A quelques encablures de sa réunion du 4 décembre, l'Opep peine à entretenir un consensus autour d'une stratégie saoudienne de défense des parts de marché qui ne s'avère pas encore payant, alors que les cours continuent de chuter et grever les budgets des Etats membres. Comment analysez-vous la situation actuelle des marchés, à la veille d'une réunion que l'on veut sans bruits majeurs ? La stratégie saoudienne de maintenir les prix bas de pétrole est de plus en plus confirmée. Bien plus, il est rapporté l'intention de l'Arabie saoudite, par la voix de son ministre du Pétrole, Ali Al-Naïmi, de «maintenir la production et des prix bas dans le but de déstabiliser ses concurrents et défendre ses parts de marché». En outre, le ministre s'est engagé à renforcer les investissements pétroliers dans l'exploration et la production, alors que la chute des prix du pétrole, depuis juillet 2014, a conduit les plus importants groupes pétroliers mondiaux à revoir leur budget en matière d'investissement, en supprimant des centaines de milliards de dollars programmés pour la hausse de leurs capacités productives. L'AIE estime que ces dépenses ont été réduites de plus de 20% sur l'année 2015, alors qu'un investissement annuel de 630 milliards de dollars est requis au niveau mondial dans l'amont pétrolier uniquement pour compenser le déclin de la production des champs existants et maintenir la production future à son niveau actuel. L'AIE prévoit de plus que «les investissements vont continuer à décliner l'an prochain (2016), soulignant que c'était la première fois depuis les années 1980 que les investissements pétroliers allaient décliner deux années de suite». Quelles seront les conséquences sur les marchés et les prix ? La diminution actuelle des investissements va ainsi se traduire par une baisse de l'offre des pays non membres de l'OPEP dont la production devrait dans le même temps continuer de s'étoffer, tirée par l'Iran et l'Irak. Or, à moyen terme la consommation du pétrole sera tirée par les pays émergents : de manière générale, la demande de pétrole diminuera aux USA, en Union européenne et au Japon, tandis qu'elle augmentera d'une proportion équivalente en Asie, notamment en Inde. Mais certains mettent en garde et estiment que les bénéfices économiques (pour les consommateurs) de cette situation de prix bas du pétrole seront contrebalancés par une dépendance croissante au Moyen-Orient et par le risque d'un brusque rebond des prix si les investissements baissent trop. Pour l'AIE, ce scénario constitue ainsi une menace pour la sécurité énergétique des pays consommateurs, compte tenu de l'instabilité géopolitique importante au Moyen-Orient et que si le prix du pétrole devait se maintenir durablement à son niveau actuel, cela ferait passer les exportations mondiales de pétrole de la région de 50 à 75%. Mais les marchés n'entrevoient ce risque géopolitique qu'à moyen et long termes. A court terme, ils ont les yeux rivés sur le ralentissement de la croissance économique de la Chine et le niveau très important des stocks mondiaux avec une résistance et une augmentation de la production américaine. La décision du royaume saoudien, prise lors de la réunion de l'OPEP en novembre 2014 de maintenir les volumes de production, constitue un virage historique dans la politique de l'organisation. Elle bouleverse l'ordre énergétique mis en place depuis des décennies, alors que certains pays membres de l'organisation essaient de faire valoir un retour vers un prix de référence ou de quotas. La situation s'annonce plutôt morose en 2015. Elle serait encore incertaine pour 2016, voire aussi complexe. Quelles sont vos projections ? Pour l'année 2016, les prévisions de la demande tablent sur une augmentation de l'ordre de 1,21 million bpj pour l'AIE, et de l'ordre de 1,34 million de bpj pour l'OPEP, après un bond de 1,82 million de bpj pour l'année 2015 pour l'AIE et de l'ordre de 1,28 million de bpj pour l'OPEP. Concernant la production, l'offre non-OPEP devrait se contracter de plus de 600 000 bpj l'année prochaine. Parallèlement, les prévisions de la demande de l'AIE pour le pétrole de l'OPEP en 2016 sont relevés de 200 000 bpj soit à 31,3 millions de bpj, et devraient atteindre 32 millions de bpj au second semestre de l'année prochaine, un chiffre supérieur à la production actuelle de l'organisation. Malgré l'augmentation de la demande mondiale et la contraction de la production des pays producteurs non-OPEP, l'offre sur le marché restera excédentaire et il faut s'attendre à une autre période extrêmement difficile. Pour le moment, la surproduction reste la norme. Malgré la baisse des prix, aussi bien les Etats-Unis que l'Arabie saoudite continuent de produire massivement, de plus à des niveaux record dans les deux cas. Ainsi, l'Arabie Saoudite a produit plus de 10,5 millions de barils en juin, retrouvant ainsi ses niveaux de 1980. Mais cette «guerre» va atteindre ses limites et ce, principalement parce que la croissance de la production américaine dopée par les huiles de schiste pourrait être moins rapide : elle augmenterait de 330 000 barils/jour en 2016, tout juste le tiers de la croissance de 930 000 bpj attendue en 2015. Pour 2016, les prix moyens du pétrole devraient osciller dans la fourchette de 50 à 60 dollars. Le FMI a prévenu contre des répercussions si dangereuses de la chute des prix sur les économies de la région MENA. qu'en est-il sur le cas de l'Algérie ? Les faits sont têtus. Au premier trimestre 2015, le pays a exporté pour 8,7 milliards (mds) de dollars contre 15,6 mds au premier trimestre 2014. Le prix moyen du baril de pétrole, selon la note de la Banque d'Algérie, est passé de 109,55 dollars à 54,31 durant les mêmes périodes. La balance des paiements a enregistré un déficit record de 10,72 mds de dollars au premier trimestre 2015 contre 0,098 milliard de dollars en 2014. Après la crise de 1986, le diagnostic a été posé et les choix ont été définis. Tout le monde est d'accord sur ce qu'il faut faire, et de nombreux experts algériens ont même suggéré des thérapies. Malgré cela, notre croissance économique est toujours soumise aux aléas de la conjoncture pétrolière, parce que nous ne sommes toujours pas en mesure de nous affranchir de notre dépendance excessive à l'égard des revenus pétroliers. Depuis les années 1980, on parle de diversification de l'économie et du développement hors-hydrocarbures, et en 2015 on en est toujours là, et ce, en dépit des revenus considérables que nous avons accumulés. Les perspectives sont tout aussi sombres pour le gaz algérien ; déclin de la production, hausse de la consommation interne, chute des prix et concurrence qui s'annonce pour le moins implacable sur les marchés. Quelle lecture pouvez-vous en faire ? Vous avez tout dit ! Pour le gaz, après un pic de 90 milliards de m3 au milieu des années 2000, la production est descendue à 82 milliards de m3. En parallèle, la consommation interne a explosé. Le problème qui se pose pour l'Algérie c'est l'augmentation constante de la consommation intérieure en produits énergétiques. Celle-ci est en train d'évoluer beaucoup plus rapidement que les capacités de nos réserves d'hydrocarbures. Et l'on peut se poser la question de savoir s'il existe un modèle de consommation énergétique en 2015 en Algérie qui tienne compte de nos réserves énergétiques (pétrole, gaz, GPL, GNC, solaire,…) L'exemple de la consommation immodérée de carburant est édifiant ! Nous avons importé pour 3,5 milliards de dollars de gasoil à plus d'un dollar le litre revendu en Algérie à sept ou 10 fois moins cher. Pour revenir au gaz naturel, on peut affirmer que les perspectives sont tout aussi sombres que pour le pétrole. Plusieurs facteurs y contribuent, comme le ralentissement de la croissance chinoise, la stagnation de la demande énergétique européenne, l'autosuffisance des marchés américains grâce au gaz de schiste, l'arrivée du GNL US et du GNL des pays de l'Afrique de l'Est, tels que le Kenya et la Tanzanie, etc. Il faudra aussi tenir compte des décisions qui seront prises lors de la Conférence internationale sur le climat qui aura lieu à Paris (COP21), concernant la réduction de la production des matières fossiles et la promotion des énergies vertes, etc. Et comme les prix du gaz sont indexés sur celui du pétrole, la tendance baissière va se maintenir pour l'année 2016.