Les ennuis du déjà ancien premier ministre thaïlandais ne font que commencer. A croire aussi que tout le monde voulait son départ, y compris à l'étranger, où le coup d'Etat de mardi n'a pas suscité les traditionnelles réactions, comme ces condamnations de putsch. Rien de tout cela. Tout juste quelques rares appels pour un retour de la démocratie. Les militaires qui dirigent le pays semblent, à cet égard, offrir toutes les garanties, sauf la date de leur retour dans les casernes. C'est simple, il faut du temps pour boucler le travail de mise au clair. Signe de cette unanimité, ou du moins de ce consensus thaïlandais, une photo à la une de la presse thaïlandaise a officiellement confirmé hier que les généraux putschistes bénéficiaient du soutien au moins tacite du vieux roi Bhumibol Adulyadej, ravi de la chute du Premier ministre Thaksin Shinawatra. Sur le cliché figurent, en plus du monarque révéré et de son épouse, trois membres de la junte, dont son chef Sonthi Boonyaratglin, ainsi qu'un homme aux cheveux blancs, Prem Tinsunalonda. Dirigeant le « Conseil privé » du souverain, l'ex-général Prem était très discret depuis le renversement du pouvoir. Il en est pourtant l'architecte, selon des sources concordantes. Cet ancien Premier ministre, aujourd'hui octogénaire, apparaît comme le trait d'union entre, d'une part, le roi et la « vieille élite » qui l'entoure et, d'autre part, l'état-major militaire. « Prem est derrière le coup d'Etat », affirme un diplomate étranger anciennement en poste en Thaïlande, qui résume le putsch d'une formule : « C'est un coup d'Etat légitimiste. » L'aversion du roi pour Thaksin, entrepreneur immensément riche originaire du Nord rural de la Thaïlande, n'était un mystère pour personne. « Depuis le début, le roi déteste Thaksin, pour lui un nouveau riche fanfaron qui n'avait rien dans le ventre », reprend le diplomate qui a souhaité rester anonyme. Selon lui, le souverain âgé de 78 ans n'a pas apprécié une « dérive monarchique de Thaksin et sa tentative non démocratique de mainmise sur le pouvoir. C'est clairement le Palais qui a voulu remettre de l'ordre ». Thaksin le milliardaire a été accusé de diriger la Thaïlande de façon arrogante et démagogique, nommant les membres de son clan, souvent des affairistes, aux postes-clés des institutions. Ses manières de PDG aux dents longues lui ont valu beaucoup d'ennemis, notamment chez les militaires. « Thaksin a fait énormément de mécontents au sein de l'armée. Depuis 5 à 6 ans, il y fait passer ses proches. Or la progression de carrière dans l'armée thaïlandaise fonctionne de façon très stricte. Thaksin a interféré dans les promotions, il a enrayé le jeu en ne nommant pas les plus qualifiés. » Le roi Bhumibol a-t-il donné sa bénédiction au putsch avant que celui-ci ait lieu ? Certains des soldats, qui se sont emparés mardi de Bangkok, avaient noué autour de leur cou un foulard jaune, couleur associée au roi, pour indiquer que leur action ne saurait être dirigée contre le monarque, objet d'un respect quasi-religieux chez ses 65 millions de sujets. Depuis le putsch, le roi a montré plusieurs témoignages de bienveillance envers ses auteurs : en les recevant aussitôt après le pronunciamiento, en leur accordant plusieurs audiences et enfin en les investissant officiellement à la tête du pays par un décret royal. En outre estime-t-on, le calme constaté parmi la population s'explique par la conviction des Thaïlandais que les militaires ont reçu l'onction du roi. « C'est vraiment le roi qui donne le ‘‘la'' et les Thaïlandais ont applaudi des deux mains », estime un diplomate étranger. Forts de cette unanimité, ou de ce consensus, les militaires désormais au pouvoir en Thaïlande ont lancé une purge parmi les fidèles du Premier ministre renversé, alors que les enquêtes semblent s'intensifier sur des scandales ayant marqué ces cinq années de pouvoir. Hier matin, alors qu'il était officiellement investi à la tête de l'Etat lors d'une cérémonie, conformément à un décret royal, le général Sonthi Boonyaratglin a rendu au chef de la police nationale son autonomie de décision. Dans le même temps, les nouvelles autorités semblent vouloir s'intéresser de près à la fortune accumulée par M. Thaksin qui a été renversé alors qu'il participait à l'assemblée générale de l'ONU à New York et qui s'est depuis réfugié à Londres. Parmi les pistes évoquées par certains journaux figurent la mise en place d'une commission spéciale ou la relance d'un organe anticorruption dont les membres avaient démissionné l'année dernière. Les plus gros ennuis de M. Thaksin ont commencé en janvier lorsque sa famille a vendu pour 1,9 milliard de dollars à un holding singapourien toutes les parts qu'elle détenait dans Shin Corp, géant des télécoms que l'ex-Premier ministre avait fondé avant de se lancer dans la politique. La presse avait dénoncé l'exemption fiscale sur le bénéfice de la cession. Le chef de l'armée de l'air, Chalit Pukbhasuk, qui fait partie du groupe d'officiers désormais au pouvoir, n'a pas exclu hier, une saisie des biens de M. Thaksin. Pendant ce temps, le monde se tait. Pas de condamnations comme cela se fait habituellement. Même l'ONU semble acquiescer.