Addis Abeba, c'est grâce à eux. Le parc de Gallon ou de Beyrouth, c'est eux. Le nouvel aéroport Houari Boumediène avec ses 15 ha d'espaces verts, c'est encore eux. Un rosier ici, un géranium par-là, des œillets d'Inde pour rafraîchir et une plante grimpante style bougainvillier pour donner de la tenue. Voilà à quoi travaillent les techniciens paysagistes de l'entreprise publique Edeval située à Kouba. Ils couvrent toute la wilaya d'Alger et ses 28 communes en fleurs et plantes vertes de toutes sortes. Le mariage des couleurs à la terre, l'alliance du végétal et du minéral, c'est leur dada, leur leitmotiv, leur passion. Ils travaillent d'arrache-pied pour couvrir une commande et s'échinent à donner à leurs « espaces verts » un semblant d'entretien. « Car notre boulot est vite détruit par les vandales. Allez visiter un parc comme le Parc de la liberté. Le problème n'est plus avec les couples qui se sont allongés sur un parterre de bégonias. Le problème réside dans l'insécurité. Les parcs et beaucoup d'autres espaces verts font peur. La sécurité, voilà le problème », explique un technicien de la pépinière. Cette pépinière ou plutôt cet éden du végétal est implanté en plein centre de Kouba et occupe 2 ha. « Plus exactement, 1,7 ha, dont 1,33 exploitable », précise le directeur, M. Bensalem. La pépinière est composée de trois unités, dont la plus importante étant l'unité de production. Créer la plante à fleur à partir d'une petite graine, c'est entre la poésie et la peinture. Semer des graines sur des planches de plusieurs mètres, les recouvrir de planches de tissu pour maintenir la graine à une certaine température, prélever ensuite la plante qui fait son apparition et la mettre en pot, relève de l'art. M. Metref, technicien paysagiste, impossible de l'arrêter de parler. Quand on passe devant une plante particulière, vous pouvez parier qu'il connaîtra son âge, son nom et toutes les caractéristiques qui l'accompagne. Il s'amuse à errer de fleur en fleur comme une guêpe butine de rose en rose. Il ne se lasse pas de parler de son harem fleuri. M. Metref n'a pas le doigté doucereux, lorsqu'il touche une plante fleurie. Sa poigne est sûre et ferme. C'est dans son regard vert kaki, couleur végétale, que la tendresse se lit. Ainsi, amoureusement, les techniciens sur place vous font faire le tour du propriétaire. « Ce n'est pas la plus belle saison », reprend M. Metref, comme pour justifier le désordre à un visiteur impromptu. Pourtant, les couleurs sont là. Les variétés aussi. La pervenche rouge a un éclat animé, les variétés d'œillets offrent un camaïeu de couleurs, un bougainvillier rose concurrence le fuschia d'un autre. Les bleus sont lumineux et les jaunes fantasmagoriques. Les formes rivalisent avec les lois de la géométrie et un cactus gigantesque de plus de vingt ans d'âge fait exploser les lois de la pesanteur. La plante qu'elle soit à fleur ou verte domine et sublime son pouvoir dans cette alcôve où on la badigeonne quand elle a mal. Dans les quelques serres qui composent la pépinière, la plante verte y est maîtresse. Alliage de chaleur et d'humidité, aidé par quelques radiateurs à des points stratégiques, la fougère affiche une mine dentelée et fournie. Le sheflera s'ingénie à déployer sa feuille et peu de place est accordée par le végétal. Ici, c'est chez lui et pas de sentier battu. On les hume, on les voit ces 1,33 ha de plantes. « Pourtant, nous n'arrivons pas toujours à remplir nos commandes. Nous manquons de fleurs et Alger est une grande wilaya », explique M. Metref. Elle compte en effet 104 ha d'espaces verts, le plus grand étant dans la commune de Dar El Beïda avec ses 15 ha juste pour l'aéroport. « Il doit tout au plus exister trois ou quatre architectes paysagistes en Algérie, pour peu qu'ils exercent vraiment leur métier. Dans les faits , nous trouvons plutôt des techniciens paysagistes ». La faute à qui ? La faute : pas de formation et pas d'école sérieuse dans le domaine. Il existait bien l'institut technique agricole du Jardin d'essais, mais elle a fermé ses portes voilà quelques années. Aujourd'hui, quelques centres de formation proposent cette filière pour l'obtention, au bout de deux années, d'un diplôme de technicien paysagiste horticulteur. Beaucoup prétendent que la formation dispensée est en-deçà des besoins. « Certains ont fait leurs études en Belgique ou ailleurs à l'étranger. C'est encore là qu'on apprécie le plus ces filières et la nécessité d'entretenir les espaces verts. » En Algérie, le besoin est latent et presque inconnu dans certains endroits comme à l'intérieur des cités, par exemple. Le citadin a pu constater une certaine amélioration ces dernières années ponctuée de temps en temps par quelques soubresauts à l'approche d'un événement important comme l'arrivée d'une délégation étrangère. On maquille le bitume avec quelques œillets (il tiennent bien la chaleur) à l'entrée de l'aéroport et dans quelques grands axes routiers mais rien ne laisse penser qu'il existe un réelle politique de l'entretien et de la valorisation du paysage. Selon le directeur de l'Edeval, il faut distinguer les espaces visuels et les espaces pratiques. Addis Abeba est un espace visuel qui offre peu de commodités au vandalisme. Mais les parcs sont des espaces pratiques et le travail de l'entreprise qui gère également l'entretien de ces espaces est mis à rude épreuve dès que des mains malencontreuses peuvent accéder aux plantes. On l'aura compris, l'épanouissement du citadin passe par les fleurs et celui de la fleur passe par la sécurisation des espaces. Des échanges sont entrepris par l'entreprise et permet à des techniciens d'échanger leurs connaissances avec d'autres. Un programme est d'ailleurs prévu pour permettre à des techniciens algériens de suivre un petit stage en Italie. De même, la meilleure façon d'initier le respect de la plante est d'encourager les enfants à participer à l'entretien des espaces verts. Des clubs verts sont en cours dans certaines écoles et apprennent aux enfants à s'initier à l'art de la culture fleurie.