Lors d'un colloque riche en concepts, analyses et échanges fructueux, organisé mardi et mercredi derniers à l'auditorium du campus Aboudaou, à Béjaïa, à l'initiative de la faculté des lettres et langues, des spécialistes des sciences du langage, dont des didacticiens des langues, des sémioticiens, des linguistes et sociolinguistes de Béjaïa et d'ailleurs, se sont attelés à la question de la langue et de son rôle dans le monde entrepreneurial. Ce colloque national de deux jours intitulé «Plurilinguisme et entreprise : enjeux didactiques et socioéconomiques» a pour objectif de «repenser profondément les cadres d'analyse et à réfléchir à de nouveaux enjeux pour l'enseignement des langues en Algérie», dans un contexte où, dans notre pays et ailleurs, «s'opère une délocalisation des lieux du pouvoir économique qui impose une reconsidération des rapports des langues entre elles». Ce contexte est également caractérisé par un regain d'intérêt pour l'enseignement des langues étrangères, perçues comme gage de réussite dans la vie professionnelle. Il s'agit, donc, pour les spécialistes de comprendre «quelles sont les langues qui favorisent la productivité et les profits» et de savoir «quel degré de compétences faut-il avoir dans ces langues pour qu'apparaissent des effets économiques positifs». Le Français langue de «prestige» A ce titre, le français est décrit, par nombre d'intervenants, comme occupant une place de «prestige» dans la carte plurilinguistique de l'entreprise algérienne, en dépit, paradoxalement, de l'engouement mondial pour l'anglais et le monolinguisme officiel imposé au pays. C'est ce que démontre, par exemple, l'intéressante enquête réalisée par l'enseignant à l'université de Béjaïa, Bachir Bessaï. Cette étude menée sur un corpus constitué de lycéens et de personnel d'entreprises pour en déceler les compétences langagières en conclut, à la fois, à des incompétences en langues étrangères et un besoin exprimé d'y remédier. Les résultats de l'étude auprès des lycéens révèlent une assez forte orientation vers les langues étrangères, en premier le français. L'engouement pour l'anglais est également important, tandis que 15% seulement des élèves se sont exprimés en faveur de l'arabe et de tamazight. Cela est dû, selon le conférencier, à la représentation qui entoure le français comme langue garante d'un statut social élevé. Du côté des entreprises, l'enquête a révélé un profond besoin s'articulant autour de «l'adoption de mesure supplémentaires, compensatoires et alternatives à l'enseignement classique des langues». Cela s'est exprimé sous forme de propositions s'appuyant sur «la formation en amont du monde du travail». En d'autres termes, les entreprises plaident pour des «mesures à moyen et long termes dans l'enseignement et à court terme pour les formations structurées par ou pour le monde économique». L'enseignante à l'université de Annaba, Assia Boutefnouchet, qui a analysé la pratique du français chez des étudiants de l'Ecole nationale des mines de Annaba, propose un référentiel sur les compétences langagières. Une suggestion qu'elle estime nécessaire pour rehausser le niveau des étudiants en langue française. La conférencière pointe du doigt la politique d'arabisation dont sont victimes ces étudiants, «censés être l'élite car sélectionnés parmi les meilleurs» et garantir une main-d'œuvre aux compétences linguistiques à la hauteur des exigences des entreprises. Cet intérêt pour la langue française est révélé dans plusieurs communications. Eloges Cette préférence affichée pour la langue de Molière est, en revanche, abordée sous un angle critique par l'enseignant à l'université de Béjaïa, Atmane Seghir, qui a donné une conférence coécrite avec le doctorant Hanfi Hannat. Le conférencier s'est interrogé si l'on peut faire des langues des marques. En se servant d'un riche cadre de référence, il répond par l'affirmative. Tout simplement parce que, soutient-il, «l'éloge des langues n'est pas une réalité nouvelle caractérisant la mondialisation qu'ont généré les moyens d'information et de communication». En décodé, explique-t-il, «aujourd'hui, les écoles enseignant les langues étrangères consacrent des budgets publicitaires considérables pour leur promotion. Si l'on observe les discours énoncés autour de l'anglais et du français, par exemple, l'on découvrira que ces langues dites universelles sont des marques à part entière». Par ailleurs, le doyen de la faculté des lettres et des langues, Mohamed Bektache, qui a donné une conférence intitulée «Entreprises et gestion des langues : cas de trois entreprises à Béjaïa», nous a déclaré, en aparté, qu'une réflexion est engagée pour mettre en place un laboratoire de langues en connexion avec les entreprises, afin d'adapter les compétences linguistiques à leurs exigences. Il plaide, dans ce sillage, à la mise en œuvre de masters professionnels en langues et à plus de collaboration avec le monde de l'entreprise. A noter que le colloque a compté beaucoup de communications dont ne nous pouvons rapporter entièrement ici. Elles sont, néanmoins, disponibles en intégralité sur la webradio de l'université de Béjaïa. Enfin, notons que ce colloque est sponsorisé par cinq entreprises.