Crise ou pas crise ? A chacun son appréciation et ses arguments pour expliquer la situation dans laquelle se débat l'économie nationale. A chacun aussi sa vision de l'avenir. Du côté des décideurs, l'on parle de perspectives incertaines tout en jouant l'assurance sur les capacités du pays à faire face au retournement du marché pétrolier. D'ailleurs, pour Abdelmalek Sellal, l'Algérie encaisse le choc pétrolier mieux que beaucoup de pays. En effet, pour le gouvernement il ne s'agit pas de crise, mais plutôt de choc externe de grande ampleur. «Ce n'est pas une crise conjoncturelle, c'est un choc très profond», dira à ce sujet le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslem Bouchouareb. Un choc qui s'est traduit par l'amenuisement des recettes d'hydrocarbures au moment où les importations sont toujours au même niveau. C'est ce qui inquiète le plus, selon l'expert économique Youcef Benabdallah. «D'où vient la crise ?» s'interrogera-t-il. Et de répondre : «Je ne vois pas les éléments de la crise. Nous avons peur de nous-mêmes parce que nos graisses commencent à fondre». Il précisera dans le même sillage qu'il s'agit plutôt d'un problème de diversification. Or, notera-t-il, «à court terme nos chances de diversification sont nulles.» D'où la nécessité de réfléchir à des solutions solides sur le moyen et le long termes. «Trois avantages comparatifs nous viennent du sol. Il est grand temps de sortir du sous-sol et de se mettre sur le sol», plaidera notre expert. En d'autres termes, passer à l'exploitation des richesses hors hydrocarbures. Pour cela, faudrait-il passer aux réformes structurelles ? Une question qui revient régulièrement dans les débats ces derniers temps. Un appel également lancé par le CNES la semaine dernière à l'occasion de la présentation de la note de conjoncture du premier semestre de l'année en cours. Rejoignant le gouvernement dans son analyse, le CNES se positionne pour l'engagement d'un cap de l'émergence à travers un plan à l'horizon 2030. Le CNES évoque en effet la nécessité d'adopter des mesures structurelles de manière à «amorcer un virage vers un modèle de croissance vertueux vers un modèle de croissance plus résilient et durable», selon le chef de division des études économiques, Mohamed Bakalem. Quels sont les moyens à mettre en place pour aller vers ce modèle ? «La situation est grave» Pour le premier ministre, la croissance est à chercher dans la sphère économique réelle, où l'entreprise constitue la «clé de voûte». Ce que notera également le ministre de l'Industrie et des mines, selon lequel il y a lieu de miser sur l'outil de production et sur l'investissement. Ce qui se fera à travers les mesures annoncées pour 2016 dans le cadre de la révision du code de l'investissement notamment. Abdeslam Bouchouareb rappellera dans ce cadre que le plan quinquennal 2015-2019 est le premier programme économique qui consacre la diversification de l'économie nationale. En attendant que ce plan donne des résultats, que les précédents soient achevés et que les réformes soient mises en application, le temps aujourd'hui est aux coupes budgétaires et au gel des projets alors que cette démarche est décriée du côté des experts. Mustapha Mekidèche, vice-président du Conseil national économique et social (CNES) fera remarquer à ce sujet : «Notre économie est en mauvaise posture. Le déséquilibre budgétaire est le premier tsunami en attendant que le deuxième tsunami de l'endettement interne survienne». La situation est également grave pour l'économiste Nour Meddahi. Elle est grave eu égard à plusieurs indicateurs : «Nous aurons cette année un déficit budgétaire entre 11 et 12% du PIB», prévient-il rappelant que seule l'année 1993 a enregistré le déficit le plus important avec 13,7% et qu'en 2014 ce déficit était déjà très élevé avec 7% du PIB alors que les prix du baril n'étaient pas aussi bas que cette année. Pour combler le déficit, il faudra trouver de l'argent, en moyenne 20 milliards de dollars, selon l'économiste. Un avis que partagera Mouloud Heddir qui évoquera la nécessité d'exporter annuellement hors hydrocarbures 20 milliards de dollars. Or, difficile de réaliser cet objectif pour l'heure. «Pour trouver cet argent, il faut un changement profond. Ce qui prendra des années», estime Nour Meddahi. Car, expliquera-t-il, «si pour le moment la crise budgétaire ne s'est pas transformée en c rise économique avec l'utilisation du Fonds de régulation des recettes, à partir de mi-2017 il n'y aura plus rien dans le FRR. Il faudra trouver l'argent ailleurs.» En plus des solutions liées à la rigueur budgétaire et à l'augmentation des impôts et autre taxes notamment, le plus important à faire est dans la communication, selon notre expert. Dévoiler la vision prospective «Le gouvernement doit améliorer sa communication et dire à nos compatriotes ce qu'il va faire au cours des trois ou quatre années à venir pour combler le déficit budgétaire», proposera M. Meddahi. Il s'agit aussi d'expliquer les efforts d'ajustement étape par étape. «La priorité étant de ne pas gripper l'économie. N'oublions pas que c'est le chômage qui est le plus grand danger contre la cohésion sociale dans le pays», précisera-t-il. Il s'agit d'autre part de donner des détails sur les projets à geler, mais aussi d'éviter de reporter des projets d'intérêt public toujours dans le souci de l'équité sociale et de l'équilibre territorial. Mustapha Mekidèche abondera dans ce sens. Pour ce dernier, si les premières réponses sont classiques (dépréciation du dinar par exemple), les autres pourraient avoir de lourdes conséquences. «Si nous coupons dans les infrastructures, on se retrouvera dans une situation délicate. Je dirais dans la même situation que l'Inde», précisera-t-il donnant l'exemple des projets gelés dans le secteur de l'hydraulique. Il y a lieu de dévoiler la démarche à suivre. En d'autres termes, cette vision prospective dont les membres du gouvernement ne cessent de parler pour illustrer leur stratégie d'attaque contre la baisse des recettes d'hydrocarbures. «Qu'il nous donne des détails sur cette vision prospective pour savoir où va le pays sur le plan économique», exige-t-on du côté des experts, mais aussi du côté de l'opinion publique. Mais connaissant les points faibles du gouvernement dans l'art de la communication…