas prendre en compte une réalité trop douloureuse», lit-on dans la brochure. Et pour cause : le cancer change la vie d'une femme, relève l'auteure de l'enquête, du point de vue physique, mais aussi mental. Pour faire face à cette grave pathologie, l'affronter avec l'espoir de la vaincre, 37,7% des femmes se tournent vers leur mari et 23,4% vers les sœurs, loin devant les enfants (2,6%) qu'elles préfèrent généralement épargner à cause de leur jeune âge. Et si 68,8% des patientes avouent ne pas cacher leur maladie au reste de la famille, 28,6% en revanche optent pour le silence. Un choix souvent dicté par la nature des relations entretenues avec les autres membres de la famille. Cela dit, l'enquête met également en évidence les réactions négatives, hostiles et humiliantes, dont sont victimes 35% de ces femmes de la part de leur conjoint, tout comme elle souligne l'implication et l'aide du mari dans 61,33% des cas. En règle générale, en dépit des préjugés et croyances populaires sur le cancer, «rares sont les familles qui restent indifférentes devant la maladie de la fille», constate le Pr Bouatta, tout en relevant les bienfaits psychologiques que constitue le soutien de la famille, autant que le traitement, pour la malade. A la lumière des données recueillies auprès des patientes ciblées par l'enquête, le Pr Cherifa Bouatta insiste sur l'annonce du diagnostic qui doit faire appel à l'éthique, la déontologie et l'humanisme du médecin, à l'intégration de la dimension psychologique dans la prise en charge médicale et, enfin, l'inclusion de la famille — le conjoint en premier lieu — dans la prise en charge psychologique des patientes.