«La corruption a miné le système éducatif à tous les niveaux, aussi bien individuel qu'institutionnel.» La lourde sentence est prononcée sans ménagement par le professeur Abdelyamine Boudaoud, à l'ouverture de la conférence internationale sur «L'honnêteté intellectuelle» organisée le 10 novembre dernier à l'université Mohamed Boudiaf de M'sila. «L'obsession de décrocher le titre de docteur à n'importe quel prix et par n'importe quel moyen a rendu dérisoire la valeur d'honnêteté intellectuelle. L'essentiel, semble-t-il, est de coller la lettre D (de docteur) à son nom», dénonce l'enseignant et chercheur aux universités de M'sila et Alger III. Pour M. Boudaoud, l'un des plus grands maux qui touche la recherche scientifique réside dans le fléau du plagiat. «L'absence de la crainte du déshonneur et de l'image qu'on reflète dans la société a conduit à de graves résultats. Le plagiat est devenu un cancer qu'il faut éradiquer avant qu'il ne métastase», avertit-il encore. La conférence — organisée conjointement par le laboratoire d'apprentissage et contrôle moteur de l'université de M'sila et Techknowledge, représentant exclusif pour la région MENA du programme Turnitin de détection du plagiat — malgré une lourde connotation commerciale, a eu le mérite de tirer la sonnette d'alarme sur un grave danger qui mine non seulement la recherche scientifique et l'enseignement à tous les niveaux, mais aussi le devenir de tout un pays. Ce vol scientifique, qui n'est pas moins dégradant que les autres délits, n'est certainement pas propre à l'Algérie. «C'est un phénomène mondial qui touche les pays à des proportions diverses. Seulement, en Angleterre et dans les pays occidentaux, ce mal a été détecté très tôt et, dès la fin des années 1990, les moyens nécessaires ont été mis en place pour le combattre», affirme Tareq Qahwaji, le conseiller émirati de Techknowledge. En 1998, l'université britannique de Berkeley a mis en place un système appelé Turnitin pour vérifier l'originalité des travaux de ses étudiants. Aujourd'hui, ce programme «trois fois plus vaste que Google», selon M. Qahwaji, est adopté dans 10 000 universités de 126 pays et est exploité par 80% des périodiques scientifiques certifiés. «Au-delà de sa fonction dissuasive, le système installé dans les universités a contribué à donner les bons réflexes aux étudiants et enseignants. En Angleterre, aujourd'hui, le plagiat est devenu presque invisible dans les universités. D'ailleurs, actuellement, Turnitin est installé dans l'éducation et non plus dans l'enseignement supérieur», développe-t-il. En bon commercial, M. Qahwaji fait référence au classement académique des 500 meilleures universités du monde. En 2005, aucune université arabe ne figurait sur la liste. Mais en 2013, quatre établissements saoudiens et un égyptien ont été classés. «Il faut noter que ces universités ont adopté Turnitin dès 2005. Est-ce la seule raison qui leur a permis de figurer dans la liste ? Pas obligatoirement, mais cela y a certainement contribué», affirme-t-il, en rappelant que 60% des critères de classement concernent directement la recherche scientifique. Mais en fait, pourquoi le plagiat a pris de telles proportions dans le Monde arabe en général et en Algérie en particulier ? Selon les intervenants à la conférence, plusieurs raisons sont à l'origine de cette malhonnêteté intellectuelle. L'absence de valorisation des recherches, qui ne trouvent pas de répercussions réelles dans les mondes économique et sociétal, les règles de promotion imposées dans l'enseignement supérieur, l'inexistence de sanctions positives et négatives pour les chercheurs, la perte des valeurs sociales et culturelles ainsi que les politiques instaurées par des régimes fondés sur le clientélisme, le régionalisme, le népotisme et la corruption de préférence aux élites en sont les principales raisons. Mais ces facteurs réunis ne peuvent en aucun cas justifier un vol, qu'il soit de nature intellectuelle commis par des élites. L'honnêteté est une valeur culturelle et individuelle que la médiocrité ambiante dans nos universités ne doit pas disculper. Et dans le cas algérien, le plagiat ne semble pas inquiéter à son juste titre les consciences, ni celles des premiers concernés, les universitaires, ni des responsables. Ces derniers, malgré quelques effets d'annonce sur la volonté de lutter contre ce phénomène, tardent à mener bataille. Pourtant, les moyens de lutte existent : logiciels antiplagiat, liste des périodiques scientifiques certifiés, sanctions… «Il n'y a pas une réelle volonté politique de lutter contre ce fléau», déplore le Pr Bendaoud. «Je rêve de voir un jour nos pays arabes adopter des textes de loi fermes et courageux contre le plagiat et protéger les droits d'auteur», fantasme Tareq Qahwaaji. A la clôture du séminaire, le docteur Chouia Boudjemaâ, organisateur de l'événement et directeur du laboratoire de M'sila, a égréné une liste de recommandations, dont la plus remarquablement étonnante est d'instituer un serment — à l'image de celui d'Hippocrate — pour les chercheurs. Mais un intellectuel qui vole respectera-t-il un simple serment ?