Elle a bercé l'enfance de toute une génération d'Algériens. Son rythme régulier, par saccades, perçant les murs et les dalles de sa propre demeure ou celle du voisin, résonne encore dans les têtes. La machine à coudre, cet outil jadis sauve-misère, offrait aux femmes au foyer la possibilité d'améliorer le quotidien de la famille. En 1990, Amar Tribèche à travers le film culte Une Famille comme les autres (Aïla ki nass) reprenait parfaitement ce trait social dessiné à travers le rôle de la fille de l'excellent Athmane Ariouet. Une jeune femme, la cadette de deux garçons, qui contribuait aux dépenses familiales face au maigre revenu du chef. Aujourd'hui, la couture reste une activité prisée, mais pas exclusivement, par les femmes. Il faut dire que confectionner des tenues de soirée, de fête ou traditionnelles rapportent gros. Les plus douées s'attaquent aux robes de la mariée. «Un caftan comme celui-là coûte jusqu'à 30 000 DA», indique Zoubida Bouteldja-Abbas. «Cette petite robe peut être faite en un jour et vendue à 8 000 DA», affirme le professeur de couture en présentant une petite robe princesse de couleur noire, exposée dans la salle de cours. Au CFPA de Sidi Moussa, la formation en couture a du succès. «Ce centre a toujours eu une très bonne réputation. Même durant les années de terrorisme, les jeunes filles venaient de toutes les agglomérations avoisinantes pour apprendre la couture. On a même eu à former des garçons», assure l'enseignante, qui comptabilise 24 ans de service. En tablier rose, une trentaine de jeunes filles regardent leur formatrice avec respect. «C'est moi qui ai décidé de m'inscrire dans ce centre. J'aime la couture et je veux apprendre tous ses secrets», annonce gaiement l'une d'elle. «La condition sine qua non pour réussir dans cette activité est la passion. Il faut vraiment aimer la couture sinon, mieux vaut faire autre chose», annonce tout de go l'enseignante. Dans cette formation en couture, où les stagiaires apprennent les bases de cet art, les inscriptions sont ouvertes aux jeunes qui ont un niveau inférieur à la 4e année moyenne. «A partir de cette formation, les stagiaires peuvent enrichir leur cursus en optant pour le prêt-à-porter pour une durée de 18 mois, de modéliste qui dure 2 ans et de tailleur pour 6 mois», informe l'enseignante. Machine droite, Surjeteuse, boutonnière et autres, les machines rutilantes sont ordonnées et disponibles. Durant cette formation, les stagiaires apprennent la construction et la fabrication d'un vêtement, étudient la technologie textile, celle des machines pour des réparations simples, le dessin technique, le calcul et l'informatique. «En tout la formation de base de couture dure 2 ans avec 45 jours de stage en entreprise», explique encore Mme Bouteldja-Abbas. Qu'en est-il des débouchés ? «La couture est un domaine où l'on ne chôme pas», assure l'enseignante, qui se rappelle d'une promotion sortie il y a deux ans qui comprenait six garçons. «Deux d'entre eux ont ouvert leur propre atelier. Un ancien stagiaire a même fait des merveilles avec une machine à coudre modifiée. Il confectionne des baskets et des casquettes. Il a vraiment eu du succès avant d'interrompre son activité pour effectuer son service militaire», se rappelle-t-elle. Par ailleurs, la très affable Mme Bouteldja-Abbas assure que malgré la forte concurrence des «confections chinoises installées à Blida», les ateliers sont de retour. «Beaucoup de mes anciennes stagiaires ont ouvert leur propre affaire. L'une d'elles m'a assuré qu'elle engrangeait en moyenne 40 000 DA par jour. C'est vraiment très lucratif», confie-t-elle pour dire que malgré la forte domination du marché par les vêtements d'importation, la couture sur mesure et de certains vêtements traditionnels et adaptés reste un marché porteur. «Dans un atelier, une piqueuse qualifiée peut avoir un salaire de plus de 30 000 DA», déclare-t-elle. Au bout de ses deux décades et demie d'enseignement, Mme Bouteldja-Abbas souhaiterait que les programmes de cours soient actualisés en laissant une marge à l'enseignant qui connaît le mieux sa spécialité et lui permettant de faire valoir ses connaissances en la matière. «Le monde évolue vite. Et avec les nouvelles technologies, les techniques de productions à la chaîne sont améliorées avec des outils numériques qui font la conception et permettent la création. Mais, nous on enseigne encore les anciennes méthodes avec du matériel un peu obsolète», déplore-t-elle. Mais malgré ce couac, la couture reste porteuse et peut faire renaître la bonne qualité des activités de textile de jadis. Et n'en déplaise aux pessimistes, être artiste de l'habillement ne nécessite pas obligatoirement un gros investissement, un crédit Ansej ou Angem, une machine à coudre, des ciseaux et des aiguilles et l'entreprise se monte chez soi. La femme au foyer peut également, de son domicile, jouer un rôle économique salutaire. Jadis, «un métier à chaque doigt» (koul sbaâ b'sanaâ), était le meilleur faire-valoir de nos sœurs et filles. C'est grâce à la cadette et son activité que les garçons de Athmane Ariouet (dans le long métrage) ont acheté la voiture familiale...