Soixante ans après le déclenchement de la Révolution, l'historiographie de cette période connaît, ces deux dernières décennies, un renouvellement des questionnements et des approches grâce à une jeune génération d'historiens algériens, français ou franco-algériens qui, sans se démarquer de leurs aînés, portent un nouveau regard sur la lutte de Libération», affirme Aïssa Kadri, professeur émérite de sociologie à Paris 8 et modérateur de la rencontre qui a regroupé la nouvelle génération d'historiens, invités du SILA pour présenter un aperçu de leurs travaux sur la guerre d'Algérie. Car si la génération de l'après-guerre avait posé les cadres généraux de l'histoire des années 1950, une deuxième génération a vu le jour – avec Mohamed Harbi, Benjamin Stora, Henry Alleg – marquée par sa proximité avec la Guerre de Libération. S'ensuit une troisième génération dont font partie Henri Carlier et Daho Djerbal, qui ont sorti la recherche historique du cadre des grandes fresques de la guerre pour s'intéresser à des sujets précis qui ont eu lieu durant cette période. Enfin, la dernière génération d'historiens se caractérise par sa façon iconoclaste d'aborder autrement l'histoire, en s'appuyant sur d'autres branches des sciences humaines comme la sociologie, l'anthropologie…Elle va systématiquement s'attaquer à quelque points aveugles de cette histoire tumultueuse qui n'a pas encore tout livré. Comme le souligne Aïssa Kadri : «Il y a dans les travaux des jeunes historiens une démarche novatrice dans le traitement des racines de la guerre. Leurs travaux ouvrent de nouvelles perspectives de compréhension des questions centrales.» Parmi cette nouvelle génération, Settar Ouatmani, maître de conférences à l'université de Béjaïa, qui s'est penché sur l'histoire de la Wilaya III à travers les archives. M. Ouatmani s'est intéressé tout particulièrement au service financier mis en place durant cette période. L'historien rappelle que durant les années 1954-55, dans la région, le FLN a rencontré de graves difficultés financières, conséquences d'un déploiement limité de l'organisation en Kabylie et d'un potentiel humain insuffisant. «Il faudra attendre l'année 1957 pour que la Wilaya III connaisse une embellie financière. En 1958, les comptes de la wilaya enregistrent un excédent de plusieurs millions de francs.» Lors de son dernier périple en Tunisie où il trouva la mort, le colonel Amirouche – qui fut l'artisan de cette aisance financière grâce à l'organisation qu'il mit en place – aurait laissé à son successeur Mohand Oulhadj, selon le témoignage du fils de ce dernier, un trésor composé de «quatre millions de francs, de plusieurs dizaines de lingots d'or et de pièces de monnaie», relève M. Ouatmani. Pour sa part, Tremor Quemeneur, de l'université Paris 8, s'est intéressé à la question de la désobéissance de la jeunesse française à la guerre d'Algérie. Pour le chercheur, il faut distinguer trois catégories de désobéissance : «L'insoumission à la guerre ; les objecteurs de conscience qui refusent de porter les armes et la tenue militaire, qui acceptent d'aller en prison autant de fois qu'ils renouvellent leur refus ; enfin les déserteurs.» «La nature coloniale de la guerre, les méthodes employées et le décalage qui existait entre le discours officiel français et la réalité vécue sur le terrain ont placé certains appelés dans une stratégie de désobéissance ou d'indiscipline, seule issue possible», affirme Tremor Quemeneur.