Une fois n'est pas coutume, le Cnes et le gouvernement semblent être sur la même longueur d'onde, loin des confrontations qui ont caractérisé les sessions de présentation des rapports de conjoncture. Le Conseil national économique et social (Cnes) estime qu'il devient urgent "d'engager une réflexion pour procéder à l'élaboration d'un plan d'émergence à l'horizon 2035". Pour cette institution consultative, qui a présenté, hier à la résidence El-Mithak, son rapport de conjoncture économique et sociale du premier semestre 2015, l'économie algérienne fait face à une situation difficile "qui vient rappeler, si besoin est, la nécessité d'une mutation structurelle vers plus de diversification". Le Cnes estime que "la situation actuelle présente l'avantage, grâce au fonds de régulation des recettes et aux réserves de changes, d'offrir une fenêtre d'opportunité de quelques deux à trois années, qu'il y a lieu d'exploiter en vue d'amorcer un virage vertueux vers un modèle de croissance plus résilient et durable". Selon les prévisions citées dans le rapport, les exportations d'hydrocarbures pourraient s'établir à hauteur de 30 milliards de dollars à fin 2015, tandis que les importations de biens pourraient atteindre un volume de l'ordre de 55 milliards de dollars. Les réserves de changes devraient s'éroder d'au moins 20 milliards de dollars. Le rapport souligne, également, une forte baisse de la fiscalité pétrolière recouvrée (-33%) et un creusement du déficit du Trésor de 53% par rapport à juin 2014. "La possibilité d'une baisse du solde du Fonds de régulation des recettes en deçà de son seuil minimal réglementaire, voire son extinction, est fortement plausible. Aussi, est-il nécessaire d'explorer, à court terme, les voies et moyens de dégager de nouvelles ressources, afin de faire face à la situation ?", s'interroge le Cnes. Le rapport indique que les services du ministère des Finances ont estimé la croissance globale à 3% au premier semestre 2015 et la croissance hors hydrocarbures à 4%. Par secteur d'activité, les services marchands et le BTP (bâtiment, travaux publics) demeurent les principaux moteurs de la croissance, alors que le secteur public industriel semble afficher un début de redressement. "On est installé dans une crise à cycle long" Mustapaha Mekideche, économiste, a estimé que la crise risque de se poursuivre. "On est installé dans une crise à cycle long", précisant que son amplitude est plus grande qu'en 1986, "pour que les gens prennent la mesure de la situation dans laquelle nous sommes". M. Mekideche a rappelé que le gouvernement n'a pas anticipé la crise, qui a commencé en juin 2014, dans le premier projet de loi de finances 2015. Le gouvernement a apporté des réponses dans la loi de finances complémentaire. Mais pour l'intervenant, ces réponses, qui vont dans la bonne direction, "sont insuffisantes". Mourad Preure, expert pétrolier, a évoqué un nouveau paradigme pétrolier. L'Arabie saoudite et les pays du Golfe refusent de jouer le rôle de "swing produce" et voir leurs parts de marché s'éroder encore. Ils transfèrent ce rôle aux Etats-Unis et aux pays non-Opep. Ainsi, les huiles de schiste, dont la production est plus flexible et plus réactive aux prix, ajusteront le marché. L'expert estime que la demande pétrolière, en 2016, ne dépassera pas 1,2 million de barils par jour. Le scénario probable, selon lui, est que le prix du pétrole fluctue autour de 50 dollars le baril, avec une hausse de 10 dollars au quatrième trimestre 2016. Par contre, à partir de 2017 et 2018, les prix prendront "un sentier haussier". L'industrie gazière connaît, également, une profonde restructuration. "La part de l'Algérie sur le marché gazier européen est menacée par de nouveaux entrants, au premier rang desquels le GNL américain, mais également le Qatar", a-t-il alerté. Les contrats de long terme avec clause de "take or pay" seront concurrencés par les transactions spot, avec un alignement des prix. "Nous risquons d'être exclus du marché gazier européen. Il nous faut avoir des volumes pour défendre nos parts de marché", a insisté l'expert pétrolier, plaidant pour le renforcement de Sonatrach "sur les plans managérial et technologique", pour qu'elle puisse pénétrer l'aval gazier européen et la génération électrique, afin de tirer profit des nouveaux volumes de gaz arrivant sur le marché européen au lieu de les subir. "Les réformes structurelles doivent être accélérées" Une fois n'est pas coutume, le Cnes et le gouvernement semblent être sur la même longueur d'onde, loin des confrontations qui ont caractérisé les sessions de présentation des rapports de conjoncture. "Les réformes structurelles doivent être accélérées", a reconnu le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb. Le ministre partage, également, la remarque de l'économiste Mouloud Hédir sur la faiblesse du système statistique, appelant le Cnes à initier un travail de révision de tout le système d'information statistique. M. Hédir, spécialiste du commerce international, a relevé que le secteur privé n'est pas appréhendé par le système statistique. M. Bouchaoureb abonde dans le même sens d'idée que Mourad Preure. "Qu'on le veuille ou non, la tendance des contrats à long terme va vers la diminution de ce genre de contrat", a-t-il soutenu. "Ne serait-il pas utile aujourd'hui, dans ce domaine, d'aller investir chez eux ?", s'est-il interrogé, indiquant que le Qatar l'a bien compris en investissant en Pologne. Le ministre reconnaît aussi l'existence de contraintes portuaires, soulevées par Mouloud Hédir, qui rendent difficiles les exportations. "Nos ports sont structurellement conçus pour l'importation", a-t-il reconnu. Pour l'exportation du ciment, à partir de 2016, le ministre évoque la préparation "à partir d'aujourd'hui" des plateformes nécessaires avec Lafarge. Le professeur Mohamed-Cherif Belmihoub, lui, a mis l'accent sur les contraintes de l'entreprise algérienne dans une politique de diversification. "Elles sont peu nombreuses et de tailles modestes. Quand elles veulent se développer, elles se diversifient. Il y a un paradoxe algérien. Les entreprises se diversifient, mais pas l'économie", a-t-il noté. "Il faut revoir le système d'incitation", a suggéré le professeur. Plus optimiste, le professeur Rafik Bouklia-Hassane estime que l'Algérie peut se diversifier dans le court terme, pour peu que l'accent soit mis sur les politiques sectorielles. Il évoque l'exemple de la pétrochimie. "L'Arabie saoudite parvient à exporter une moyenne annuelle de 7 milliards de dollars", a-t-il indiqué. Dans ce cadre, le ministre de l'Industrie annonce la réalisation de projets dans le phosphate, dans le photovoltaïque et les énergies renouvelables et dans le fer "avec les Chinois". Alexandre Kateb, chef économiste du groupe Tell, un groupe de services financiers diversifiés, a insisté sur l'urgence de passer d'une économie de recyclage de la rente vers une économie de création de valeur. Cette transition ne peut se faire sans la modernisation du système bancaire et financier. "L'Algérie a pris beaucoup de retard dans ce domaine", a-t-il constaté. Pour le gouverneur de la Banque d'Algérie, les établissements financiers doivent faire un effort en termes de produits financiers. M. R.