Amin Zaoui a présenté au 20e SILA son dernier roman, Qabla el hobi bi qalil, paru aux éditions El Ikhtilaf. Pour moi, rien ne sert d'écrire une histoire dont la suite peut être devinée par le lecteur. Rien ne sert d'écrire si on se contente de coucher sur du papier ce que le lecteur attend déjà. Je veux déranger le lecteur. Le romancier doit écrire ce que le lecteur ne sait pas, ne peut pas deviner», a déclaré Amin Zaoui, lundi soir à la salle du pavillon central, lors d'une estrade qui lui était réservée au 20e Salon international du livre d'Alger (Sila) qui se poursuit jusqu'au 7 novembre au Palais des expositions des Pins maritimes (Safex) à l'est de la capitale. Amin Zaoui a prévenu : «Il ne faut pas briser les tabous gratuitement.» Il a cité l'exemple du roman Haras de femmes (paru en 2001), dont l'histoire a trait à la pierre noire (Al hajar al aswad de La Mecque). «Je suis un hadj et je connais la valeur de cette pierre aux yeux des croyants. Mais j'ai écrit un roman sur ce sacré qui a été souillé par Al Qaramitta (les qarmates) à une certaine époque. J'ai travaillé sur l'imaginaire en écrivant l'histoire», a-t-il souligné. Pour lui, l'écrivain qui veut briser les murs de l'interdit doit assumer une certaine responsabilité scientifique et savante. «Quand on veut écrire sur la religion, le sacré ou le sexet, il faut connaître les fondements scientifiques, patrimoniaux, historiques, philosophiques et légaux. Sinon, on verse dans la provocation. Il y a un côté pédagogique à prendre en compte lorsqu'on brise un tabou également», a-t-il souligné, précisant être sensible à la moralité qu'impose la science. «Aujourd'hui, nous avons besoin d'un roman audacieux. Mais l'audace doit être bâtie sur un savoir, une culture, un argumentaire qui tient. Si on ne sait pas raconter une histoire, il est préférable de ne pas écrire de romans. Je considère l'écriture comme la sœur jumelle de la liberté. On ne peut pas construire la société avec la censure», a-t-il appuyé. Amin Zaoui ne fait pas de «calculs» lorsqu'il décide de la langue d'écriture d'un roman. «Je ne fais pas de calculs avant de décider d'écrire. Je ne m'adresse pas uniquement au lecteur en français quand je fais le choix d'écrire en français. Ecrire dans cette langue permet au roman algérien de passer à ‘‘la mondialité'', à d'autres langues», a-t-il estimé, citant l'exemple de son roman Le dernier juif de Tamentit, qui a été traduit en allemand, présenté à la dernière Foire de Francfort. Il a regretté la faiblesse de la traduction des romans parus en arabe vers d'autres langues en illustrant son propos par l'exemple du romancier égyptien, disparu dernièrement, Djamel El Ghitani. «Il est peu traduit. Idem pour Naguib Mahfoud. Alors que Haruki Murakami (écrivain japonais) est traduit et lu partout», a-t-il noté. Hispanophone, Amin Zaoui aime écrire en arabe et en français. «J'ai toujours lu et écrit avec ces deux langues. Et j'ai toujours voulu sauvegarder cet espace linguistique», a-t-il affirmé. Selon lui, la version arabe de La Divine comédie, de Dante Alighieri, a été expurgée de plusieurs passages. «C'est anormal ! Nous devons lire tout pour pouvoir avancer», a-t-il conseillé. «Quand j'écris de gauche à droite ou de droite à gauche, je suis hanté par la voix de ma mère. Parfois, je me dis que je suis l'écrivain public de ma mère. Aussi, dois-je défendre la beauté, l'art, le pluralisme, la liberté... La culture populaire est parfois plus libre que la culture savante», a-t-il noté. Amin Zaoui a confié que ses parents avaient vécu une profonde histoire d'amour qui a duré soixante-quatre ans. «A 76 ans, ma mère était toujours jalouse !» a-t-il appuyé. Encore collégien, Amin Zaoui a envoyé une lettre à Malek Haddad qui dirigeait à l'époque la revue Promesses. «Notre enseignant de français nous parlait souvent de Malek Haddad et notamment du roman Je t'offrirai une gazelle. Et quand j'ai trouvé la revue, je l'ai achetée. J'ai envoyé ensuite un poème en français par lettre à Malek Haddad. J'étais tellement heureux de m'adresser à un grand écrivain. Après plus d'un mois, j'ai reçu une réponse par lettre. Malek Haddad m'encourageait à continuer à écrire. Ainsi sont les grands, ils respectent les petites gens. La lettre a été publiée dans le tableau du collège. J'étais devenu le poète pour tous les élèves !», s'est-il souvenu, disant que la lettre à Malek Haddad signait le début de l'aventure pour l'écriture. Son dernier roman Qabla el hobi bi qalil (Juste avant l'amour), paru aux éditions El Ikhtilaf à Alger et El Dhifaf à Beyrouth, est une critique de la période politique des années 1970 en Algérie. «Période marquée par les dérives de Boumediène, les mutations sociales et l'émergence du courant takfiriste. J'ai été moi-même victime de ce courant à l'université», a-t-il confié. Amin Zaoui est revenu également sur le Le miel et la sieste paru en 2014 chez Barzakh à Alger. «C'est un roman philosophique qui traite des fantasmes autour des organes sexuels dans une société arabe et musulmane. Une société où la question sexuelle a plus d'importance que la culture ou la politique. C'est l'histoire d'un garçon né avec une malformation congénitale. Cela est suffisant pour créer un véritable boucan au village. Chacun y va de son commentaire et de ses conclusions», a-t-il relevé, reconnaissant avoir usé de mots vulgaires dans le roman. «Parfois, il y a de la poésie dans le vulgaire. J'ai voulu, à travers Le miel de la sieste, attirer l'attention du lecteur sur les travers de la société. Une société où tout est construit autour de l'hypocrisie, de la fausseté et de l'apparence», a-t-il souligné. Amin Zaoui n'a pas caché son admiration pour Kateb Yacine. «La folie de Kateb Yacine est celle d'un artiste complet. Il était l'enfant et le diable à la fois. Ce qui est fascinant en lui est l'esthétique de l'écriture, sa manière de mener un texte», a-t-il dit, citant Le polygone étoilé et Les ancêtres redoublent de férocité.