Quelle place pour la langue française aujourd'hui en Algérie ? Pourquoi y a-t-il de plus en plus de baisse de niveau ? L'école a-t-elle failli, ou est-ce la politique de l'Etat qui garde toujours ce complexe vis-à-vis du colonisateur ? Didacticiens et linguistes font leur analyse. Les pouvoirs successifs ont tout fait pour que la langue française disparaisse progressivement du paysage linguistique algérien, constate Mohand Amokrane Aït Djida, didacticien à l'université de Chlef. Un colloque portant sur les politiques linguistiques nationalistes dans l'espace francophone à l'ère de la mondialisation a été organisé, les 15 et 16 octobre dernier à l'université d'Alger, pour apprécier la situation du français en Algérie. «Il y a d'abord la dimension politique de la question, laquelle ne peut être occultée dans la mesure où la place qu'occupe une langue dans l'enseignement, sa valorisation ou dévalorisation procèdent d'une politique linguistique globale. Cette dernière est choisie en fonction des orientations idéologiques de l'Etat, ou, pour être plus précis, disons plutôt celles du pouvoir en place. Pour ce qui est de la langue française, force est de constater que les pouvoirs successifs ont tout fait pour que cette langue disparaisse progressivement du paysage linguistique algérien. Au lendemain de l'indépendance, le pouvoir en place avait affiché une volonté politique ferme d'en finir avec la langue du colonisateur.» Selon le didacticien, «la baisse du niveau est le résultat, entre autres, de cette ambiguïté qui a toujours caractérisé le statut du français, politiquement parlant, laquelle ambiguïté ne cadre nullement avec la réalité linguistique du pays qui veut que cette langue soit plutôt une langue seconde ou, comme le dit si bien la linguiste Safia Rehal, une langue qui, sans être officielle, véhicule l'officialité». Ce qui a engendré un malaise méthodologique en ce sens que les pédagogues ne savent plus comment considérer cette langue et quels programmes on doit adopter ! Pourquoi y a-t-il de plus en plus de baisse du niveau dans l'école ? Pour Aït Djida, il y a des régions où cette langue constitue réellement la raison principale de l'échec aux examens. «Il en est ainsi, car en plus des paramètres purement institutionnels, des raisons d'ordre culturel font que le français peine à entrer dans les foyers. En dehors des grandes villes où la langue française a encore de beaux jours devant elle, on peut dire que plus on s'éloigne des zones urbaines, moins on a la chance de surprendre une discussion dans cette langue en dehors de l'école, voire même à l'école. Illettrisme des parents, conditions matérielles précaires, mode de vie rural,… tout cela a contribué, de façon décisive, à la disparition progressive du français, qui était pourtant présent autrefois dans ces mêmes régions lorsque la scolarisation se faisait entièrement dans cette langue.» Ce n'est pas un inconvénient d'avoir aujourd'hui une génération de plus en plus arabophone, selon Lilia Medjahed, maître de conférences à l'ENS de Mostaganem et chef de projet au CRASC et au laboratoire Elilaf (Environnement linguistique et usage de la langue française en Algérie). «L'Algérie est un pays plurilingue et pluriculturel, participant à la richesse identitaire séculaire. L'enseignement/apprentissage des littératures nationales d'expressions française, arabe, amazighe met en valeur un imaginaire collectif algérien fécond.» «Ces dernières années, les débats sont nombreux, souvent enthousiasmés, voire passionnés sur la francophonie. En ce sens, l'enseignement/apprentissage de la langue française, dépassant les contextes de décolonisation, doit être inscrit dans une logique d'installation d'une compétence communicative et culturelle. Les nouveaux modes d'intervention pédagogiques s'interrogent sur le type d'enseignement de la littérature française à adopter dans le cursus universitaire, dans une dynamique de mondialisation des économies et des cultures. Au niveau conceptuel, la refonte pédagogique a permis aux enseignants- chercheurs de réfléchir sur la confusion entre francité et francophonie. Les nouvelles spécialités en licence et mastère de langue permettent une ouverture sur les autres aires culturelles et littéraires francophones (Québec, Haïti, Moyen-Orient, Afrique, etc.) favorables aux contacts des langues et des imaginaires», conclut Lila Medjahed.