Des personnalités de divers horizons veulent en avoir le cœur net ; est-ce le Président qui gère le pays ou non ? La démarche entreprise par la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, l'ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, le moudjahid Lakhdar Bourgaâ, la moudjahida Zohra Drif, des militants des droits de l'homme, ne prête à aucune confusion. Elle est claire et limpide comme l'eau de roche. Si elle vient répondre à un constat alarmant sur la situation du pays, «le renoncement à la souveraineté nationale par, entre autres, l'abandon du droit à la préemption de l'Etat, la déliquescence de ses institutions, la grave dégradation de la situation économique et sociale, l'abandon des cadres algériens livrés à l'arbitraire et aux sanctions partielles», la demande d'audience formulée officiellement par 19 personnalités et remise au chef de cabinet du Président et ministre d'Etat, Ahmed Ouyahia, le 1er novembre dernier — qui n'a pas encore eu de réponse — pose en des termes sans équivoque la problématique de la capacité du locataire d'El Mouradia à gouverner et à gérer les affaires de l'Etat. Qu'elle soit ainsi exposée par des personnalités publiques, quelques-unes proches du président Abdelaziz Bouteflika, de son entourage, des sénateurs qu'il a désignés lui-même dans le quota du tiers présidentiel du Conseil de la nation, une institution dont le président (Abdelkader Bensalah) est absent depuis plusieurs mois, c'est que la capacité du chef de l'Etat — ayant brigué un 4e mandat lors de l'élection très contestée d'avril 2014 — à exercer les charges liées à ses fonctions constitutionnelles, interpelle, angoisse, alarme et suscite des craintes sur les dangers qui guettent l'avenir du pays. L'intervention de Djamel Ould Abbès, ancien ministre de la Santé, actuellement membre du bureau politique du FLN — certainement missionné pour répondre à Louisa Hanoune qui n'a pas cessé de douter que le chef de l'Etat soit au courant des décisions prises — ne semble pas à même de calmer les esprits. Les assurances que les responsables étrangers donnent, à la sortie de chaque audience avec le président Bouteflika, n'ont pas non plus d'effet sur une opinion qui a considéré que les déclarations faites, en juin dernier, par le chef de l'Etat français, François Hollande, étaient «une ingérence dans les affaires algéro-algériennes et une atteinte à la souveraineté nationale». L'initiative des 19 personnalités nationales — qui veulent donc constater de visu l'état de santé du Président, car c'est de cela qu'il s'agit en réalité — vient de donner une preuve éclatante que de plus en plus de monde, même les plus proches amis du locataire d'El Mouradia, ne prête désormais l'oreille ni aux élucubrations de ses collaborateurs et de ses relais politiques, encore moins aux assurances intéressées des étrangers qui le rencontrent. Et la non-réponse à la demande d'audience ne fait que jeter plus d'incertitude, d'appréhension et de doute sur les capacités à gouverner du chef de l'Etat qui n'a reçu, depuis son retour après sa longue hospitalisation en France, hormis Lakhdar Brahimi, aucune autre personnalité nationale. Pourquoi ? L'a-t-il décidé de son propre chef ? Si tel n'est pas le cas, beaucoup d'observateurs estiment qu'on peut comprendre que le Président soit sciemment isolé pour que les Algériens ne sachent pas que la réalité du pouvoir est entre les mains d'autres personnes qui gèrent les affaires de l'Etat par procuration. L'initiative des 19 personnalités — et surtout ses motifs — vient en effet tirer la sonnette d'alarme sur une situation qui s'avère intenable pour tous et sur laquelle l'opposition alerte depuis plus d'une année. Au sein de la Coordination pour les libertés et la transition démocratique (CLTD), des voix se sont même élevées pour exiger l'application de l'article 88 de la Constitution qui stipule la destitution du Président en cas de grave et durable maladie. Le Pôle des forces du changement dont le coordinateur n'est autre que le président de Talaie El Houriat, Ali Benflis, qui craint que le pouvoir ne soit entre les mains de forces extraconstitutionnelles, revendique le retour à la légitimité des urnes. L'ancien candidat à l'élection de 2014 a souvent exprimé des doutes sur les discours lus au nom de Abdelaziz Bouteflika. Louisa Hanoune, qui a critiqué le pouvoir sur les changements opérés récemment au sein du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) et l'emprisonnement du général Hassan (ancien patron de la lutte contre le terrorisme) et du général à la retraite Benhadid, se pose désormais la question si le chef de l'Etat sait ou ne sait pas. Alors, allons-nous vers un consensus au sein de toute la classe politique algérienne sur la vacance du pouvoir ?