Par : Hamza Hamouchene. PHD en cancer et environnement à l'Institute of cancer research of London Le changement climatique aura des effets dévastateurs sur l'Afrique du Nord. Il y aura des morts et des millions de personnes seront forcées de migrer. Le désert ne cesse de s'étendre. Les récoltes sont mauvaises et les pêcheurs sont en train de perdre leurs moyens de subsistance. Les pluies deviendront de plus en plus irrégulières, les ressources en eaux diminueront et les tempêtes seront plus violentes. Les étés seront très chauds et les hivers très froids. La sécheresse contraint déjà les villageois à abandonner leurs foyers et l'élévation du niveau de la mer est en train de détruire les terres fertiles. La chute de la production alimentaire et le tarissement des ressources en eau menaceront même les mégapoles, comme Le Caire, Casablanca et Alger. Les prochaines vingt années vont transformer fondamentalement la région. Ceci n'est pas un fait naturel. Le changement climatique est une guerre érigée par les riches contre les classes ouvrières, les petits paysans et les pauvres. Ces derniers portent le fardeau à la place des privilégiés. La violence du changement climatique est causée par le choix de l'exploitation continue des combustibles fossiles, une décision prise par les multinationales et les gouvernements occidentaux avec les élites et militaires locaux. C'est le résultat de plus d'un siècle de capitalisme et de colonialisme. Comment le changement climatique transformera-t-il l'Afrique du Nord ? Le changement climatique provoqué par l'être humain est déjà bien une réalité en Afrique du Nord. Cette réalité est en train de saper et d'affaiblir les bases socioéconomiques et écologiques de la vie dans la région et finira par imposer un changement des systèmes politiques. Les récentes sécheresses prolongées en Algérie ont constitué des événements climatiques chaotiques qui ont dépassé et submergé la capacité des Etats et de leurs structures sociales et institutionnelles actuelles, pourtant conçues pour s'en occuper. Les changements dans le cycle hydrologique réduiront l'approvisionnement en eau douce ainsi que la production agricole. Cela signifie avoir recours à davantage d'importations alimentaires de denrées de base et des prix plus élevés dans les pays qui en sont déjà dépendants, comme l'Egypte. De plus en plus nombreux seront ceux qui connaîtront la faim et la famine. Le désert est en progression croissante, s'étalant de plus en plus sur les terres avoisinantes. Une pression immense s'exercera sur les rares ressources en eau, étant donné que la demande augmente plus rapidement que la croissance démographique. L'approvisionnement chutera à cause des changements dans les précipitations des pluies et l'intrusion de l'eau de mer dans les réserves d'eau potable souterraines. La montée des niveaux de mer est actuellement en train de forcer les paysans à quitter leurs terres en Tunisie, au Maroc et en Egypte. L'eau salée détruit les champs fertiles du Delta du Nil en Egypte et du Delta de la Moulouya au Maroc, menaçant d'inonder et d'éroder de vastes étendues de peuplements côtiers, y compris des villes, comme Alexandrie et Tripoli. Les mers elles-mêmes sont touchées par ce changement climatique. En effet, l'absorption de quantités de plus en plus importantes de dioxyde de carbone les rend plus acides, tuant ainsi les récifs coralliens. Cela va influer négativement sur la biodiversité dans la mer Rouge, détruisant ainsi les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes qui travaillent dans les secteurs de la pêche et du tourisme. La chaleur estivale s'intensifiera. L'augmentation des températures et leurs effets «stressants» vont faire des milliers de morts, particulièrement les travailleurs ruraux qui ne peuvent pas éviter les travaux lourds et les activités d'extérieur. La fréquence et l'intensité des événements météorologiques seront extrêmes et plus importantes. Les tempêtes de poussière et les inondations dues au froid glacial menacent les citadins les plus pauvres, surtout les millions de migrants qui vivent dans des zones d'habitation informelle aux alentours des villes. L'échec des dirigeants politiques Le changement climatique est attribuable à la combustion des carburants fossiles, à la déforestation et à des pratiques agricoles non-durables et insoutenables, encouragées par l'industrie agroalimentaire. Le dioxyde de carbone et le méthane, qui sont rejetés dans l'atmosphère, sont des produits dérivés de l'activité industrielle des hydrocarbures. Le pétrole comme le gaz, le charbon et les minéraux sont extraits et consommés à grande échelle pour dégager des profits qui serviront les pouvoirs d'Etat. C'est le capitalisme extractiviste sous lequel nous vivons. Les émanations des dioxydes de carbone (CO2) proviennent de la combustion des hydrocarbures. L'accumulation du CO2 réchauffe notre planète. Il existe maintenant un consensus solide au sein de la communauté scientifique qui soutient que si la température moyenne mondiale augmente de plus de 2 degrés Celsius au cours du XXIe siècle, les changements du climat sur notre planète seront à grande échelle, irréversibles et catastrophiques. Le temps presse et les possibilités d'agir se réduisent ! Selon les sciences du climat, les scientifiques attestent que si l'humanité désire préserver une planète qui ressemble à la nôtre et où la civilisation s'est développée pour y vivre paisiblement, les niveaux de CO2 dans l'atmosphère doivent être réduits considérablement. Les niveaux actuels du CO2, estimés à 400 parties par million (ppm) doivent baisser au-dessous de 350 ppm, bien que de nombreux experts soutiennent que tout niveau supérieur à 300 ppm est trop dangereux. Toute augmentation supplémentaire risque de déclencher des points de bascule climatiques comme la fonte du pergélisol (permafrost) et l'effondrement de la couche de glace du Groenland. Quand on atteindra un point de bascule (un seuil climatique), les émissions de carbone accéléreront le phénomène et le changement climatique pourrait échapper réellement à notre contrôle. Notre survie dépend de la décision de laisser 80% des réserves prouvées de combustibles fossiles dans le sol. Malheureusement, l'extraction de plus en plus forte des hydrocarbures fossiles et leurs transformations entraînent des rejets supplémentaires de deux ppm de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, chaque année. Les dirigeants politiques du monde entier ainsi que leurs conseillers et les médias se réunissent chaque année pour une autre conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP). Mais en dépit de la menace globale, les gouvernements autorisent l'augmentation des émissions de carbone dans l'atmosphère et permettent à la crise de s'aggraver. Le pouvoir des multinationales a détourné ces pourparlers de leurs véritables objectifs en s'assurant de promouvoir davantage de fausses solutions, bien lucratives. Les nations industrialisées (l'Occident et la Chine) ne veulent pas assumer leur responsabilité, alors que les puissances pétrolières comme l'Arabie saoudite essaient de manipuler le processus. Les pays développés du Sud, bien qu'ils constituent la majorité, peinent à provoquer un changement malgré tous les efforts vaillants de pays comme la Bolivie et les petits Etats insulaires. La COP de Paris en décembre 2015 attirera beaucoup l'attention, mais nous savons, d'ores et déjà, que les dirigeants politiques ne permettront pas les réductions nécessaires afin d'assurer la survie de l'humanité. Il faudra que les structures des pouvoirs changent. L'action pour empêcher la crise climatique se tiendra dans un contexte parallèle à d'autres crises sociales. Les politiques du climat en Afrique du Nord sont contrôlées par les riches et les puissants Qui sont-ils ces participants à l'élaboration d'une réponse au changement climatique en Afrique du Nord ? Des institutions comme la Banque mondiale, l'Agence allemande pour la coopération internationale (GIZ) ainsi que les agences de l'Union européenne s'expriment avec force et se font entendre en organisant des événements et en publiant des rapports. Elles invoquent les dangers d'un monde réchauffé et soulignent la nécessité d'une action urgente avec plus d'énergies renouvelables propres et des plans d'adaptation. Etant donné le manque d'alternatives, elles semblent avoir des positions relativement radicales par rapport à la position des gouvernements locaux et particulièrement quand elles parlent des conséquences sur les pauvres. Cependant, ces institutions sont alignées politiquement avec les puissants et leurs analyses du changement climatique n'intègrent pas les questions de classe, justice, pouvoir et histoire coloniale. Les solutions de la Banque mondiale sont axées sur le marché, sont néolibérales et adoptent une approche descendante (top-down). Elles redonnent le pouvoir à ceux qui possèdent déjà des fortunes sans s'attaquer aux causes profondes de la crise climatique. Au lieu de promouvoir les réductions nécessaires des émissions de gaz, elles offrent des permis pour des activités polluantes et des subventions aux multinationales et aux industries extractives. La vision du futur défendue par la Banque mondiale, la GIZ et une grande partie de l'Union européenne est marquée par des économies conjuguées au profit privé et à des privatisations supplémentaires de l'eau, des terres et même de l'atmosphère. Aucune référence n'est faite à la responsabilité historique de l'Occident industrialisé dans la provocation du changement climatique. Un silence inquiétant est entretenu sur les crimes de compagnies pétrolières comme BP, Shell et Total ainsi que sur la dette écologique due aux pays du Sud. Les sociétés nord-africaines qui vivent dans des pays, où la démocratie est absente, continueront de souffrir de l'assujettissement à l'autoritarisme des élites et multinationales qui maintiendront le statu quo. Le discours traitant ce sujet est très limité et extrêmement paralysant du fait que ces institutions néolibérales dominent la production du savoir sur les questions du changement climatique en Afrique du Nord. La majorité de la littérature et des écrits sur le changement climatique au Moyen-Orient et Afrique du Nord n'évoquent pas l'oppression ou la résistance des peuples. Il n'y a pas de place pour les peuples mais seulement pour les dirigeants et les experts autoproclamés. Le statu quo continuera de forcer les populations à se déplacer, de polluer les environnements et de mettre des vies en péril. Les Nord-Africains dont les vies seront le plus changées, le plus sont les petits paysans sur le Delta du Nil, les pêcheurs de Djerba, les habitants de In Salah et les millions qui vivent dans des habitations informelles au Caire, à Tunis et à Alger. Mais ils sont écartés et empêchés de construire leur avenir. C'est plutôt des régimes militaires avec leurs commanditaires au Riyad, Bruxelles et Washington qui formulent des plans climatiques et énergétiques. Les élites locales nanties collaborent avec les multinationales, la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Malgré toutes les promesses faites, les actions de ces institutions démontrent qu'elles sont les ennemies de la justice climatique et de la survie. L'ampleur de la crise signifie qu'il nous faudrait rompre radicalement avec les structures existantes du pouvoir autoritaire et néolibéral. La lutte pour une justice climatique doit être profondément démocratique. Elle doit impliquer les communautés les plus touchées et doit être en mesure de répondre aux besoins vitaux de tous. Cette lutte est une démarche pour bâtir un futur où chacun de nous doit avoir suffisamment d'énergie et un environnement sain et sauvegardé pour les futures générations. Ce futur désiré serait en harmonie avec les demandes légitimes des soulèvements des populations en Afrique du Nord : souveraineté et dignité nationale, le pain, la liberté et la justice sociale.