«J'ai été diagnostiqué diabétique il y a près de 20 ans. Durant toute cette période, j'ai pris l'habitude de mesurer les variations de ma glycémie tous les jours et aujourd'hui, j'apprends que je ne peux plus le faire, car la Cnas a jugé que ce n'était pas nécessaire !» Pour Abderrahmane, 53 ans, le quotidien avec le diabète est soudain devenu source d'angoisse. «Comment peuvent-ils décider du nombre de mes piqûres sans connaître mon état de santé ?», s'interroge-t-il. Il y a quelques semaines, la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnas) a décidé de limiter la prise en charge du remboursement des bandelettes d'autosurveillance glycémique pour les diabétiques de type 2. Autrement dit, alors que les diabétiques avaient droit à trois boîtes de bandelettes par trimestre, ils devront se contenter désormais d'une seule boîte. Ahmed Benfares, pharmacien d'officine en témoigne : «Cet été, une note de la Cnas-Casnos est venue limiter le remboursement des bandelettes d'automesure de la glycémie, chez les diabétiques de type 2 équilibrés et non insulino-dépendants, à une boîte de 50 bandelettes par trimestre. Cette mesure est motivée par le souci de réduire les abus dans la consommation des bandelettes réactives pour l'autosurveillance glycémique». Karim endocrinologue indique : «Nos malades bénéficient d'un système de santé très favorable et malheureusement, quand on parle de système de santé très favorable, on peut rapidement constater que les abus et le gaspillage sont très fréquents». Pour lui : «Les patients n'accordent pas leur vraie valeur aux produits qu'ils utilisent, car ils l'ont gratuitement, et cela crée une tendance à l'abus et au gaspillage». Du côté des malades, on ne voit pas les choses de la même manière. Mostapha, un retraité de l'enseignement déplore : «Comment peuvent-il prendre une telle décision et ne plus nous rembourser nos médicaments alors que nous avons cotisé toute notre vie ?». Il poursuit : «La boîte de bandelette coûte 1800 DA en pharmacie, mais elle n'est pas remboursable. Déjà qu'avec ma petite retraite, je peux à peine subvenir aux besoins de ma famille, si aujourd'hui mes bandelettes ne sont pas remboursées, comment vais-je m'en sortir ?». AUTONOMIE Si la CNAS affirme que sa décision va dans le sens des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé quant à la limitation de l'usage des bandelettes d'autosurveillance glycémique, Fayçal Ouhada, président de l'association des diabétiques commente : «Ils prétendent qu'ils ne font qu'appliquer une recommandation de l'OMS, mais si l'OMS était au courant de l'état de nos hôpitaux, elle changerait sûrement d'avis. Cette mesure n'amène rien de bon. Non seulement, elle gèle le remboursement. Mais pire, elle réduit l'autonomie des patients». En effet, ce dernier craint que «les personnes affectées ne soient plus à même de pouvoir se traiter régulièrement et doivent se diriger à l'hôpital à chaque fois qu'ils sont pris de malaise». Un avis partagé par le professeur Mostefa Khiati qui ajoute : «Cette mesure, même si elle peut se justifier par un souci de réduction de dépenses, apparaît comme contre-productive, car elle peut amener certains malades à se rendre à l'hôpital et les coûts seront alors beaucoup plus élevés». Il ajoute : «Cette décision peut aussi amener le patient à consulter davantage ou à s'adresser à un laboratoire chaque fois qu'il présente des signes d'augmentation ou de diminution de son taux de glycémie. Cela aussi reviendra encore plus cher». Précipitation Par ailleurs, Fayçal Ouhada se dit inquiet «du danger de voir s'étendre les complications générées par cette maladie, telles l'amputation de pieds ou encore la perte de la vue». Ahmed Benfares relativise : «Il n'y a pas de quoi s'alarmer étant donné que les malades diabétiques sont correctement pris en charge». Selon le spécialiste : «La réaction négative des malades est due à des habitudes prises, à la création de faux besoins et une mauvaise ou insuffisante explication des indications de l'automesure glycémique et de sa fréquence dans les différents types de diabètes, explications devant être incluses dans l'éducation thérapeutique des patients». Cette directive, aux yeux du pharmacien, est donc en conformité avec les recommandations des autorités sanitaires et respecte médicalement parlant les besoins du malade, et «ne peut pas lui être préjudiciable». Cette décision qui devait à l'origine prendre effet durant le mois de Ramadhan est très controversée. En effet, le professeur Khiati estime qu'elle a été prise «dans la précipitation et manque donc de jugement.» Pour lui, une telle décision devrait être négociée avec les associations de malades et les associations de médecins au préalable». Un avis partagé par Karim Aït Aïssa qui explique : «La mesure de la Cnas est une mesure régulatrice saine si elle est appliquée correctement. Malheureusement, les médecins régulateurs de la Caisse sont généralement peu ou pas du tout formés pour ça. Quand ils décident d'introduire des limites, ils mettent tout le monde dans le même sac. C'est-à-dire qu'ils lient les deux extrêmes : ceux qui gaspillent et les autres qui ne le font pas. Donc, comment trouver un juste milieu entre ces deux catégories de malades ?» Solutions De plus, pour le professeur Khiati, «seul le médecin traitant doit décider du rythme des examens. C'est à lui de juger de la périodicité des contrôles. Il faut faire remarquer aux uns et aux autres que les malades ne présentent pas tous le même niveau de maladie». Autre point de discorde : si la sécurité sociale au ministère de la Santé a tenté de rassurer en affirmant que la limitation du nombre de bandelettes ne va concerner que les diabétique de type 2 «stabilisés et traités par voie orale», le docteur Aït Aïssa explique que cette mesure «vise tous les diabétiques qui ont recours à l'automesure. Les diabétiques de type 2 peuvent parfois et même souvent être soumis à l'insuline, ils restent des type 2 mais ils sont insulino-traités». C'est pour cela qu'«il faut prendre en compte la règle du cas par cas. Le médecin est le seul qui doit juger de la fréquence des automesures pour chaque patient». De son côté, Fayçal Ouhada se désole : «Cette mesure prise dans la précipitation a détruit ce que nous avons bâti durant plus de 15 ans». A cet effet, l'association des diabétiques appelle la direction de la Prévention au niveau du ministère de la Santé à intervenir. «C'est à eux de réagir afin que cette décision soit remise en considération pour que les patients soient rassurés», ajoute Fayçal Ouhada. Cette colère, le professeur Khiati la comprend totalement et confie : «Les malades ont raison de se plaindre, car beaucoup seront obligés de payer de leur poche les boîtes supplémentaires qu'ils seront obligés d'acheter pour suivre leur maladie, ce qui est illogique et non conforme à la circulaire ministérielle de prise en charge des maladies chroniques». Par ailleurs, ce dernier propose des solutions pour améliorer la situation : «Si la Cnas veut vraiment réduire les dépenses, elle devra s'attaquer aux médicaments non utilisés, c'est-à-dire rationaliser la consommation de médicaments comme cela se fait dans des pays très riches, tels que le Canada et les Etats-Unis, où le médecin ne prescrit pas une boîte d'un tel médicament, mais par exemple un comprimé deux fois par jour pendant quatre jours. Le pharmacien vous donnera alors 8 comprimés». Et de conclure : «Si la Cnas venait à choisir ce système de distribution, elle gagnerait également sur l'emballage qui représente souvent 40% du prix du produit de détail.»