En l'absence quasi volontaire d'un bulletin de santé régulier sur l'évolution de la maladie du président de la République, bulletin qui avait pourtant été promis par le staff médical pour éviter toute spéculation inconsidérée mais qui n'a jamais été rendu public, personne ne sait exactement dans quel état physique et psychologique se trouve ce dernier, à l'exception de son frère qui l'assiste dans tous ses mouvements et de deux ou trois hautes personnalités du régime qui sont dans le secret. Mais est-ce vraiment un secret que de ne pas vouloir communiquer sur son handicap lorsque l'évidence de sa désertion prolongée de la scène politique et des affaires de l'Etat s'impose comme un sujet de réelle préoccupation à tous les Algériens maintenus malgré eux dans l'ignorance de la vérité ? Quel est le degré de gravité de ce handicap qui oblige le Président, depuis maintenant plus de deux années, à ne faire principalement que quelques apparitions furtives à la télévision nationale à l'occasion d'audiences diplomatiques et dont les séquences filtrées et soigneusement travaillées suggèrent plus qu'elles ne révèlent sur sa situation actuelle et qui donc au lieu de rassurer suscitent davantage de suspicions au sein de l'opinion publique, voire les spéculations qu'on voulait à tout prix éviter. Il faut dire qu'en Algérie, on a inauguré une méthode tout à fait originale pour communiquer officiellement, sans le concours de la blouse blanche, sur son état de santé devenu par la force des choses un sujet de grande inquiétude nationale : ce sont les zooms, les travelling et les plans calculés à bonne distance de la caméra pour maintenir l'image au beau fixe. On a assurément trouvé là le moyen de répondre, par l'image et l'image seulement, à tous ceux qui émettent des doutes sur les capacités physiques et intellectuelles du premier magistrat à diriger le pays. Ces séquences relevant pour la plupart d'une activité protocolaire qui nous montrent invariablement Bouteflika recevant toujours dans la même posture et avec la même gestuelle lente et difficile ses invités, à force d'être répétées et exploitées comme des signes inaltérables de bonnes dispositions à gouverner, ont fini par produire un effet très restrictif sur l'objectif à atteindre. Elles ont ainsi amené les Algériens à penser que si le Président était en mesure de remplir dans les règles une telle activité diplomatique qui lui renvoie d'ailleurs une bonne résonance de la part de ses hôtes sur le perron de la Présidence, pourquoi se dispense-t-il d'être là où sa présence est obligatoire, dans les cérémonies officielles, dans les réunions politiques au sommet, dans les grands rendez-vous nationaux et internationaux, en somme là où il incarne la plus haute responsabilité de l'Etat et où lui seul peut trancher. A titre d'exemple : le Président n'a pas honoré la prière de l'Aïd à la grande mosquée, ni la cérémonie du 1er Novembre. Il n'effectue plus de visite de travail à l'étranger où il se fait représenter. Son agenda se limite aux audiences à El Mouradia… c'est quand même un côté peu valorisant de sa fonction. La contribution de la télévision pour lever les suspicions sur son impéritie à tenir ses engagements en matière de gouvernance, celle-là même qui a constitué la pierre d'achoppement du quatrième mandat sur lequel Bouteflika s'était impliqué malgré une très forte contestation de l'opposition qui soutenait que son incapacité physique était un pari périlleux sur l'avenir, s'avéra dans cette optique nettement insuffisante pour faire cesser les critiques et les attaques contre le bloc présidentiel. L'argument massue de l'opposition pour faire accréditer la thèse selon laquelle le Président s'est de plus en plus éloigné, en raison de sa maladie, des centres de décision reste le fait que par dessus ses absences aux rendez-vous vitaux de la nation, il ne peut même plus s'adresser directement à son peuple. Ses porte-voix autoproclamés auront beau soutenir que c'est lui qui contrôle toutes les décisions prises dans l'intérêt du pays, imaginer les parades les plus fantaisistes (du genre, il gouverne avec sa tête et non avec ses pieds) pour le présenter comme un chef qui agit sur les événements, ils ne peuvent rien contre cette vérité qui casse tous leurs arguments de défense. Face à la défection du Président du champ de la confrontation, l'opposition a raison, mais pas de manière subjective comme le clan présidentiel voudrait le faire accroire. Il y a, selon elle, danger à laisser les portes du Pouvoir ouvertes à toutes les convoitises et au délitement de l'Etat, comme l'a si bien rappelé Mme Bitat. Il y a surtout le fait que la maladie du Président a été traduite par les partis d'opposition comme une «vacance» avérée du Pouvoir aux conséquences désastreuses. Ils citent à ce propos les graves dérives qui ont découlé directement de cette absence d'autorité, à l'image de la déliquescence des institutions qui font désormais presque dans l'improvisation, de la substitution aux organes de l'Etat par une oligarchie envahissante, de l'amplification de la corruption qui s'est infiltrée partout. Le constat n'est pas la propriété exclusive de l'opposition qui cherche à l'instrumentaliser pour ses motivations politiques, c'est de bonne guerre, mais il est aujourd'hui établi par tous les Algériens qui ne se contentent plus d'un simple effet d'annonce pour être rassurés. Le Président est malade, c'est un fait. Mais quelle est véritablement la proportion de son ascendant sur les événements ? c'est la question que pose fondamentalement la démarche citoyenne du groupe des 19 que les «boucliers» du clan présidentiel veulent discréditer. Rien n'est innocent dans ce scénario pour le moins inédit qui semble avoir ébranlé sérieusement la citadelle. Le mérite de cette initiative qui a forcément une coloration politique et des desseins inavoués est que face à l'intransigeance des manœuvriers du sérail qui œuvrent davantage, on l'aura compris, pour leurs carrières personnelles, est de révéler que des voix contestataires montent même de l'intérieur du système. ça prouve que le ras-le-bol se généralise…